Ces admirables phares de Tunisie
Livré à lui-même dans cette immense mer, le marin cherche depuis l’aube des temps à se repérer. Il fraye son chemin à l’approche des côtes, îles et récifs, craignant d’échouer dans le sable ou, pire, de heurter des rochers pouvant briser son embarcation.
Bouées, phares et balises sont ses repères, ses alliés. Véritables monuments d’architecture et pièces de patrimoine, les phares ont toujours jalonné la navigation maritime, constituant son système de signalisation, avec ses feux, ses codes et sa réglementation. Que de vies sauvées, que de navires épargnés du désastre, que de catastrophes évitées! Les armateurs sont les premiers à s’en soucier, leurs assureurs aussi. Pas de commerce maritime sans signalisation, tous l’ont compris et tous s’y sont mis.
A ce jour, il est de tradition qu’une cloche sonne dans la salle du Lloyds Register of Shipping, à la Bourse de Londres, toutes les fois que l’annonce est faite de la perte d’un navire de plus de 100 t dans le monde. Pays côtier par excellence, la Tunisie, au cœur de la Méditerranée, aligne sur ses rivages et au sommet de ses îles, tel un chapelet, un réseau de 19 phares. De l’île Galiton, La Galite, Ras Angela au Nord, au Cap Bon, île Kuriat ( Monastir) , Thyna (Sfax) et Taguermesse (Djerba), chacun est à lui seul un monument, une histoire, une vie. Isolés sur les îles habitées ou non, en pleine zone résidentielle comme à Sidi Bou Saïd, au centre-ville, comme à Sousse et Mahdia ou loin des agglomérations, chaque phare a son histoire, son charme particulier, son âme. Tout un univers que vous fait découvrir Leaders, en exclusivité, grâce au Service des phares et balises du ministère de la Défense nationale et au concours de l’Apal.
Comment est né le système de signalisation maritime en Tunisie et pourquoi Ahmed Bey a fait construire en 1841 le premier phare, celui de Sidi Bou Saïd? Quelles sont les caractéristiques pionnières au monde des phares de Thyna et de Taguermesse? Qui sont les gardiens de phare et comment vivent-ils ? Voyage dans un monde merveilleux.
Isolés ou au cœur de la médina à chacun son charme
Pas besoin d’aller loin, si vous êtes sur les côtes, pour faire connaissance avec les ESM, ces fameux établissements de signalisation maritimes. Au total, elles sont aux alentours de 500, une bonne partie appartient à l’Etat, les autres relèvent d’autres intervenants, y compris des privés. Si pour les phares, il faut aller dans des endroits stratégiques, vous trouverez dans les ports de commerce, comme ceux de La Goulette, Radès, Sousse ou Sfax, les ports de plaisance, les ports de pêche et les pêcheries, des balises et des bouées. Prise en charge depuis la fin du XIXème siècle par la Direction des travaux publics, la signalisation maritime est assurée par un Service des phares et balises qui a été transféré en mars 1970 au ministère de la Défense nationale.
«Sa mission est double, nous indique le capitaine de vaisseau major Zouheir Jendli, qui commande actuellement ce service relevant de la Marine nationale: D’abord, veiller à l’installation, au bon fonctionnement et à l’entretien des équipements de signalisation maritime fixes et flottantes. Mais aussi, représenter la République tunisienne au sein de l’Association internationale de signalisation maritime». Aujourd’hui, ce sont plus de 300 personnes, presque tous des militaires, qui se déploient en mer et à terre, sur les rivages et dans les îles pour assurer les différentes missions. Parmi eux, on compte des cadres et responsables, des techniciens de balisage, des gardiens de phare et des embarqués. Le service s’appuie sur un centre de formation, des ateliers et une flotte de bateaux baliseurs (Sidi Bou Saïd, Taguermesse...), des vedettes de balisage (Galiton, Zembra...) et des embarcations de balisages. Les prestations des Phares et Balises, fondées sur une précieuse expertise, ne se limitent pas uniquement à la Marine nationale mais bénéficient également aux autres opérateurs publics et privés, tant pour la pose que l’entretien des équipements de balisage. Une mission de première importance dans le monde maritime.
Aux origines
Les côtes de la Tunisie s’étendent sur 770 milles, soit une longueur comparable à celle des côtes françaises de Méditerranée, Corse comprise, et elles présentent beaucoup d’aspects géomorphologiques similaires.
Le littoral comprend deux parties bien distinctes : la côte Nord est accore et saine et les fonds navigables sont à de très petites distances du rivage. Les roches Fratelli à 2 milles au large entre les caps Serrat et Angela, et le double groupe d’écueils des Sorrelles et de la Galite à 25 milles des côtes présentent les seuls réels dangers pour la navigation. La côte orientale, en revanche, est beaucoup plus dangereuse après le cap Guardia l’actuel Ras el Blat et Bizerte. Outre le fait qu’elle englobe la plupart des ports (Bizerte, Tunis et La Goulette, Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax et Gabès), elle est flanquée au large de plusieurs écueils bas et de bancs sableux changeants, encore plus redoutables: les îles Cani, prolongées par une dangereuse chaussée sous-marine, l’île Plane à la pointe Farina, les îles Zembra et Zembretta dans le golfe de Tunis, la grande île de Kuriat devant Monastir, les îles et le banc de Kerkennah en avant de Sfax et enfin l’île de Djerba. Après le Ras Zira, la côte devient beaucoup plus saine devant la Tripolitaine (Rouville,1933: 202).
Avant l’établissement du protectorat, les côtes de ce pays sont signalées par un balisage et un éclairage rudimentaires et disséminés. En 1835, il existe un amer sur la plus méridionale des îles Kerkennah, dont «il est prudent de se tenir très éloigné» (Coulier, 1835 : 212-213), une tour de signaux érigée sur le Cap Bon et un fanal à l’entrée du port de La Goulette. Constitués avec des moyens très disparates, quelques feux sont ensuite offerts par les grandes puissances maritimes au gouvernement beylical.
Un premier phare lenticulaire de quatrième ordre à éclat toutes les trois minutes est allumé dès 1840 à Sidi Bou Saïd, ou cap Carthage, avec une optique donnée par la France. Quelques années plus tard, un cadeau du même type permet d’éclairer l’entrée du port de La Goulette avec un petit feu fixe, mais il est «mal entretenu et n’a qu’une portée de 6 milles sur l’horizon» (Coulier 1853 : 182). Après l’échouage du Spartan, le 5 juillet 1856, le gouvernement britannique demande au Bey la construction d’un phare sur les îles du Grand ou du Petit Cani. Il est érigé en 1860. Un autre est construit au Cap Bon en 1875. Tous les deux sont équipés avec d’anciens appareils fabriqués par la firme anglaise Chance et offerts par la Grande-Bretagne. En 1877, les services maritimes du Bey s’engagent à construire deux tours sur la Galite et l’île Plane si la France leur offre les appareils, mais cet accord ne sera réalisé que dix ans plus tard. Dès l’établissement du protectorat, la marine française revient à la charge et réclame la construction de quatre fanaux de ports et de deux phares, l’un toujours sur le Galiton et l’autre sur les Kerkennah (Girard, 1882 : 190).
Les services des Travaux publics tunisiens accomplissent de véritables exploits si l’on en juge par le grand nombre des avis aux navigateurs annonçant les allumages successifs des phares suivants:
- Phare de l’île Kuriat, feu de troisième ordre, grand modèle, allumé en juin 1888,
- Phare de l’île Plane, feu de quatrième ordre allumé en juin 1888,
- Phare de Kélibia, feu de quatrième ordre allumé en juin 1888,
- Phare de Monastir, feu de cinquième ordre allumé en décembre 1888,
- Phare de Sousse, feu de quatrième ordre allumé en mai 1890,
- Phare de Mahdia, feu de quatrième ordre allumé le 15 août 1890,
- Phare du cap Serrat, feu de premier ordre allumé le 15 août 1890,
- Phare de Ras Angela, feu de quatrième ordre allumé le 30 juillet 1890,
- Phare de Gabès, feu de cinquième ordre allumé en avril 1893,
- Phare de Zarzis, feu de cinquième ordre allumé en avril 1894,
- Feu du port de la Skira, feu de sixième ordre allumé en juillet 1894,
- Phare de Ras Thyna, feu de quatrième ordre allumé en mai 1895,
- Phare de Taguermesse, Djerba, feu de quatrième ordre allumé en août 1895.
Jean-Christophe Fichou
Docteur habilité en histoire,
professeur agrégé à Brest
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J'ai beaucoup apprécié votre article sur LEADER MAG, autour des phares, qui sont devenus un patrimoine de la Tunisie. Seul petit détail me satisferait, serait d'avoir la réponse aux qualifications données, à savoir : feu de troisième ordre, de quatrième ordre etc. ? Et pourquoi il n'y a pas de second ordre? Merci de votre réponse. Un marin près de moi, à la retraite, n'a pu me donner la réponse.
EUREKA !!! Nous avons trouvé notre réponse: Les phares de premier ordre ont une portée de 60 km Les phares de second ordre ont une portée de 40 km Les phares de troisième ordre ont une portée de 28 km Hélas, aucune explication n'est donnée pour ceux de quatrième ordre, cinquième et sixième ordre.Celui de sixième ordre doit avoir une portée de la longueur d'une plage... :D))
Fils de gardien de phare moi même, j'ai vécu dans les phares de Sousse, Thyna, Kuriat, Taguermess, Bordj -Djillidj et Cap Serra, j'en garde de très bon souvenirs, je déplore hélas le manque de photos et les descriptions plus détaillées pour le phare du cap serra. Peut-être qu'un jour mon désir sera comblé, qui sait?/...