Le programme économique du gouvernement Jomaa : Mettre la Tunisie sur la voie du redressement et de l'émergence
N'abandonnant pas sa plume d'économiste, auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, le ministre de l'Economie et des Finances, Hakim Ben Hammouda s'est exercé à conceptualiser Lle programme économique du gouvernement Jomaa. Le grand objectif assigné est fixé: "Mettre la Tunisie sur la voie du redressement et de l'émergence". Dans l'analyse qu'il a bien accepté de liver à Leaders, il rappelle les facteurs déterminants d'une situation économique des plus difficiles, présente la vision stratégique développée, esquisse les concontours du programme économique de redressement, ses principes et ses priorités et fait le point quant à l'avancement dans la mise en oeuvre.
L’adoption de la Constitution en ce début d’année 2014 en Tunisie a été un moment majeur que le monde entier a salué. Après des mois de tensions, une crise politique majeure, une irruption de la violence politique et on pensait que le pays s’orientait vers le pire, les tunisiens ont été en mesure de se ressaisir. Dans un élan consensuel et à une large majorité, l’ANC a adopté la qui a ouvert la voie à une transition démocratique apaisée. Cette constitution a pu rassembler les tunisiens après des mois de division et de séparation en les ancrant dans une identité arabo-musulmane ouverte sur les valeurs universelles de la démocratie et de la liberté. Cette synthèse constituera le fondement pour des décennies de l’être ensemble en Tunisie.
Dans le même élan, la Tunisie s’est dotée d’une commission électorale indépendante pour veiller au bon déroulement des prochaines élections. Elle s’est également donné un gouvernement de technocrates conduit par Mr Mehdi Jomaa et dont la feuille de route définie par le dialogue national a pour objectif de conduire la dernière étape de la transition en organisant les élections avant la fin de l’année, renforcer la sécurité et relancer l’appareil économique après des mois d’incertitude.
La relance de l’économie n’est pas une tâche aisée tant la crise politique de l’année 2013 a pesé sur les acteurs nationaux et étrangers. Il faut dire que notre économie traverse une zone de grande turbulence depuis l’avènement des printemps arabes en 2011. L’insécurité, les grandes mobilisations sociales, les sit-in et l’éclatement de revendications sociales réprimés durant des années ont assombri l’horizon économique, renforcé l’attentisme et découragé l’investissement. Ces nouvelles difficultés post-révolution ont renforcé l’essoufflement d’un modèle de développement mis en place depuis le début des années 70 et qui faisait de l’articulation entre un secteur exportateur basé sur les faibles coûts de main d’œuvre et des secteurs orientés vers le marché le cœur de la dynamique de l’économie tunisienne. Ce modèle avait atteint depuis de longues années ses limites. Les débats et les recommandations pour la structuration d’un nouveau modèle accélérant la remontée en filières de notre économie sont restés lettres mortes.
Ainsi, l’essoufflement du modèle de développement, les difficultés post-révolutionnaires et la crise politique de 2013 ont rendu la tâche de la gestion de notre économie et son redressement à l’aube de la nouvelle année, des plus ardues.
Une situation économique des plus difficiles
Conscient de ces difficultés, le nouveau gouvernement s’est attelé à la tâche de la définition d’un nouveau programme économique. Ce travail a commencé par un diagnostic de la situation économique et de ses défis. Un travail de longue haleine qui a été effectué par des équipes d’experts de différents départements et qui a montré l’ampleur des difficultés économiques de notre pays.
Parmi ces difficultés, nous avons mis en exergue :
- La crise des finances publiques héritée de plusieurs années d’accroissement rapide des dépenses publiques sans rapport avec l’évolution des recettes propres et particulièrement des recettes fiscales. La part des recettes propres du budget est passée de 82% en 2010 à 75% en 2013 faisant passer le déficit budgétaire de -1% à -6,3% durant la même période. Cet écart de plus en plus croissant entre les dépenses et les recettes devait se traduire fatalement par des tensions sur la trésorerie publique et que nous devons gérer afin que l’Etat puisse faire face à ses obligations. Mais, le plus important est que cette crise des finances publiques ne se limitera pas à l’année en cours et elle sera au cœur des préoccupations des prochains gouvernements, tant ce gap est devenu structurel et exige des réponses fortes,
- Ce gap entre les dépenses et les recettes propres a été à l’origine d’une grande montée de l’endettement public interne et externe. Il fallait faire face à l’augmentation des dépenses de l’Etat devant la pression sociale des années post-révolution et l’endettement a été le moyen utilisé pour subvenir aux nouvelles exigences sociales. La dette publique est passée de 1,8 milliard de dinars en 2010 à 4,1 en 2013. Elle a gagné près de 10 points en trois ans en passant de près de 40% du PIB à près de 50% en 2014. Le poids de cet endettement même s’il est observé dans la détérioration rapide de nos statistiques de la dette n’est pas ressentie dans la mesure où les délais de grâce ne nous permettent de voir l’acuité de cet problème. C’est à partir de l’année 2017 que les finances publiques et notre économie ressentiront l’ampleur de ce problème lorsque le service de la dette doublera par rapport à son volume actuel et passera de 3,6 à plus de 6 milliards de dinars entre 2010 et 2014,
- Une question importante lorsqu’on examine les performances publiques est celle qui concerne celles des entreprises publiques. Ces entités qui ont joué un rôle majeur dans le développement de notre pays ont commencé à connaître de grandes difficultés depuis quelques années et notre audit des comptes publics nous a permis de voir que les pertes cumulées des 27 principales entreprises publiques tournent autour de 3 milliards de dinars en 2013. Cette étude nous a aussi montré que la gestion des difficultés des entreprises publiques constituera un axe essentiel pour les prochains gouvernements,
- Les malheurs de nos équilibres macroéconomiques ne se limitent pas aux finances publiques et nos équilibres externes ont été également touchés. L’atonie de la production locale et nos exportations, une augmentation de la consommation, la hausse de la facture énergétique et la baisse du dinar ont été à l’origine du creusement de notre déficit commercial et l’assèchement de nos réserves en devises,
- Parallèlement à la détérioration de nos grands équilibres macroéconomiques, il faut souligner la faiblesse de la croissance et sa grande irrégularité. En dépit des politiques de relance mises en place par les différents gouvernements depuis 2011, nous n’avons pas réussi à retrouver le niveau de croissance d’avant la révolution qui était déjà considéré comme insuffisant pour absorber la demande additionnelle de main d’œuvre et particulièrement des jeunes diplômés issus du système universitaire. Après la grande récession de 2011, la reprise a été fragile et ne dépassera pas les 2,8% en 2014 en dépit de projections très optimistes de 3,6% lors de l’élaboration de la Loi des Finances,
- Il faut noter également une accélération de l’inflation dont le taux est passé en moyenne annuelle de 4,4% en 2010 à 6,1% en 2013,
- Les chiffres du chômage restent élevés avec un taux de 15,3% en 2013 et proche de 32% pour les diplômés,
- A un niveau plus structurel, il faut mentionner une forte baisse de l’effort d’investissement avec un taux d’investissement qui a perdu près de 5 points entre 2010 et 2013 passant de 24,6% à 20,2% du PIB. Parallèlement à cette baisse de l’investissement, il faut noter une détérioration de la productivité qui a connu une croissance de -0,4% en 2013,
- Cette situation économique a été à l’origine de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie par les principales agences de notation.
Notre audit de la situation économique nous a montré l’ampleur des difficultés et des défis de notre économie. Mais la question qui se pose est de savoir comment on en est arrivé là et comment expliquer la détérioration de la situation économique ? Une question à laquelle nous avons cherché à apporter une réponse scientifique e nous tenant à égale distance des tiraillements politiques. Au moment où tout le monde nous attendait dans le domaine du politique, on a choisi celui de l’analyse rigoureuse.
Qui est alors responsable de cette situation économique ? Nous avons indiqué que la dégradation de la situation économique est l’héritage de deux facteurs essentiels. Le premier est structurel et concerne l’essoufflement du modèle de développement hérité des années 1970. Rappelons que le début de la décennie 70 a été un tournant majeur dans les choix de développement adoptés par notre pays après l’indépendance. Jusque-là, la Tunisie indépendante avait opté pour un modèle auto-centré et tourné vers le marché intérieur.
La crise de la fin des années 1960 a été à l’origine d’un changement de paradigme de développement de la mise en place d’un modèle basé sur un équilibre entre les secteurs internes et les secteurs exportateurs. La Tunisie avait alors fait valoir ses faibles coûts de main d’œuvre à un moment où les industries intensives en travail en Europe connaissaient de grandes difficultés. Cet appel a trouvé preneur et les investisseurs ont afflué vers notre pays pour délocaliser leurs activités en mal de rentabilité. Ce modèle a permis à la Tunisie d’enregistrer d’importants niveaux de croissance et de connaître une décennie glorieuse.
Mais, l’accroissement de nos coûts de travail et la faiblesse de nos gains de productivité ont sonné le glas de ce modèle depuis de longues années. Il fallait opérer un changement profond dans notre modèle de développement et favoriser une montée de notre économie dans la chaîne globale des valeurs en orientant notre tissu productif vers de nouvelles activités intensives en technologie. Certes, quelques groupes tunisiens se sont dirigés vers de nouvelles industries notamment les secteurs des nouvelles technologies, les composantes automobiles ou aéronautiques et ont été en mesure d’enregistrer d’importantes performances.
Cependant, notre pays n’a pas été en mesure d’opérer un changement radical et de mettre en place un nouveau modèle de développement. Ces échecs sont à l’origine de plusieurs maux de notre économie notamment le chômage des diplômés, la faible productivité et les difficultés structurelles de notre balance commerciale. Notre incapacité à initier une nouvelle dynamique de développement est au cœur de la fragilité de notre croissance depuis une décennie et elle le restera tant que nous n’avons pas été en mesure de définir un nouveau modèle de développement.
A ces défis structurels, la crise actuelle trouve aussi son explication dans les politiques économiques de relance mises en place après la révolution. Ces politiques étaient nécessaires pour au moins deux raisons. D’abord, il fallait répondre à l’explosion de la demande sociale qui était tue par des années de dictature. Ensuite, l’incertitude et la peur de l’avenir lors des grandes crises ou des grands chamboulements historiques exigent une action vigoureuse de la part des pouvoirs publics afin de redonner confiance à la population et à l’ensemble des acteurs économiques et particulièrement le secteur privé.
Mais, comme pour beaucoup de politiques de relance, c’est la consommation qui a pris le pas sur l’investissement et a entraîné les déséquilibres que nous connaissons aujourd’hui. L’ensemble des mesures de relance ont été à l’origine d’une double dérive macroéconomique. La dégradation des finances publiques s’est accompagnée de celle de la balance courante avec une faible croissance économique et des horizons toujours incertains.
Ainsi, nous trouvons-nous en ce début de l’année 2014, devant une situation économique des plus complexes avec une dégradation des équilibres macroéconomiques et la faiblesse de la croissance et surtout des défis structurels de taille et une grande incertitude sur l’avenir. Une situation qui porte le double héritage de l’essoufflement du modèle de croissance depuis la fin du siècle passé et les effets du modèle économique de relance post-révolution.
Parallèlement à ces défis importants, il faut noter dans la Tunisie post-révolution la montée de la contrebande et du commerce parallèle. Certes, le phénomène n’est pas nouveau. On a enregistré la présence de ce phénomène notamment dans les zones frontalières. Mais, le délitement de l’Etat dans la période post-révolutionnaire a été à l’origine de l’explosion de ce phénomène. Une étude récente de la Banque Mondiale estime la valeur de ce commerce à 1,8 milliard de dinars et les pertes pour la Tunisie à près de 1,2 milliard de dinars dont 500 millions de recettes douanières. Ce phénomène pose un double défi pour l’Etat. D’abord, un défi politique et d’existence pour l’Etat tellement les contrebandiers ont pris de l’importance dans ses régions frontalières. Par ailleurs, la contrebande pose un problème sécuritaire avec les connexions démontrées depuis avec les réseaux terroristes. Par ailleurs, le développement rapide de ce phénomène pose de grands enjeux économiques avec la concurrence que les produits importés exercent sur les producteurs locaux et les pertes sèches de recettes pour l’Etat. Le rétablissement de l’autorité de l’Etat et la lutte contre la contrebande font également partie des grands défis de cette période de transition.
Une vision stratégique
Que faire dans ce contexte et quelle politique économique mettre en place ? Devrions-nous nous limiter à cette gestion au jour le jour de notre économie et assurer une conduite sans heurts de la période de transition ? Cette solution aurait été la plus facile à mettre en œuvre pour le gouvernement. Mais, nous avons choisi la solution de la difficulté en renforçant la gestion des équilibres macroéconomiques par le lancement d’une série de réformes essentielles pour l’avenir de la croissance et de notre économie.
Cependant, et avant de définir nos choix, nous avons cherché à mettre notre action et nos choix de politique économique dans une vision stratégique de l’avenir de notre pays. Il fallait répondre à la question de l’avenir à long terme et le projet que notre pays doit porter. Cette réflexion n’est pas étrangère au débat public en Tunisie particulièrement depuis la révolution. Plusieurs experts, intellectuels, partis politiques ou associations ont développé des éléments de réflexion et d’analyse quant à la nouvelle expérience que nous devons ouvrir dans nos horizons.
Cette réflexion stratégique ne doit pas se limiter à nos frontières mais doit inclure également les évolutions qui marquent le monde global. Plusieurs études et instituts stratégiques ont analysé les transformations structurelles qui touchent notre monde et qui vont peser lourdement sur ses tendances futures. Ces travaux ont mis l’accent sur la poursuite de la crise de l’économie mondiale et ses faibles performances particulièrement dans le monde occidental ce qui laisse la porte grande ouverte pour de nouveaux pôles d’émergence. Ces études ont souligné le rôle grandissant des nouvelles technologies, de l’innovation et de la recherche. Les études sur l’avenir de notre monde ont également insisté sur la rareté des ressources naturelles ce qui exige une gestion plus minutieuse des aliments, de l’eau et de l’énergie. L’accroissement des inégalités a mis à l’ordre du jour le caractère crucial de l’inclusion sociale et de l’égalité dans les sociétés démocratiques.
C’est un monde en ébullition et en transformation qui se dessine devant nos yeux et dans lequel nous devons trouver notre place. Cette question méritera de plus amples réflexions et un vaste débat public afin de construire un large consensus sur les orientations futures de notre pays. Mais, nous sommes persuadés que la transition démocratique et le consensus qui la porte peuvent donner un rôle stratégique à notre pays dans un espace qui va du Nord de l’Europe à l’Afrique du Sud. Dans cet espace, l’Afrique constituera selon tous les prospectivistes la prochaine frontière de la croissance globale. Les grandes multinationales, les banques, les institutions multilatérales et les grands pays ne s’y sont pas trompés en en faisant leur priorité.
La Tunisie pourrait dans ce nouvel espace et dans cette nouvelle recomposition de l’ordre mondial redevenir l’Ifriqya qu’elle n’aura jamais cessé d’être. Notre pays, fort d’un système démocratique consensuel et de nouvelles institutions transparentes, pourrait jouer le rôle d’un carrefour de rencontres et d’échanges. La Tunisie pourrait, au cœur de cette nouvelle dynamique économique, redevenir la nouvelle économie émergente de cet espace de près de 2,2 milliards d’habitants, ce qui représente plus du tiers de la population mondiale. Les avantages de notre économie sont incommensurables notamment nos relations historiques avec la plupart de ces pays, une jeunesse formée dans les nouvelles technologies et qui est impatiente de montrer l’ampleur de ses connaissances et de son savoir-faire, et enfin un positionnement géographique qui fait de notre pays un véritable carrefour de cette région. Mais, ce carrefour sera aussi ouvert sur d’autres espaces géographiques notamment l’Amérique du Nord, l’Asie et l’Amérique latine.
Mais, pour faire de notre pays l’économie émergente de demain et un pôle de croissance, il est nécessaire de le mettre sans plus tarder sur la voie du redressement économique. A court et moyen termes, les objectifs de notre politique économique doivent corriger les déséquilibres macroéconomiques, relancer la croissance, accélérer les réformes économiques et renforcer la solidarité et l’inclusion sociale. Si l’émergence est la perspective stratégique de notre pays, le redressement économique est le programme à court et moyen terme. Le redressement sera le fondement de l’émergence future.
Une politique économique de redressement
La faiblesse de la croissance économique et la détérioration des grands équilibres macroéconomiques nécessitent aujourd’hui la mise en place d’une politique de redressement économique. Ce redressement est nécessaire pour plusieurs raisons. La première est qu’il est urgent de mieux maitriser et de faire face à la dérive des grands équilibres. La seconde raison réside dans le besoin de consolider la croissance et de la renforcer afin de répondre aux défis de notre économie. Enfin, le redressement et la reprise de la croissance sont essentiels pour faire face à nos engagements internationaux notamment à partir de 2017 lorsque les dettes contractées à partir de 2011 arriveront à maturité.
Le redressement économique ne se réalisera pas d’une baguette magique. Il s’agit d’efforts patients que notre gouvernement commencera mais que les prochains gouvernements poursuivront de manière persévérante.
Mais, le redressement économique exige un environnement préalable et nécessaire. Dans cet environnement, nous devons mentionner le consensus politique et la conduite de la transition de manière pacifique et civile. La Tunisie s’est déjà engagée sur cette voie et doit persévérer. Par ailleurs, le redressement exige le renforcement de nos efforts afin de répondre aux défis sécuritaires et de faire face à la menace terroriste. D’importants efforts ont été effectués dans ce sens avec des réussites majeures. Mais, cet effort doit se poursuivre.
Ainsi, contrairement à ceux qui disent que nous n’avons pas de stratégie économique ou que nous appliquons les choix des institutions internationales, il est important de souligner que le redressement économique est notre choix de politique économique. Cette option répond aux défis et aux difficultés actuelles de l’économie tunisienne.
D’autres aussi préfèrent voir dans notre politique économique des choix imposés de l’extérieur et particulièrement des institutions internationales. Comme nous l’avons souligné, ces options et les priorités définies par notre gouvernement proviennent d’une analyse rigoureuse de la situation économique et répondent à ses défis.
Le redressement économique exige aussi et au plus vite le rétablissement de l’autorité de l’Etat. Certes, cet objectif est d’ordre politique mais ses effets économiques sont immenses dans la mesure où ils contribuent au rétablissement de la compétitivité des acteurs économiques qui subissent une concurrence déloyale de la part des contrebandiers. Par ailleurs, le rétablissement de l’autorité de l’Etat et de son contrôle permettra de dégager des ressources supplémentaires qui viendront aider les finances publiques.
La politique de redressement économique : quelques principes
La politique de redressement économique que nous avons définie suppose quelques principes essentiels. Le premier est de rompre avec la dynamique post-révolutionnaire qui met l’accent sur la demande et particulièrement sur une croissance portée par la demande de consommation. Il s’agit de fonder une nouvelle dynamique où l’investissement doit porter les dynamiques de croissance.
Le second principe concerne l’importance des objectifs de stabilisation afin de faire face à la dérive des déficits macroéconomiques. Mais, en même temps, cette stabilisation doit s’accompagner d’un effort en matière de croissance afin qu’elle ne se transforme pas en une austérité qui compromet les chances des générations futures.
Le troisième principe met l’accent sur la dimension sociale dont la révolution a montré la grande fragilité. La gestion de la crise doit prendre en considération cette dimension et doit surtout protéger les classes sociales les plus fragiles qui ne peuvent supporter des mesures d’austérité.
Le quatrième principe est celui du dialogue et du consensus. Ces deux principes ont montré leur importance dans la gestion de la crise politique de 2013 et constitue les spécificités de la jeune démocratie tunisienne. Ces principes peuvent également jouer un rôle important dans la gestion de la crise économique. Cette conviction a poussé le gouvernement à organiser le dialogue économique national. Il s’agit en l’occurrence du premier débat économique ouverte et transparent dans l’histoire de la Tunisie post-indépendante. En dépit des difficultés, ce débat a ouvert un espace de dialogue et d’échange et a permis à de larges secteurs de mesurer l’ampleur des difficultés économiques de notre pays.
De grandes priorités économiques
A partir de cette analyse des défis et des enjeux de cette période de transition, nous avons défini une série de priorités économiques. La première de ces priorités est le rétablissement de l’autorité de l’Etat et une lutte sans merci contre la contrebande, le commerce parallèle et l’évasion fiscale. Cette bataille sera de longue haleine tant l’autorité de l’Etat a été mise à mal depuis la révolution. Elle exigera un travail patient et sur le long terme. Mais, elle demandera également de l’énergie et une détermination de tous les instants. Ce gouvernement a engagé cette bataille et les visites du Chef du gouvernement à Ras Jedir, à la frontière algérienne et aux ports de Radès et de La Goulette sont significatives de cet engagement pour faire face à ce fléau qui est en train de ruiner l’Etat et l’économie de notre pays. Cet engagement doit se poursuivre avec la même fermeté et la même énergie afin d’éviter que l’Etat ne cède devant les avancées des barons de la contrebande.
La seconde priorité est liée au rétablissement des grands équilibres macroéconomiques. La crise actuelle a été à l’origine d’une détérioration des finances publiques et de la balance courante. La stabilisation devient un enjeu essentiel pour notre économique pour maintenir les deux déficits à un niveau tolérable. Le gouvernement a entamé des efforts pour assurer une plus grande stabilisation macroéconomique et pour retrouver une plus grande marge de manœuvre dans la gestion de sa politique économique.
La troisième priorité de notre politique économique est relative à la croissance. Car une stabilisation macroéconomique peut se transformer en politique d’austérité si elle n’est pas accompagnée d’une politique de croissance. A ce niveau, après les difficultés des politiques de relance publique, il est nécessaire d’accélérer les investissements publics notamment en facilitant les procédures des marchés publics et en encourageant l’investissement privé à sortir de sa léthargie et de son attentisme. Une relance de l’investissement interne renforcera la croissance économique et encouragera également les investisseurs internationaux à reprendre
La quatrième priorité est liée aux réformes économiques. Notre pays a hérité d’institutions rigides qui ont connu de grandes difficultés. Qu’il s’agisse du financement de l’économie, de la fiscalité ou de la subvention, notre pays est devant un défi essentiel lié à l’échec des grandes institutions qui ont fondé le développement de notre pays depuis le début des années 1970. Aujourd’hui, il devient urgent de rénover les banques, la fiscalité tunisienne ainsi que le système de subvention. Ces réformes sont d’autant plus importantes que des institutions solides et rénovées constituent la base de notre croissance future.
Enfin, la dernière priorité est liée à la solidarité et à l’inclusion sociale. La révolution a montré l’ampleur des inégalités et de l’exclusion sociale dans notre pays. Et depuis un important effort de reconstruction du rapport social a été entamé avec notamment la signature d’un nouveau contrat social et les efforts doivent se poursuivre dans ce domaine afin de faire de la solidarité et de l’inclusion le cœur du modèle social post-révolutionnaire.
En définitive, le rétablissement de l’autorité de l’Etat, la stabilisation macroéconomique, la relance de la croissance, l’accélération des réformes et l’inclusion et la solidarité sont les grandes priorités économiques du gouvernement Jomaa.
Où en sommes-nous dans ce parcours?
En dépit des difficultés, le gouvernement a réalisé lors de ces premiers mois plusieurs actions afin de réaliser ses objectifs économiques.
D’abord, des actions énergiques ont été entreprises en matière de lutte contre la contrebande et le commerce parallèle. Des plans de renforcement des postes frontaliers et des contrôles douaniers et policiers ont été mis en place et poursuivis de manière régulière au niveau le plus élevé.
Pour ce qui est de la lutte contre l’évasion fiscale, il faut noter les efforts de l’administration fiscale en matière de recouvrement ce qui a été à l’origine d’une amélioration des recettes fiscales. Par ailleurs, le gouvernement va mettre en place le décret qui réduit le recours au régime forfaitaire et renforce la place du régime réel.
Mais, l’effort de l’Etat dans la lutte contre la contrebande et l’évasion fiscale doit se poursuivre et se renforcer.
La stabilisation macroéconomique a fait l’objet de quelques actions de la part du gouvernement. En matière de réduction du déficit budgétaire et parallèlement à la réduction des salaires des membres du gouvernement qui un effet symbolique, la réduction et une plus grande maîtrise de cet équilibre font partie des priorités du gouvernement. La Loi des Finances complémentaire de 2014 et la Loi des Finances de 2015 seront l’occasion pour prendre des mesures plus énergiques afin de réduire de manière forte ce gap insoutenable entre les dépenses de l’Etat et ses recettes propres.
En même temps un important travail de mobilisation de nouvelles sources de financement a été effectué. La réussite de l’emprunt national qui représente une importante manifestation de mobilisation citoyenne constitue un élément essentiel dans cet effort de financement de l’économie.
Pour ce qui est de l’équilibre externe, une série de mesures ont été arrêtées afin de relancer les exportations et réduire les importations. La bonne saison agricole ainsi qu’une plus grande rationalisation de la consommation énergétique devrait réduire les pressions fortes exercées sur la balance commerciale.
Le gouvernement s’est également attaqué à l’investissement et aux conditions pour assurer sa relance. Ainsi, un nouveau code de passation des marchés publics a été mis en place ; il devrait accélérer la mise en place des projets d’investissement. Par ailleurs, une Task Force de suivi des projets d’investissement public bloqués a été mise en place et a visité un grande nombre de régions afin de relancer les projets et d’accélérer leur mise en œuvre. Cette task force a permis la reprise des travaux de grands projets comme l’autoroute Sfax-Gabès ou Sfax-Médenine et plusieurs autres projets de routes secondaires.
Le travail du gouvernement pour renforcer la relance de la croissance a porté sur certains secteurs stratégiques notamment les mines et l’industrie chimique où on a assisté à une reprise des activités. Par ailleurs, le secteur agricole s’annonce prometteur après une année difficile. Le tourisme, en dépit des problèmes sécuritaires et des polémiques politiques, devrait enregistrer de bons résultats.
Dans le volet des réformes, le gouvernement a effectué un important travail dans le domaine bancaire avec l’adoption d’une nouvelle stratégie articulée autour de cinq piliers. Le gouvernement doit finaliser et adopter le programme de recapitalisation des banques publiques et définir une feuille de route pour chacun des piliers de la nouvelle stratégie bancaire. Le gouvernement a accéléré les efforts dans le domaine de la réforme fiscale qui nous permettra d’adopter une nouvelle fiscalité plus juste et plus équitable avant la fin de l’année.
Dans cet effort de réformes, le gouvernement a décidé d’ouvrir le débat sur le nouveau modèle de développement ainsi que les nouveaux secteurs prioritaires qui vont porter la croissance économique des prochaines années.
Le volet social fait également partie des priorités du gouvernement. Ainsi, de nouvelles relations basées sur le dialogue et la confiance ont été mises en place entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Le dialogue social a été à l’origine d’une augmentation du SMIG et du SMAG et de la mise en place d’une série d’accords signés entre le gouvernement et l’UGTT dans la fonction publique. Enfin, il faut noter la mise en place du contrat social et du Conseil national de dialogue social.
Ainsi, le gouvernement a réussi en peu de temps à mettre en place des actions vigoureuses pour mettre le pays sur la voie du redressement économique. Est-ce suffisant ? Nullement. Cet effort de redressement doit se poursuivre de manière patiente et déterminée afin de sortir de la crise économique et d’entamer une croissance forte qui fera de notre pays le pôle d’émergence de demain.
Hakim Ben Hammouda.
Ministre de l’Economie et des Finances.
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