News - 30.10.2014

Législatives :Impressions d'un président de bureau de vote

En qualité de  journaliste ayant couvert des échéances électorales depuis les années 80 sans avoir eu la possibilité de vivre néanmoins cette expérience dans son intégralité pratique de l’intérieur  c‘est à dire: un accès  direct et impliqué au préparatifs et au  déroulement des opérations de vote et de dépouillement  des bulletins; j’étais admis -après les formalités requises par l’isie (instance supérieure indépendante des élections) en tant que président d’un bureau de vote (circonscription de Manouba). Un poste d’observation idéal.

Après avoir suivi deux sessions intensives de formation et de brain storming assurés par des formateurs  tunisiens autant sympathiques que  maîtrisant les données et bien potassé la documentation explicative suivra une mémorable journée avant le jour j: le 26 Octobre date du scrutin.

Difficile en effet de passer outre le samedi 25/10 date entamée par un coup de fil matinal de l’irie (instance régionale) par le biais d’une voix féminine m'enjoignant de me présenter au  centre de vote en vue «de réceptionner contre décharge» le matériel et les documents nécessaires au déroulement des deux opérations précitées.

J’expédie d’un jet l’ expresso derrière le gosier. A 9 heure du matin, je me pointe  au centre qui n’est autre qu’une école primaire donnant sur une longue rue grouillante d’un quartier où marchands ambulants; habitués  des cafés et passants s’y bousculent la journée durant. Les murs étaient tapissés des manifestes électoraux de quelques unes des 59 listes que compte la circonscription. Une porte métallique s’ouvre. Elle est séparée de  la rue  par une  barre de fer servant de bouclier. Dans le souci d’éviter que les écoliers ne se projettent contre les véhicules à leur sortie – souvent  précipitée de l’établissement. Je remarque  des jeunes hommes en chemise blanche et pantalon noir jettent à l’entrée des flopées  de flyers d’une formation  politique dont on dit qu’elle a  pognon sur rue …. C’est le cas de le dire. Un éboueur a été chargé de nettoyer la paperasse. Mutisme électoral oblige.

Au hall  des collègues sont accueillis courtoisement  par le directeur de l’établissement  qui s’est mis sur son 31.
Les salles de classe ont été vidées de leurs tables et chaises. Elles tapissent dans des formes géométriques  l’espace dégagé et propre de la recréation .Au milieu  de la cour flotte le drapeau national. L’endroit respire le calme par rapport à l’extérieur.  Echanges  de quotidiens du jour et bavardages.

Vers 11 heures arrive un camion de l’armée nationale  qui  libère  son petit contingent de soldats en tenue  verte  et godasses bien cirées .Il est placé  sous les ordres  d’un gradé. Salamou aleikom (salutations ). Mais point du matériel attendu. Rappel téléphonique de l’irie qui intime –sans explication – que l’on revienne  à 14 heures pm. A l’heure dite tout le monde concerné  se pointe. Que dalle il faut poireauter jusqu’à 19 h. A l’heure dite encore silence radio: il faut encore  poireauter et le rendez  vous est renvoyé à 11 heures du soir. Encore une attente vaine  jusqu’à 1 heure du matin. Certains membres de bureaux habitent à  la lisière du gouvernorat.

- Rentrez chez vous, dit la cheffe du centre, et  filez moi les  numéros de portable. Je vous  appelle dés que le matériel se soit arrivé. Sa mine était triste. Mais que faire elle doit assumer sa responsabilité. Une femme -courage.
- Ah bon le matériel s’auto-achemine maintenant; rétorquais-je. Mais pourquoi ce va et vient alors que notre centre se situe à dix minutes de route du centre de dispatching!!

Réalise-t-on  qu’on est  déjà  dimanche et que les bureaux de vote doivent être aménagés préalablement  pour ouvrir  à 7 heures du matin! Patience. Je rentre illico chez moi en m’aspergeant d’une douche écossaise. Une façon  de vaincre   la lassitude.

vers  3 h10 du mat; le  téléphone retentit –Bonjour. Retour sur le lieu .Enfin vers 3H45 des gaillards endossant le dossard de l’isie débarquent en vitesse pour  délivrer badges- feuille de présence et colis  de matériel  arrachant  une signature de décharge .

Faites confiance dit l’un d’eux; s’il manque des éléments ils seront délivrés demain.
- Mais demain c ‘est déjà aujourd’hui; cher monsieur!
- Au revoir et bonne continuation.

Au café du coin

Heureusement. En  déballant le matériel du bureau  à bibi désigné  tout y est. Maintenant, il faut resceller l’urne et porter  les numéros au procès verbal de l’opération de vote. Sans cette procédure on rate- en principe- le coup d’envoi de l’opération. Les collègues absents devraient rejoindre leur poste  à 6 h du matin. Allez, ce n’est  pas le moment  de se dégonfler. Maintenant il faut agencer les tables du travail et les isoloirs. Le temps semble s’immobiliser et le dateline se profile. A l’aube; un cri strident  émanant de quatre hauts parleurs– perchés au  haut du minaret  dominant  l’établissement- appelle les fidèles à la prière. A chacun sa prière. Je fais un saut au premier café du coin  pour  un double expresso serré .Mince pas d’oseille  dans la poche!. Qu’importe le serveur est une  connaissance du quartier.

Retour à la hâte au bureau. Il est 7 heures du matin et la file commence à se former. Disciplinés et stoïques; les électeurs étaient souriants. Les hommes fraîchement rasés; des bambins et des femmes  aux couleurs bariolées. La vue de ces mines joyeuses me rassurent quant à la détermination citoyenne. La démocratie  prend racine.

7H15: démarrage de l’opération de vote. La file est toujours disciplinée  alors que je suis quelques peu médusé en pensant que si l’on parvenait  un jour disposer d’ autant d’autobus de transport public  que de bureaux de vote; les usagers  ne feraient plus de bousculade adrénalinées pour rejoindre le boulot ou leur domicile ( trêve de rêve). Une électrice  s’est trompée de choix. On lui file un autre bulletin de  vote. Elle en a le  droit ; une seule fois.

C’est  le premier  bulletin  altéré ou périmé  qui sera consigné – en toute discrétion -  dans une enveloppe.

Quelques minutes plus tard un jeune aux yeux gonflés et visiblement surexcité se dirige vers l’isoloir  vociférant  un charivari franco-tunisois.

  • Que se passe-t-il monsieur
  • J’ai raté ma croix
  • Qu’importe vous avez droit à un deuxième et dernier essai.

En  lui tendant un second bulletin il s’acharne à dépecer  le premier en hurlant:
«tous des nahdhaouis put….de mer...e». Ayant réussi à le calmer  en demandant à un membre du  bureau de bloquer la porte de sortie pour lui soutirer le bulletin déchiré. Il a maintenant le choix  entre quitter la salle  sans tapage ou avoir affaire aux agents de l’ordre. Il quitte la salle en rasant les murs devant  l’étonnement des représentants des listes des candidats et  des observateurs de la société civile.

Il n’y a pas  doute que ce jeune «mercenaire» était  soudoyé pour foutre la gabegie. Soudoyé par qui? La fête de la démocratie s’est poursuivie dans la sérénité. Aux intervalles creux  je me suis arrangé pour que les trois autres membres de mon bureau puissent aller accomplir  -à tour de rôle leur devoir électoral-Les enfants en bas âge  accompagnant leurs parents ont  eu droit à des selfies et un bout du  doigt imprégné- face à l’encre indélébile. Ne sont-ils pas les éligibles et les électeurs de demain!

Un sommeil fragmenté

A 18H18-l’opération  de vote a pris fin. Une longue nuit  attend –par ailleurs  la deuxième partie; à savoir l’opération de dépouillement .Elle sera fatigante sous l’œil attentif et du fair play des représentants des formations politiques-des ong locales (une mention spéciale à  ATID-Mourakiboun-le pôle civil pour le  développement –la Ltdh  -jeunes sans frontières; la consœur de radio express fm .et des organisations internationales  ( le national démocratic institute  (ndi) et l’international institute for democracy and electoral assistance (idea). Excusez  les autres omission involontaires.

Quelques minutes après 11 heures; l’opération manuelle de dépouillement arrive à terme. Sans interruption comme l’était l’opération de vote. Applaudissements.

A présent ; il faut remettre  tous les documents sous scellés avant d’afficher à la porte du bureau une copie du procès verbal des résultats.

A minuit ; le calvaire n’est pas au bout de la peine .Avec l’aide du collègue H.chtourou; il faut adresser par sms via l’application ussd  adoptée par l’isie  les résultats de dépouillement  des 59 listes en lice. Une séance  de pianotage  entrecoupée de quelques miaulements de félins  insomniaques.

En regagnant le home vers 3 heures de la matinée du lundi 27 octobre; je plonge dans un sommeil  fragmenté  jusqu’à 3 heures de l’après midi .Au réveil la famille était  curieuse de savoir comment avais-je tenu le coup. Réponse: d’abord des milliers de collègues  étaient dans mon cas à travers  le territoire national et  à l’étranger. Ensuite  la démocratie  émergente en Tunisie mérite de tels sacrifies. Quant à la fatigue il faut la mettre  sur le compte du jet lag auquel les journalistes sont peu ou prou habitués.

H.O

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.