Cannes 2014: l'autre palme d'or ou comment on alimente l'intégrisme
Cette année, assurément, la palme d'or du festival de Cannes est iranienne et non turque. Elle illustre comment, par la pusillanimité des élites et leur hypocrisie, s’alimentent l’intégrisme et l’obscurantisme. Car nombre des lois actuelles dans les pays musulmans, quoiqu'illégitimes, tirent leur force légale de pareil silence. Il n’est plus à démontrer que c’est le silence des élites qui fait le lit de tout dogmatisme, cette banalisation du terrorisme. Ne parlons pas de leur compromission se présentant comme relevant de l’esprit de conciliation. Qu’on en juge!
Une innocence coupable
On a vu, lors de la cérémonie d’ouverture du festival, l’actrice iranienne Leila Hatami embrasser le président du jury du festival dont elle est membre. Et la voilà, face au tollé orchestré dans son pays par les plus fous des intégristes, qui présente ses excuses pour avoir «osé» un tel geste qui ne serait plus innocent!
Drôle de comportement d’une star qui sacrifie ses valeurs à sa carrière, puisqu’il est manifeste que ces excuses étaient commandées par les autorités de son pays.
En essayant de se justifier pour plaire aux tenants d’une morale pudibonde, Madame Hatami déshonore non seulement la femme iranienne — et au-delà toutes les femmes musulmanes —, mais aussi l’islam tout court en confirmant sournoisement l’idée qu’on en donne de religion intolérante, sexiste et haineuse.
Depuis quand le respect de l’islam contredit-il l’étalage des nobles sentiments ? Qu’est-ce qu’une bise donnée par une jeune femme à quelqu’un qui aurait pu être son père, sinon une haute preuve de moralité et de piété, celles-là mêmes que notre religion symbolise. Dieu n’est-il pas amour?
Madame Hatami n’avait pas le droit de se justifier ni surtout de justifier son baiser (sur la joue, faut-il le préciser!) par une erreur venant de M. Gilles Jacob, confirmant qu’il y avait faute et qu’elle était imputable à l'âge du respectable Monsieur. Quel manque de politesse, pour le moins!
Un islam qu'on viole
Certes, on nous parle de plainte déposée contre la star en Iran; et alors? C’est ainsi qu’agissent tous les terroristes usant de la morale en la dévergondant pour faire peur et imposer par la terreur leurs lubies. Or, tant qu’il n’y aura pas de justes pour braver les interdits illégitimes et rappeler à la vérité et à l’honneur ceux qui les foulent au pied, l’obscurantisme gagnera encore du terrain et le terrorisme prospérera.
Et comme il s’attaque d’abord aux mentalités, c’est à un tel lavage de cerveau qu’il est du devoir des élites de s’opposer; sinon, qu’est-ce qui justifie leurs supposées lumières? Et peut-on reprocher aux pauvres hères de leurs concitoyens d’être la proie aux professionnels de pareil lavage?
Avec ses excuses, l’héroïne du beau film d’Asghar Farhadi donne raison aux religieux intégristes de son pays qui parlent éhontément de chasteté en y portant eux-mêmes atteinte, la plaçant là où il ne faut pas. En islam pur, la chasteté n’a jamais été dans l’ostentation et l’apparence; elle est d’abord celle des cœurs dont nul ne saurait connaître le tréfonds, à part Dieu. Or, on sait que quiconque en islam se substitue à Dieu, jugeant les gens sur leurs propres suppositions, n’est qu’un hypocrite, et sa foi n’est point sincère.
Certes, on dit que le geste de l'actrice d'«Une séparation», qualifié d'inapproprié, est pour le moins contraire à la loi. Si celle-ci n'était qu'iranienne, on n'aurait eu rien à redire, chaque pays ayant ses valeurs. Mais on nous dit aussi que c'est une loi islamique; et c'est alors du rôle de tout musulman de s'élever contre une pareille atteinte portée à l'islam.
En effet, contrairement à cette loi qui est bien plutôt machiste qu'islamique, l'islam pur, en dehors des fausses interprétations, n'interdit pas le contact physique entre les sexes, même en dehors des stricts liens de famille; et ce n'est assurément pas un péché. Si un simple bisou est de nature à heurter les sentiments religieux des Iraniens, c'est que ces sentiments sont vicieux, pas ledit bisou qui est l'innocence même.
Voilà ce qu'aurait dû dire la célèbre actrice iranienne, quitte à risquer d'être bannie de son pays où elle encourt, malgré ses excuses, la sanction soi-disant islamique. Elle aura alors rendu service à se religion violée par les siens.
Il est temps à nos élites de cesser de cautionner l’altération monstre que certains des religieux se prétendant musulmans font à une religion noble et belle! C'est le silence qui fait les dictatures, car le silence des élites est forcément coupable.
Farhat Othman
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Je suis totalement de votre avis : "Mme Hatami n’avait pas le droit de se justifier ni surtout de justifier son baiser (sur la joue, faut-il le préciser!) par une erreur venant de M. Gilles Jacob, confirmant qu’il y avait faute et qu’elle était imputable à l'âge du respectable Monsieur. Quel manque de politesse, pour le moins! Si un simple bisou est de nature à heurter les sentiments religieux des Iraniens, c'est que ces sentiments sont vicieux, pas ledit bisou qui est l'innocence même."
N'étant ni musulman ni d'aucune autre religion, je suis toujours heureux de lire de tels articles. Il me semble pourtant que la charge de juger une personne revient à Dieu, pas aux hommes. Dieu n'a pas besoin qu'on le protège avec des lois humaines. Et la foi doit venir de l'intérieur, on doit la vivre de manière sincère et libre, pas de manière forcée.