Greffe d'organes humains: la loi a-t-elle réalisé ses objectifs?
Du 24 juin 1986 au 25 mars 1991, quatre vingt cinq greffes rénales, ont été réalisées dans le Service d’urologie de l’Hôpital Charles Nicolle sans réglementation juridique précisant le don d’organes chez le vivant. Aussi, le transplanteur c'est-à-dire le chirurgien restait-il vulnérable au regard de la loi, malgré l’engagement volontaire, librement consenti du donneur et certifié par l’autorité publique, précaution insuffisante et aléatoire, au regard de certains juristes.
La promulgation, le 25 mars 1991, de la loi relative au prélèvement et à la greffe d’organes humains, est venue combler ce vide juridique.Cette loi concerne le statut de la personne humaine au regard de son corps. Elle fonde le statut juridique du corps et affirme la nécessaire protection de l’intégrité de l’espèce humaine.
Elle avait deux objectifs : légaliser la greffe à partir de donneurs vivants, favoriser le développement du prélèvement d’organes sur des sujets en état de mort cérébrale.
La réglementation concernant les sujets vivants protège bien les donneurs puisqu’elle exige leur consentement express enregistré par un juge.
Elle valorise le don qui demeure un acte de volonté individuel, désintéressé, librement consenti et gratuit.
Elle interdit aussi le prélèvement sur un enfant mineur et le prélèvement d’un organe vital.
Elle ne pose pas de problèmes dans son application.
Ainsi, les deux grands principes l’inviolabilité et l’indisponibilité du corps humain constituent les pivots du statut juridique.
Le principe d’inviolabilité affirme le droit de chacun d’être protégé des atteintes d’un tiers. Le respect de ce principe impose que le consentement de l’individu soit recueilli avant toute intervention sur son corps.
L’indisponibilité du corps humain tend à protéger l’individu de lui-même. Le corps humain n’est pas une marchandise et ne saurait devenir l’objet de commerce. En bref le corps n’est pas à vendre.
Ces deux principes sont en totale conformité avec les principes moraux du droit musulman.
La médecine, désormais encadrée par la loi est soumise au primat moral, en dépit des propos de Jean Bernard qui déclarait que « tout ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique »..
Le prélèvement d’organes chez une personne décédée en état de mort cérébrale, repose, en l’absence de refus exprimé clairement définie, sur le consentement présumé.
Si vous n’avez pas exprimé clairement votre refus, il devient possible légalement de disposer de vos organes après votre mort « à des fins thérapeutiques ». On est bien loin du geste spontané de générosité qui valorise le donateur.
Toutefois, si le disparu n’a pas exprimé sa volonté, la loi autorise la famille à disposer du corps et à s’opposer éventuellement au prélèvement.
En méconnaissant la volonté du défunt, en interprétant l’absence de refus comme un consentement, en limitant la présomption par la possibilité du refus familial et en transférant à la famille la responsabilité du choix qui revenait à la personne décédée, la seule directement concernée par le don, le législateur n’a pas favorisé l’application de la loi.
Cependant, en autorisant tout citoyen majeur à mentionner gratuitement sur sa carte d’identité la mention "donneur", le législateur a tenté de remédier à cette situation et de limiter les refus de la famille (la loi n°99 du 1er mars 1999). Les résultats n’ont pas été probants, mais l’idée de l’inscription sur la carte d’identité mérite d’être approfondie.
La loi a-t-elle répondu à ses objectifs ?
Elle avait deux objectifs assignés : légaliser la greffe à partir de donneurs vivants favoriser le développement du prélèvement d’organes sur des sujets en état de mort cérébrale.
L’étude des 873 transplantations rénales effectuées depuis juin 1986, complétant notre expérience personnelle, servira de base pour répondre à cette question.
Tout d’abord, le statut juridique du donneur vivant a assuré la protection légale du donneur et du transplanteur. Sur le plan pratique, la loi a favorisé la greffe entre vivants. L’hôpital Charles Nicolle qui en réalisait annuellement avant la loi, une quinzaine en effectue actuellement une trentaine.
Sur 873 greffes réalisées jusqu’au premier décembre 2008, 649 soit les trois quarts sont des greffes entre vivants. Leur nombre a quadruplé au cours des 3 années de 2005 à 2007, pour être multiplié par 7 en 2008. Cette augmentation est due également à l’entrée en lice de quatre nouveaux centres, à Tunis en 1993, Sfax en 1995, Monastir en 1996 et Sousse en 2007.
Les résultats concernant le prélèvement d’organes à partir d’une personne décédée sont plus mitigés. La moyenne annuelle des greffes à partir de donneurs en état de mort cérébrale stagne désespérément autour de la dizaine. L’ambiguïté législative du consentement présumé et les problèmes soulevés par la mort encéphalique se sont traduits dans la réalité tunisienne par un manque d’adhésion à cette pratique de prélèvement post-mortem. Cependant, en autorisant tout citoyen majeur à mentionner gratuitement sur sa carte d’identité la mention « donneur », le législateur a tenté de remédier à cette situation et de limiter les refus de la famille (la loi n°99 du 1er mars 1999). Les résultats n’ont pas été probants, mais l’idée de l’inscription sur la carte d’identité mérite d’être approfondie.
Malgré les progrès réalisés l’activité en transplantation rénale ne couvre pas nos besoins pour juguler l’inflation du nombre annuel des nouveaux dialysés estimé à 350.
Comment améliorer la greffe rénale ?
Deux actions permettront de pallier ce manque. La première c’est la promotion de la greffe entre vivants. Elle est réalisable rapidement par le renforcement des équipes pour permettre la réalisation d’une cinquantaine de greffes par an et par service et la mise en activité de deux nouveaux centres l’un à Tunis, l’autre à Kairouan. Ces mesures permettront de doubler le nombre des greffés.
La deuxième c’est la mise en place progressive du consentement et du refus explicites. La situation des dialysés en attente, rendu dramatique par la pénurie d’organes a fait de la greffe d’organes un problème de santé publique et un problème de société. Après une indispensable campagne d’explication et de sensibilisation, le citoyen sera appelé à exprimer librement son choix, donner ses organes ou refuser, lors de l’attribution ou du renouvellement de la carte d’identité (C.I.). La nouvelle C.I. portera la mention de "donneur" ou celle de "non donneur."
En conclusion, la loi, en précisant les conditions du don d’organes chez le vivant, a permis la pratique légale de la greffe rénale entre vivants. Ce mode de transplantation est en voie de développement et son amélioration nécessite le renforcement des équipes de transplanteurs. L’existence actuelle de ces équipes, ayant prouvé leur savoir faire et leur compétence est déjà suffisamment méritoire pour être souligné mais elle confirme également que l’institution hospitalo-universitaire et en particulier les services d’urologie sont l’habitacle naturel de la transplantation rénale et de la formation des futurs transplanteurs.
Par ailleurs, le remplacement du consentement présumé par le consentement ou le refus explicites amendera utilement la loi.
Dr Saadeddine Zmerli
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1- Livre : Islam et greffes d’organes
Mohamed Salah Ben Ammar
Editions Impak 2008
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