La Solvabilité des Sociétés d'Assurance et de Réassurance Arabes face aux changements internationaux
Pourquoi les assurances arabes ont si bien résisté à la Crise financière alors que ce secteur dans les pays développés en a pâti énormément ? Paradoxalement, ce qui a sauvé les assurances arabes ce sont leurs insuffisances. Explication de Mme Souheila Chabchoub, Inspecteur général des Finances et Présidente de la Commission de Contrôle des Assurances au CGA, à la faveur d'une communication présentée lors du Xème Forum de Carthage, tenu à Tunis du 18 au 20 novembre 2008.
- La crise économique mondiale: raisons et répercussions
En 2007, le monde a connu une crise économique engendrant une régression économique mondiale. Les causes de cette crise qualifiée la plus difficile depuis la crise de 1929, sont imputées à certaines banques américaines spécialisées dans les crédits immobiliers qui ont attribué des crédits immobiliers à des milliers d’emprunteurs souvent à revenus modestes qui voulaient profiter des taux d’intérêts bas (1% en 2003-2004) ce qui a généré le développement massif de prêts risqués « subprimes » à des personnes présentant des risques de solvabilité. Avec le rehaussement brutal de ces taux d’intérêt (5,25% en 2006), les emprunteurs se trouvent incapables de faire face à leurs remboursements. C’est à un défaut de paiement en masse que les banques ont été confrontées.
En recourant au mécanisme de « titrisation » de ces créances, ces banques ont cherché à évacuer le risque de crédit ce qui leur a permis de se refinancer et de réduire leurs risques. Ces derniers sont reportés sur les acheteurs des créances titrisées.
Ces créances étant véhiculées à l’échelle internationale sous forme de titres financiers, la crise des « subprimes » a pris l’allure d’une crise mondiale.
Courant 2008, des banques américaines ont fait faillite. D’autres, européennes ont connu des difficultés ce qui a incité des banques centrales à intervenir pour injecter des liquidités, et des gouvernements à garantir les dépôts des épargnants dans les banques.
L’Américan International Group « AIG », premier assureur du monde était en plein dans cette crise. Il était très impliqué dans ces crédits immobiliers transformés en produits financiers à travers la titrisation. L’AIG souffrait de la dépréciation de son actif qui a engendré l’effondrement de la valeur de ses actions en bourse de plus de 90% en 2008.
Ces mêmes créances titrisées ont affecté la situation financière de certaines sociétés importantes de réassurance mais, à des degrés moindres ex : Suisse-Ré, Munisch-Ré, Hannover-Ré.
- Impact de la crise sur le secteur des assurances en général et arabe en particulier:
Les sociétés d’assurance et de réassurance ont été certes touchées par cette crise mais en tant que « victimes ». Elles ont subi ses répercussions sans en être à l’origine.
La baisse alarmante des marchés boursiers a fortement influencé le revenu des placements des sociétés d’assurance les obligeant à constituer des provisions de dépréciation supplémentaires et contribuant ainsi à la diminution des résultats et des marges de solvabilité.
Toutefois, cet aspect a été relativement limité pour les sociétés d’assurance arabes surtout dans les pays où les secteurs financiers sont supposés moins ouverts sur les secteurs financiers internationaux (Afrique du Nord). Autrement dit, les sociétés d’assurance de ces pays ont investi leurs excédents essentiellement dans des actifs acquis sur le marché national.
L’activité des assureurs va évidement se ressentir de cette crise surtout dans certaines catégories d’assurance en relation avec les activités économiques telles que l’assurance transport, ingeneering. Il était, également, attendu que l’assurance vie subisse une régression surtout avec la diminution des revenus et l’évolution du chômage.
En 2008, le chiffre d’affaires mondial de l’assurance est d’environ 4270 milliards USA contre 4060 milliards USA en 2007, soit un taux de croissance ne dépassant pas les 5%. En valeur réelle et pour la première fois depuis 1980, les primes ont régressé de 2%(*) soit une régression de 3,5% pour l’assurance-vie et de 0,8% pour l’assurance-non vie. Cette régression a concerné les pays industriels (3,4%) contre une évolution de 11,1%, pour les pays émergeants .
L’assurance dans les pays arabes va ressentir, à l’instar du reste du monde, l’effet de la crise. Cependant, son effet sera relativement limité surtout pour les pays moins ouverts sur l’investissement extérieur.
La valeur des sociétés d’assurance a été directement affectée par cette crise, surtout les sociétés investies dans les titres en relation avec les « subprimes » et qui ont enregistré une dépréciation de leurs actifs.
Les agences de notation ont été contraintes à réviser le rating de certaines sociétés d’assurance suite à la régression de leurs résultats et de leurs situations financières.
La plupart des actions de sociétés d’assurance arabes cotées en bourse ont essuyé une régression importante de leurs actions en 2008, dûe principalement à la panique qu’a connue la majorité des bourses.
D’autre part, la réassurance qui est une couverture pour la société d’assurance va désormais connaître un durcissement de ses conditions dû à la régression de la situation financière de nombreuses sociétés de réassurance internationales.
Les prix de la réassurance risquent, également, d’augmenter avec des capacités de souscription (des sociétés de réassurance internationales) touchées par la crise.
Les sociétés d’assurance arabes vont supporter les conséquences de cette récession des capacités de souscription et de durcissement des conditions de réassurance du fait qu’elles sont des importateurs importants de cette couverture.
Tout en étant victime, le secteur des assurances assure un rôle important dans l’amortissement des effets de la crise. Il représente un soutien à l’individu et à l’entreprise face aux risques. Il propose une protection, une assistance et un soutien en payant des indemnités en cas de sinistre c'est-à-dire en cas de réalisation du risque.
C’est un soutien d’autant plus précieux qu’il s’exerce précisément en période de crise.
Ce rôle important et ses répercussions directes sur le tissu économique ont obligé le gouvernement américain à intervenir pour sauver le Géant de l’assurance américaine « AIG » pour limiter les dégâts que peut subir le reste de l’économie bien que ceci peut représenter une infraction à la loi de marché et de la concurrence.
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Egalement, le secteur des assurances participera activement au financement à moyen et long terme de l’économie, répondant ainsi aux besoins des entreprises et des Etats pour financer les mesures de relance et de développement économique à travers l’émission d’emprunts.
- La crise économique et la marge de solvabilité des sociétés d’assurance :
En réalité, cette crise a été riche en enseignements. Elle tire son importance de son « timing » et de la question qu’elle a posée: où est le contrôle ?
En effet, un des piliers sur lequel repose la supervision du système bancaire est l’adéquation entre le volume de crédits et les fonds propres des banques, ce qui contraint ces dernières à limiter leurs offres de prêts. Mais cette contrainte a été contournée par les banques par la création de nouveaux produits de titrisation complexes et à risque élevé.
Pour les sociétés d’assurance, la représentation de leurs engagements techniques doit se faire dans des actifs répondant à des exigences de sécurité, de liquidité et de rentabilité.
D’autre part, la crise s’est chargée de démontrer qu’il a été nécessaire de repenser, les normes prudentielles des sociétés d’assurance et de réassurance (IAIS et solvabilité II) et les normes comptables IFRS. Ces dernières n’ont pas empêché la crise. Au contraire, elles sont suspectées de l’avoir amplifiée.
- 1- Les normes internationales de solvabilité des sociétés d’assurance et de réassurance :
En janvier 2002, l’Association Internationale des contrôleurs d’Assurance « IAIS » a publié un ensemble de principes de base relatifs au régime de solvabilité et de suffisance du capital répondant à son objectif fondamental qui est le renforcement du contrôle en vue de la protection des assurés. Ces principes visent essentiellement :
- La constitution de provisions techniques suffisantes pour l’exécution des engagements vis-à-vis des assurés. Elles doivent être calculées d’une façon prudente et transparente.
- Avoir suffisamment d’actifs réalisables, objectivement évalués, diversifiés, suffisamment dispersés et prenant en considération la sécurité et la rentabilité.
- Assurer l’adéquation des actifs et des passifs et éviter les risques de non congruence .
- disposer d’un capital suffisant pour couvrir les pertes résultant des risques techniques et non techniques (risques de sous tarification, d’évolution des coûts de sinistre, d’exploitation, de marché, d’organisation,…).
- Le régime de solvabilité et de suffisance du capital doit définir la forme et le niveau de capital adéquat en fonction d’un système de gestion des risques adaptés à la complexité,à la taille et à la variété des activités de la société d’assurance.
- Les autorités de contrôle doivent disposer des informations suffisantes pour entreprendre des évaluations de solvabilité des sociétés d’assurance et prendre les dispositions nécessaires au moment propice.
- 2- Le projet européen en matière de solvabilité des sociétés d’assurance :
L’UE a entrepris depuis les années 1990, des études et des réflexions pour mettre en place de nouvelles règles de fixation de la marge de solvabilité.
En 2002, le parlement européen a adopté des normes dites « Solvabilité I » et, il était clair qu’il s’agissait d’une première étape en attendant la finalisation des études sur les besoins en marge de solvabilité des sociétés d’assurance.
Le 22 Avril 2009, le parlement européen a adopté des normes prudentielles actualisées dites «Solvabilité II ».
Ces normes ont pour but essentiel de permettre l’examen de la situation financière globale d’une entreprise d’assurance. Le principe est simple, chaque assureur doit être en mesure de comprendre et d’évaluer correctement les risques inhérents à son activité pour pouvoir allouer suffisamment de capital pour le couvrir. La concrétisation de ce principe nécessite la mise en place de tout un processus.
« Solvabilité II » Comme les normes « Bâle II » pour les banques repose sur 3 « piliers » :
Le premier pilier est relatif à des exigences quantitatives. Deux niveaux de fonds propres sont exigés :
- Le MCR (Minimum Capital Requirement) qui représente le niveau minimum de fonds propres en dessous du quel l’intervention de l’autorité de contrôle sera automatique.
- Le SCR (Solvency Capital Requirement) qui représente le capital cible nécessaire pour absorber le choc provoqué par une sinistralité exceptionnelle en vue de limiter au maximum la probabilité de ruine.
Le deuxième Pilier : exigences qualitatives en matière de suivi des risques en interne par les sociétés d’assurance et le contrôle par les autorités de supervision.
Le troisième pilier a pour objectif, de définir les informations destinées aux publics et celles nécessaires aux autorités de contrôle pour exercer leur pouvoir de surveillance.
Ces nouvelles normes prudentielles ont révélé de nouvelles exigences relatives essentiellement à :
- Des besoins plus importants en fonds propres
- Des besoins plus importants en informations permettant à la société d’assurance de mieux évaluer ses risques et à déterminer le niveau de marge de solvabilité requis.
- La nécessité de recourir à des compétences spécialisées surtout en études actuarielles.
- La nécessité de renforcer le rôle des autorités de contrôle
- L’assurance arabe : défis et perspectives :
Les défis que confrontent les sociétés d’assurance arabes sont plutôt internes et en relation avec leurs situations actuelles caractérisées par :
- Un rôle limité du secteur des assurances dans les économies des pays arabes.
- Un morcellement des portefeuilles et l’existence d’un nombre important de sociétés d’assurance relativement à la dimension de ces marchés .
- Une part limitée de l’assurance-vie, qui est le type d’assurance le plus à même de générer de l’épargne qui sera drainée vers l’investissement.
- Un niveau de fonds propres insuffisant pour certaines sociétés d’assurance.
- Des taux de cessions importants dus à l’incapacité de retenir des parts importantes sur les gros risques.
- Un recours acharné à la concurrence des prix.
- Une insuffisance de la formation et du recyclage du capital humain.
Ces insuffisances imposent aux sociétés d’assurance arabes des exigences plus importantes pour répondre aux nouvelles normes prudentielles.
En revanche, il est opportun de noter que le marché arabe d’assurance présente des potentialités considérables qui nécessitent la poursuite des opérations de développement et de mise à niveau et ce, à travers :
- L’amélioration et l’actualisation du cadre législatif et réglementaire en vue de répondre aux nouvelles exigences prudentielles.
- Le renforcement des autorités de supervision arabes pour être en mesure de prévenir les faiblesses et les infractions et prendre les mesures nécessaires en temps opportun.
- L’incitation des sociétés d’assurance au respect des règles de gouvernance.
- Accorder plus d’importance au développement des ressources humaines, facteur clé pour lever les défis.
D’autre part, et dans un objectif de renforcer le rôle des autorités de supervision et de contrôle arabes, d’améliorer et de rapprocher leurs mécanismes de supervision, il a été créé en 2006 le Forum Arabe des Autorités de Supervision et de Contrôle d’ Assurance « AFIRG » qui a pour objectif l’échange d’expériences entre les autorités et l’harmonisation du cadre et des procédures de contrôle.
Une commission a été créée au sein de ce forum chargée de la préparation d’un modèle de calcul du MGR et du SCR et d’un modèle de rapport financier pour le marché arabe des assurances en référence aux normes internationales.
- Les normes tunisiennes de solvabilité des sociétés d’assurance et de réassurance :
La Tunisie a adopté depuis 2002, et dès leur apparition, les normes prudentielles « solvabilité I » et, a engagé une révision de la réglementation prudentielle en s’inspirant des principes de base de « l’IAIS » et du projet de « solvabilité II ». Ces travaux seront poursuivis en fonction de l’avancement des travaux de l’IAIS et de la Commission Européenne.
- 1- Les exigences quantitatives :
- La consolidation en 2002, des assisses financières des entreprises d’assurances et ce à travers le triplement du capital minimum.
- L’évaluation des provisions techniques : l’article 59 du Code des Assurances oblige les entreprises d’assurances à inscrire au passif des provisions techniques suffisantes pour le règlement intégral de leurs engagements vis-à-vis des assurés ou bénéficiaires de contrats.
Le contrôle de cet aspect requiert une attention particulière de la part de l’Autorité de contrôle. La suffisance de ces provisions est vérifiée par le contrôle sur pièce et sur place. C’est ainsi que certaines sociétés d’assurances dont les provisions techniques étaient insuffisantes ont été appelées à corriger cette insuffisance instantanément ou dans le cadre d’un plan de redressement.
- L’évaluation des actifs : la liste des actifs admis en représentation des provisions techniques a été fixée par arrêté du ministre des finances. Ces placements doivent répondre aux critères de sécurité, liquidité et rentabilité. La Tunisie a choisi l’évaluation prudente de ces actifs en constituant des provisions pour dépréciation sur les moins values éventuelles et ne pas constater les plus values latentes.
- 2- Les exigences qualitatives :
- Le renforcement du rôle de l’autorité de contrôle : le Comité Général des Assurances « CGA » a été crée en vertu de la loi 2008-8 du 13 Février 2008 qui a en outre fixé son organisation et ses missions en s’inspirant principalement du principe de base n° 3 de « l’IAIS ».
Toutefois, c’est depuis 2002 que la séparation entre la fonction de contrôle et celle de la législation a été consacrée par la création d’une commission de contrôle chargée du contrôle permanent des entreprises d’assurances et des professions qui y sont rattachées.
- Le renforcement des règles de gouvernance : Depuis 2008, les désignations des membres des conseils d’administration et des principaux dirigeants des entreprises d’assurance et de réassurance sont soumises au Ministre des Finances et depuis 2005, une obligation de co-commissariat et de la mise en place d’un comité permanent d’audit a été instaurée pour les entreprises d’assurance
- 3- Reporting prudentiel:
Le renforcement depuis octobre 2005 des informations destinées au « CGA » qui sont communiquées sur support magnétique. Un pro-logiciel de contrôle a été élaboré en vue de rendre le contrôle sur pièces plus efficace.
Enfin, les travaux d’actualisation de la législation relative au secteur des assurances se poursuivent. Son harmonisation avec les normes internationales constitue pour la Tunisie un choix stratégique.
(*) Source: revue «SIGMA »
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sur les conséquences potentiellement dangereuses de Solvalité II sur pour les petites mutuelles d'assurance en france mais aussi dans d'autres pays, allez voir notre site www.stopsolvabilite2.com
A LIRE ABSOLUMENT
Bonjour je suis tres satisfait des commentaires que j'ai vu au cours de mes recherches dans votre site.J'ai un sujet a preparer sur les effets de la crise economique sur les compagnies d'assurance et pour ce je voudrais solliciter votre aide. Merci pour votre comprehension.
madame vous vraiment digne de tout respect
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