L'économie face aux aléas de la Présidentielle.
Le régime politique mixte pour lequel a opté la Tunisie impose une collaboration étroite entre le Président de la République, légitimé directement par le suffrage universel, et le chef du gouvernement légitimé par la majorité parlementaire.
La Tunisie a besoin économiquement d'un couple efficace à sa tête. Il s'agit d'une évidence qu'il est inutile d'argumenter. Néanmoins, au delà des problèmes sociaux et sécuritaires, la Présidentielle émettra un message économique de la plus haute importance pour les investisseurs, qu'ils soient locaux et étrangers.
Il est aussi illusoire de croire que la relance économique est garantie que de croire qu'elle était garantie lorsque Ben Ali est parti. L'économie Tunisienne court encore un grave danger dont les causes sont identiques à celles que j'avais exposées dans ce site même avant les élections de 2011 (http://www.leaders.com.tn/article/economie-coup-d-etat-de-l-etat), et qui, à mon sens, demeurent encore tout à fait valables pour le prochain quinquennat.
Maintenant que les problèmes de confiance et de crédibilité sont admis comme étant très importants pour le redémarrage de l'économie, il est utile de se pencher sur l'image quinquennale renvoyée par la Tunisie après la Présidentielle, indépendamment de ce disent les sondages. Il est important de savoir que l'image économique est différente de l'image politique, sociétale ou spirituelle. Important aussi de savoir que ce qui attire les diplomates n'est pas forcément ce qui attire les investisseurs. Et que ce qui attire les créanciers et les Banques mondiales, plus enclins à privilégier la garantie patrimoniale à la rentabilité, n'est pas aussi ce qui attire les investisseurs. Un dictateur "conciliant" peut même être préféré à un leader populaire et charismatique élu démocratiquement. L'exemple le plus frappant est celui d'Hugo Chavez qui, grâce à la manne pétrolière, pouvait se permettre de faire carrément campagne contre les investisseurs étrangers qui "viennent piller" le Venezuela en faisant baisser les investissements directs étrangers (http://www.lapresse.ca/international/200809/08/01-665782-les-investisseurs-etrangers-viennent-piller-le-venezuela-selon-chavez.php).
Hypothèse 1: M. Caïd Essebsi est élu Président
Dans ce cas, le couple "gouvernemental" sera compatible par "nature". Obtenir la vingtaine de voix manquantes pour la majorité sera jugé comme simple formalité politicienne. C'est la configuration la plus classique dans les pays démocratiques où une majorité dirige et où une opposition s'oppose en attendant son tour. Hormis les rares périodes de cohabitation, cela a toujours été le cas dans un pays comme la France. Economiquement, le couple Président et Premier ministre sera jugé crédible et fonctionnel par les observateurs économiques.
Seul bémol, les orientations économiques de Nidaa ne sont pas encore claires. Le couple Président et Premier Ministre devra résoudre la question de diversité des courants à l'intérieur de Nidaa. Le message de la Présidentielle sera en quelque sorte redondant avec celui émis par les législatives. De plus, le fait que Nidaa ne semble pas vouloir assumer sa victoire en cherchant à faire des consensus avec son opposition est de nature à inquiéter ceux qui s'attendaient à une prise en main ferme du pays. La recherche permanente du consensus national est une particularité Tunisienne qui indique la présence d'une majorité qui veut le pouvoir mais qui cherche à fuir ses responsabilités derrière des décisions collégiales. Les marchés sont habitués à voir les vainqueurs prendre les commandes.
Néanmoins, une défaite de M. Essebsi aux présidentielles rendrait forcément le message de la Présidentielle quelque peu contradictoire avec celui des législatives un mois plus tôt. Ce manque de cohérence dans le vote des Tunisiens ne sera pas facile à expliquer aux marchés. Hormis pour BCE, il est inquiétant de voir les autres candidats ne pas évoquer leur capacité à pouvoir collaborer avec M. Essebsi et le futur gouvernement "Nidaiste".
Hypothèse 2: M. Marzouki est élu Président
Le couple gouvernemental sera jugé impossible à faire fonctionner. Aucune relance économique n'est sérieusement envisageable. Le blocage total à la tête de l'Etat paraitra inévitable. Les acteurs économiques attendront les prochaines élections et rien ne se fera dans un pays où le mépris, voire la haine réciproque caractérise aujourd'hui le couple qui sera au pouvoir.
Le divorce par dissolution de l'assemblée sera jugé souhaitable et tous les observateurs attendront cet heureux évènement.
Hypothèse 3: M. Hammami est élu Président
Rien n'est plus effrayant pour les investisseurs qu'un Président Communiste. En 1981, l'arrivée au pouvoir de socialistes, "communistes particulièrement modérés", a provoqué une panique chez les patrons Français.
Hypothèse 4: M. Riahi est élu Président
Le couple Président & Chef du gouvernement sera économiquement polarisé vers le droite libérale de part l'image Présidentielle de riche patron centré sur les entreprises. Au cas où la victoire se fait contre M. Essebsi au deuxième tour, ce sera même l'un des rares cas de l'histoire où la classe populaire semble plus libérale que son élite. Ceci qui est particulièrement rassurant pour des investisseurs. Au sein de Nidaa, les courants à droite seront favorisés par rapport aux autres courants. Une Troika forcée de raison plus que d'amour Nidaa , UPL complétée probablement par Afek aurait la majorité absolue et tous les pouvoirs pour diriger le pays.
Le couple "gouvernemental" aura forcément, de par nature libérale, la sympathie des investisseurs et probablement des créanciers. Il faudrait même s'attendre à des bras de fer entre l'Etat et les syndicats qui seront fort appréciés par ceux qui estiment que ces derniers ont pris trop de pouvoirs.
Reste évidemment à résoudre les problèmes de compatibilité de personnes dans le couple "gouvernemental". Néanmoins, ce cas est probablement le cas le moins inquiétant en termes de perception par les investisseurs pour ce qui est de la discordance entre le message des législatives et de la Présidentielle. Au delà des problèmes à court terme, le citoyen Tunisien sera catalogué libéral avec un centre d'intérêt autre que la question religieuse.
Hypothèse 5: M. Frikha est élu Président
Il s'agit d'une revanche claire de l'islamisme. La bipolarisation de la scène politique autour de l'axe de religieux sera perçue comme quasi définitive pour la Tunisie et voulue même par les Tunisiens. Nous serons alors dans un scénario classique de cohabitation à la Française avec, néanmoins, un contexte politique moins stable. M. Frikha, ingénieur des grandes écoles Françaises, capitaine d'industrie, islamiste classé modéré, sera bien accepté par les investisseurs. En réalité, pour les investisseurs, ce scénario règlera de facto le problème de la succession et de leadeship au sein du mouvement islamiste, sonnera le glas de la victoire interne définitive du camp modéré et ferait de Mr Frikha le nouvel Erdogan et l'homme fort du parti Islamiste.
Pour tous les observateurs, la Tunisie sera une nouvelle Turquie. La visibilité à moyen et long terme est claire alors que l'efficacité du couple au pouvoir à court terme sera tributaire de calculs politiques quasiment impossibles à prévoir entre deux grandes formations politiques appelées à se combattre de nouveau.
Hypothèse 6: Un Président avec un parti faiblement ou non représenté au parlement est élu
Il s'agit d'une configuration quasi inconnue dans le monde. Presque du jamais vu. Autant dire que cette situation n'est pas interprétable par les observateurs économiques et le stand by des investisseurs sera naturellement de rigueur jusqu'à l'émission de signes plus clairs.
Conclusion
Quel que soit le message donné par les Tunisiens par leur vote à la Présidentielle, il est évident que ce n'est pas uniquement cela qui déterminera la réussite économique du pays. Dire aux investisseurs ce qu'ils veulent entendre est une chose, être crédible à leurs yeux en est une autre. La démagogie a très peu d'impact sur eux et l'expérience de ces 4 dernières années le prouve. Les agences de notation ont fait baisser la notation de la Tunisie bien avant le résultat des élections de 2011 alors que l'image de la Tunisie était encore au top et que les Tunisiens apparaissaient comme un peuple héroïque. Les Tunisiens doivent savoir que la paix et la sécurité sont probablement suffisantes pour attirer des touristes mais certainement pas suffisantes pour attirer des investisseurs.
Contrairement à un régime dictatorial, en démocratie, l'orientation idéologique du peuple compte énormément sur le plan économique. La bipolarisation autour de l'axe religieux n'a fait qu'augmenter le flou autour de la polarisation économique du peuple Tunisien. A défaut d'être peureux, le capital n'aime pas les incertitudes et l'absence de visibilité à moyen et long terme. Plus que les interrogations identitaires, ce sont les lois relatives à l'investissement, à la fiscalité, au travail et à la liberté des mouvement des capitaux qui l'intéressent le plus. La théorie économique, bien connue des investisseurs, pousse à penser que la politique de rigueur annoncée et induite par la pression des créanciers internationaux laisse entrevoir des moments difficiles en termes fiscaux et sociaux. L'attentisme risque d'être encore la règle en matière d'investissements, quelque soit l'effort de propagande du Gouvernement et même dans les cas favorables où le couple Président et Premier ministre est jugé viable.
Les messages économiques envoyés aux investisseurs pendant les campagnes électorales ont été très négatifs. La Tunisie a un lourd passé en dirigisme Etatique. L'Etat providence qui promet tout et n'importe quoi trône encore en "sauveur consensuel" incontesté et quasiment idolâtré au milieu de l'économie. Aucun politicien ne pense à appeler les Tunisiens à se remettre au travail. Le travailleur qui veut travailler moins tout en réclamant des augmentations par pression syndicale est désormais l'un des problèmes majeurs avancés par les entrepreneurs. Tous les Tunisiens le savent.
A l'aube d'une razzia fiscale annoncée, la crise de confiance et d'incompréhension entre l'Etat et les investisseurs est à son summum. Les patrons sont inquiets et l'Etat ne comprend pas pourquoi ils ne tombent pas sous son charme et ses tentatives répétées de séduction. Les islamistes ont tout fait, jusqu'à quitter le gouvernement. et donner la main économique à une quartette dominée par le patronat et le syndicat. Au risque de heurter les préjugés martelés médiatiquement, les dinars amassés par l'impôt et taxes futures seront inutiles dès qu'ils s'agira de payer des dettes en devises. Ils ne serviront qu'à engraisser davantage un Etat en perpétuelle expansion et qui s'apprêtes à asphyxier et presser davantage l'économie. Comme en 2011, je me dois encore d'avertir que les médecins traitants de notre économie confondent encore entre le poison et l'antidote.
En économie Nationale, il n'y a aucun débat sérieux sans que le rôle de l'Etat ne soit posé sur la table. Plus d'Etat ou moins d'Etat, plus de redistribution ou moins de redistribution sont les thèmes centraux d'un débat économiquement sérieux. Les débats économiques en Tunisie ne sont pas sérieux. Ils peuvent même être qualifiés de totalement délirants lorsqu'on les voit éluder le plus gros problème économique de la Tunisie, à savoir celui de la balance en devises. L'Etat Tunisien, en faillite comateuse, a vécu 3 ans sous perfusion externe de devises (à rembourser, rappelons-le) grâce à la carte politique du printemps arabe à sauver. Ce problème monstre de devises a été rendu invisible aux apprentis économistes par la conversion quasi systématique des chiffres en Dinars dans une vision confuse, réductrice et incorrigiblement comptable et technocratique de l'économe.
Jamais. Jamais. Jamais un pays aussi petit et aussi pauvre en matières premières que la Tunisie ne pourra s'équiper et se relever économiquement sans une machinerie capable de générer beaucoup plus de devises. C'est strictement impossible. Totalement impossible. C'est vers l'extérieur que les Tunisiens, atteints de nombrilisme révolutionnaire, doivent regarder. Jamais ce que pensent les autres de nous n'a été aussi important.
Les Tunisiens assumeront les conséquences de l'image qu'ils donneront de la Tunisie.
Mohamed Ben M'Barek
Consultant.
Ingénieur Ecole Polytechnique Paris (filière économie).
Statisticien Economiste de l'Ecole Nationale de la Statistique
et de l'Administration Economique (ENSAE France).
Docteur en Economie Publique
(du centre de recherches co-fondé et dirigé actuellement
par Mr Jean Tirole, Prix Nobel d'Economie 2014).
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Je voudrais émettre une idée, l´exemple de la chine qui a compté sur le croissance économique et non les rendements financiers. Les investements se faisaient par les prelèvements en "cash" sur les profits des entreprises.Le marché financier ne jouait pa un grand rôle. La chine et les firmes chinoises misaient sur les invertisements et la croissance économique pour gagner de l´argent au lieu du marché financier. Et dans une économie émergeante il ya toujours de nouveaux entrepreneurs lequels ils n´ont jamais fait de la production ou une autre activité économique. La plupart des millionaires ou milliardaires en Chine ils n´existaient pas il ya 10 ans. En effet la démocratie ouvre de nouvelles portes á ceux qui ont des idées en économie. Je crois qu´il faut abandoner un moment le couple binaire patron-ou inverstisseur-gouvernement.En definitive le capital est aujourd´hui national selon moi ou et idéologique, l´exemple :les sanctions de la part de l´Occident contre entre autres les Russes.