Paris – De notre envoyé spécial – Combien parmi les quarante-quatre chefs d’Etat et de gouvernement qui se sont joint aux deux millions de Français dans la marche républicaine en hommage aux victimes du terrorisme, avaient déjà l’habitude de descendre dans la rue, battre le pavé et participer à une manifestation, encore plus à Paris ? A l’exception de certains européens, très peu parmi eux n’avaient vécu pareille expérience. Voir défiler côte-à-côte, boulevard Voltaire, la superbe Reine Rania et son époux le Roi Abdallah II de Jordanie, le Prince Abdallah Bin Zayed (Emirats) ou les présidents Ibrahim Boubacar Keïta (Mali) Mahamadou Issoufou (Niger), Mahmoud Abbès (Palestine), Ali Bongo Odingba (Gabon, Klaus Iohannis (Roumanie), Petro Porochenko (Ukraine) est impressionnant. Sur la même ligne, unis, soudés, dans ce même combat, se trouvaient également autour de François Hollande et Manuel Valls, Angela Merkel, David Cameron, Matteo Renzi, Mariano Rajoy, (Danemark), Mehdi Jomaa, Ahmet Davutoglu (Turquie), Benjamin Netanyahu et de nombreuses autres personnalités étrangères et françaises.
Rapidement, d’une forte indignation nationale, voire européenne, François Hollande a réussi de faire la plus grande manifestation jamais connue en France depuis la libération en 1944, et un véritable rassemblement mondial. Pas moins de quatre millions de manifestants, dont deux millions dans la capitale, dimanche après-midi, ont crié haut et fort leur colère contre le terrorisme, leur condamnation indignée et leur union pour lui faire face.
Le monde s’indigne à Paris et s’organise pour la riposte
En moins de 48 heures, les services français de protocole et de sécurité ont monté une opération d’une rare complexité et pu la mener avec succès. Tout était minutieusement préparé. Les officiels étaient reçus dès 13h30 à l’Elysée pour partir ensemble en bus à 14h30 précises vers la Place de la République. Les voir tous ensemble, en bus, tranche déjà par rapport aux cortèges officiels en voitures. Pour d’évidentes raisons de sécurité, ils ne devaient défiler que sur un parcours de 500 mètres, boulevard Voltaire, jusqu’à la place Léon Blum, en face de la Mairie du XIème arrondissement de Paris. Hommage aux victimes privilégié, ils étaient précédés par une centaine de membres des familles endeuillées.
Tout le quartier était déjà passé au peigne fin depuis la veille avec inspection de tous les immeubles et de tous les commerces. Dimanche, dès 12h30, le verrouillage était total. Seul des journalistes dument accrédités étaient autorisés à prendre place sur des praticables aménagés au long du parcours, sans avoir le droit d’en bouger jusqu’à la fin de la manifestation. Bravant le froid venté, photographes, cameramen et journalistes venus du monde entier y avaient pris place à l’affût de la moindre apparition sur la chaussée. Plusieurs centaines de policiers en uniformes, lourdement armés, encadrés par des officiers en civil et des chargés de communication étaient sur le qui-vive avec pour instruction : tolérance zéro.
Les rues adjacentes étaient bloquées par des barrières Vauban. A chaque coin de rue, des centaines de personnes avaient pris place derrière ces barrières pour applaudir les cortèges successifs qui allaient défiler un peu loin devant eux. Mieux lotis étaient les riverains qui pouvaient de leurs fenêtres et balcons, suivre la marche, sous haut contrôle sécuritaire. Derrière des rideaux baissés, des clients qui s’étaient réfugiés dans des cafés et restaurants avoisinants se sont contentés de regarder la télé en direct.
A 15h15, les chefs d’Etat et de gouvernement commencent leur marche sur le boulevard Voltaire : émotion, union et détermination. Ils s’arrêtent devant certaines rues adjacentes pour répondre aux acclamations de la foule, comme pour la rassurer et communier avec elle. Arrivés place Léon Blum, ils remonteront en bus pour regagner leurs voitures parquées à l’Elysée et repartir chez eux.
François Hollande ira avec Benjamin Netanyahu à la grande synagogue de Paris. Quant à Manuel Valls, il a remonté le boulevard pour aller rejoindre la Préfecture de Police saluer les forces de l’ordre et leur témoigner son soutien.
La France vit un nouveau 14 Juillet et non un 11 Septembre
La séquence officielle terminée, les forces de sécurité poussent un grand ouf ! Mais, le déferlement populaire se fait très difficile à contenir. La Place de la Bastille est noire de monde. Tout comme les boulevards avoisinants. La fête est totale : de toutes régions, nationalités et tranches d’âge, deux millions de manifestants célèbreront jusqu’à tard dans la nuit ce qu’ils considèrent comme un nouveau 14 Juillet 1789 plutôt qu’un 11 Septembre 2001. La nuance est importante. Il ne s’agit pas d’une défaite, mais d’une renaissance. Ceux qui ont voulu mettre la France à genoux la revoient aujourd’hui debout !
Dans la matinée, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait réuni, Place Beauvau, ses homologues occidentaux en une grande séance de travail consacrée à la lutte contre le terrorisme. Renforcement de l’échange des renseignements, constitution d’un fichier de suspects à suivre de près, contrôle à l’intérieur de l’espace Schengen figurent en tête des décisions prises. Les Etats-Unis, représentés par le ministre de la Justice ont annoncé la tenue d’un sommet sur le terrorisme le 18 février prochain à Washington.
Une grande question revient maintenant sur toutes les lèvres : que faire de cet énorme élan de solidarité ? Comment capitaliser sur cet esprit de rassemblement et traduire au concret cette détermination à vaincre l’intolérance, éradiquer le terrorisme et défendre les valeurs communes du vivre-ensemble en toute sécurité ?
Taoufik Habaieb
Reportage photo exclusif de l'envoyé spécial de Leaders à Paris, Mohamed Hammi