Les médecins se défendent
Le baccalauréat en poche, les étudiants tunisiens qui optent pour la médecine imaginent qu’ils vont mener une existence trépidante et exaltante comme dans les séries américaines: Grey’s Anatomy, Scrubs, Dr House, Urgences… Et c’est effectivement ce genre de vie qui les attend après leur externat. Ils seront amenés à traiter des urgences et à sauver des vies. Montée d’adrénaline garantie !
Quant au grand public, il considère bien trop souvent les médecins comme des arrivistes dénués de principes moraux et attirés par l’appât du gain. On imagine à tort que l’ensemble des médecins roulent sur l’or et conduisent de grosses berlines. Ces stéréotypes s’appliquent bien à certains médecins libéraux, mais combien de praticiens ont aussi du mal à boucler leurs fins de mois, à ouvrir un cabinet médical, voire simplement à trouver du travail? Les délais d’attente pour des postes de médecins dans la santé publique peuvent parfois atteindre sept ans. Sept longues années où nos médecins sont obligés de se débrouiller: achat de gardes dans les hôpitaux publics ou dans des urgences privées, masters ne débouchant sur rien de concret ou postes de délégués médicaux.
Les médecins ne sont pas à plaindre, mais certains clichés ont la vie dure. Parmi les médecins et les futurs médecins, les internes et les résidents en médecine se situent en bas de l’échelle. Leur rôle est pourtant déterminant dans les hôpitaux publics où ils assurent une grande partie des soins et notamment les urgences. Lors de la grève de janvier 2014 qui dénonçait le projet de loi n° 2013/38 visant à instaurer un travail obligatoire de trois ans pour les nouveaux médecins spécialistes, les hôpitaux tunisiens ont été partiellement paralysés.
Cette «révolution du bistouri» a abouti au retrait du projet de loi incriminé et à la création de plusieurs commissions, manière pour le gouvernement de l’époque de noyer le poisson. Une de ces commissions vise à réviser le statut juridique des internes et des résidents en médecine et en médecine dentaire. Ce n’était certainement pas un luxe, sachant que le statut juridique des internes en médecine rédigé en 1976 a été abrogé en 1993. Depuis vingt ans, il existe ainsi un vide juridique qui n’a pas inquiété outre mesure les gouvernements successifs.
La partie syndicale entend réglementer les horaires de travail des internes et des résidents en se basant sur le Code du travail et la loi n° 83-112 portant statut général des personnels de l’Etat, des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif. En effet, ces praticiens en formation peuvent enchaîner des gardes de 48, voire 72 heures consécutives sans se reposer et travailler, dans les cas extrêmes, plus de 90 heures par semaine (alors que le maximum autorisé par le Code du travail est de 48 heures hebdomadaires).
D’autre part et contrairement aux résidents, les internes ne sont pas rémunérés pour leurs gardes, ce qui est une aberration.
Les syndicats demandent aussi l’instauration d’un repos de sécurité à l’issue de toute garde de nuit. Cette mesure a été appliquée en France dès 2003 et a été approuvée par l’Accreditation Council of Graduate Medical Education (ACGME) aux Etats-Unis. Comment peut-on en effet tolérer que des médecins soignent ou opèrent des patients alors qu’ils n’ont pas dormi la veille? Selon certaines études, le manque de sommeil entraîne « des perturbations cognitives comparables à une intoxication éthylique.»
Enfin, le sort des internes et des résidents étrangers et formés dans les facultés tunisiennes n’a pas manqué de faire réagir la partie syndicale qui souhaite que ces collègues arabes ou africains soient rémunérés selon les mêmes taux que leurs confrères tunisiens.
Les différents syndicats d’internes et de résidents ont récemment mis en ligne leur proposition de statut juridique. Ils espèrent que les droits de leurs adhérents seront respectés et ils se préparent à les défendre le cas échéant.
Proposition de statut juridique : http://karimabdellatif.wix.com/statut-int-rsd
Karim Abdellatif
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