Tunisie 2015 : "The jasmine revolution" ombres et lumieres
"Les révolutions libèrent les énergies et les appétits"
La Tunisie vient d’être, une fois de plus, au rendez vous de son histoire, de l’Histoire.
Elle vient d’accomplir ce que nombre de commentateurs, historiens, et géopoliticiens hésitaient à croire possible.
Ces derniers ne doutaient pas de ce peuple valeureux, à l’histoire trois fois millénaire, et chargée de richesses humaines, de combattants et combattantes de la liberté, qui lui a légué un patrimoine culturel, artistique et architectural non négligeable.
Ils exprimaient le sentiment de la peur qu’ils avaient pour ce petit pays, de ne pas tenir les promesses qu’il leur avait données un certain 17 décembre 2010, un certain 14 janvier 2011, et lors des premières élections à l’Assemblée Nationale Constituante.
Cette peur s’est très vite dissipée avec les récentes élections, qui se sont déroulées, sans accrocs aucun, et dans une dignité partagée par l’ensemble du personnel politique.
Certes des tergiversations, il y en a eu, le parcours n’a pas été un long fleuve tranquille, mais c’est la règle commune, de l’enjeu démocratique, que de parachever dans l’élégance et la dignité, le long chemin parsemé d’embuches, qui mène au choix des électeurs.
Il est vrai que cette peur- plutôt appréhension- n’était pas unanime et certains et non des moindres continuaient à avoir une confiance sans limite dans notre pays.
Ainsi le 14 janvier 2014, le Washington Post, titrait son éditorial consacré à notre pays : "Le compromis démocratique doit servir de modèle régional".
Et ajoutait que : "les grèves et protestations se poursuivaient contre la politique économique du gouvernement, et que la violence jihadiste demeurait une menace sérieuse. Mais la Tunisie, comparée à l’Egypte, est probablement celle qui est la plus à même d’atteindre la stabilité politique, le retour à la croissance économique et si la Constitution est ratifiée et que des élections se déroulent normalement, elle démontrerait que le rêve d’une démocratie dans le monde arabe ne serait plus un mirage".
Ne boudons pas notre plaisir, la Tunisie vient de réaliser, sans encombre, ce parcours, et toujours pour citer "Le Post" "s’inscrit comme un modèle pour d’autres expériences comparables".
Bien évidemment, ces quatre années, ont été difficiles, et ont comporté des périodes d’ombres, et des trajets de lumière.
Les ombres et les épines de notre révolution
Une entame dispendieuse
Dés le 14 janvier 2011, les jeunes étudiants, employés, ouvriers, paysans, tous ceints de leur fièvre révolutionnaire ont confondu révolution et précipitation.
Grisés, par leur conquête politique, ivres du bonheur de s’être débarrassés des chaines qui les entravaient, ils ont cru que tout leur était permis.
Ils ont commis le délit – pardon le péché de jeunesse- difficilement réversible de demander tout et son contraire. Et ont de leur fait permis ce qui advient toujours dans ce genre de situations : les révolutions sont faites par les jeunes et "confisquées" par les professionnels de la politique.
D’où l’entame des hostilités, pour cause de divergences catégorielles, d’un appétit démesuré pour obtenir tout et son contraire, de l’amateurisme de certains, et du professionnalisme aiguisé pour la conquête du pouvoir pour d’autres.
Les jeunes de la Kasbah, ne s’étaient pas rendu compte qu’ils creusaient leur propre "abyme", duquel ils ne sortiraient plus intacts, d’autant qu’ils étaient relayés par les adeptes d’internet et des réseaux sociaux, qui attisaient le feu, en recherchant une popularité singulière, car forcément bâtie sur le dire et non sur le construire.
Cet appétit délirant pour un "leadership d’opérette" a fait un grand tord au pays, relayé qu’il était par l’éclosion de la contestation ouvrière, et la surenchère syndicale, attisées par la multiplicité de leurs représentants.
Cette période, ne l’oublions pas, a été particulièrement coûteuse à notre pays.
En termes de déficit d’images, la révolution de jasmin s’est transformée en une vaste agora revendicative, impulsive voire même destructive.
L’image d’une Tunisie paisible s’est évaporée, faisant des plus enthousiastes et des plus intéressants des candidats à l’immigration dans ce pays - les hommes d’affaires - des réticents et des réfractaires à ce qu’ils finissaient par juger comme une fausse bonne idée.
De nombreux industriels établis en Tunisie, et même des citoyens de ce pays, qui ont connu les grèves, la destruction de leur outil de production, les séquestrations, menaces, et violences, ont fini par plier bagages et au mieux par se cantonner dans une position passive de "wait and see".
Sans compter le déficit subi du fait des dysfonctionnements dans l’extraction du phosphate à un moment où son prix était au zénith.
Une gestion malencontreuse du fonctionnement des institutions
Notre Parlement
Notre jeunesse estudiantine et ouvrière, n’a pas été angélique durant la période post révolutionnaire, mais elle avait l’excuse de son âge, de son manque de maturité et de sa naïveté.
Ses ainés, ont péché par manque d’expérience de la vie démocratique, de la conduite des Institutions étatiques, et du don de soi pour une mission hautement valorisante, celle de la mise sur les rails du pays, de son gouvernement de son administration et des règles du vivre ensemble, dans un environnement nouveau, qui nécessitent bien évidemment des droits, mais surtout des devoirs et une éthique.
Ainsi, il y va de notre Assemblée Nationale Constitutive, l’instance la plus médiatisée du pays, qui n’a pas respecté la feuille de route qui lui était assignée.
Elue pour une année pour faire voter une Constitution, elle s’est transformée, de son propre chef, en Parlement, allongeant du coup sa durée de vie de prés de deux autres.
Certes, à la fin des fins, elle a donné naissance à une Constitution certainement pas parfaite, mais tout de même acceptable.
Mais que de temps perdu, que de palabres, que d’hostilités affichées, que d’animosités et surtout le mauvais cours d’instruction civique, dispensé aux jeunes et aux moins jeunes, spectateurs attentifs d’une petite lucarne au contenu pas toujours au niveau du moment et de la mission.
L’économique et le social
Les différents gouvernements de cette période transitoire, ont fait preuve d’amateurisme, forcément ils manquaient d’expérience et, de plus, n’avaient pas de grands soutiens ni dans les médias, ni dans la société civile.
Au contraire, ils étaient harcelés par les différents corps de métiers, les jeunes, et les syndicats, au nom de la sacrosainte revendication révolutionnaire.
Ils n’ont pu faire face à la crise économique, encore moins à la crise sociale et à la rupture sociétale.
Ils n’ont pu éviter ni le clientélisme, phénomène largement répandu en politique, ni le laxisme qui a fait souffrir l’administration tunisienne des recrutements massifs, qui n’ont fait qu’alourdir le déficit budgétaire, sans réduire le chômage, surtout celui des jeunes et encore moins notre endettement qu’il nous faudra beaucoup de temps, pour le ramener à des niveaux acceptables.
Harcelés, ils ont fait trop de promesses qu’ils n’ont pas tenues, et leur inconséquence leur a coûté les soutiens étrangers, prolifiques au début de leur mandat, et parcimonieux dés lors que la crise économique prenait des allures structurelles donc forcément pérennes, et loin de rassurer investisseurs et bailleurs de fonds.
Au fur et à mesure que la crise économique et sociale se répandait et s’aggravait, nos alliés financiers se faisaient moins présents et dans le pire des cas s’inscrivaient aux abonnés absents, d’autant que la violence apparaissait sous toutes ses formes, jusqu’à faire de notre pays un des plus grands pourvoyeurs de chair à canon pour les organisations rebelles du Moyen Orient.
La violence et la gestion sécuritaire
Dans cet inventaire du passif, la poussée de la violence prend la place du lion, car notre pays n’était pas habitué à ce phénomène, dans l’ampleur qu’il a connue et dans la diversité de ses composantes.
La violence s’est répandue comme une trainée de poudre, emportant sur son passage la confiance dans les institutions les plus respectées, et surtout les vies de personnes innocentes, jusqu’aux plus jeunes d’entre elles, enrôlées dans des guerres qui ne les concernent en rien, et " last but not least" des politiques parmi les plus respectés du pays.
La violence n’était pas uniquement physique, elle était médiatique
Quelles leçons ont donné aux citoyens les personnalités politiques invitées des plateaux télévisés qui se sont écharpées jusqu’à n’en plus finir et dont certains s’adonnent encore à l’exercice devenu récurrent d’abandon de l’émission, chaque fois qu’elles se trouvent en difficulté d’argumenter et de convaincre par le verbe.
La violence politique est la plus dangereuse parce que son objectif est la destruction quand ce n’est pas la disparition d’un adversaire indocile.
La Tunisie a connu, au cours de ces toutes dernières années, toutes les formes de violence, qui sont le poison des sociétés civilisées, qui tend à les faire disparaître sous leur forme démocratique, pour les soumettre à la loi du plus fort, c'est-à-dire celle du ou des partis dominants.
Et malheureusement notre arsenal sécuritaire n’a pas réussi à s’y opposer avec succès, pire on lui impute, à tord ou à raison, une grande responsabilité, dans ce qui s’est produit, pour de multiples raisons, certaines évidentes de dysfonctionnements des structures et d’autres de partialité dans l’exercice du pouvoir, que seul l’avenir pourrait valider ou infirmer.
Lumières de la révolution
La révolution du jasmin " the jasmine révolution"
Une Ministre française, polytechnicienne de formation, en visite de travail dans notre pays, s’est vue apostrophée par une de nos concitoyennes, lors d’une conférence sur l’environnement, pour avoir parlé de la révolution de jasmin.
Cette dernière a certainement oublié que l’on donnait généralement des noms de fleurs à des évènements dits révolutionnaires, mais qui se déroulent, généralement, de manière pacifique, à l’instar de ceux des œillets au Portugal, de l’orange en Ukraine, des roses en Géorgie etc.
Les mouvements de décembre 2010 et janvier 2011, ont été, justement, une fête partagée par diverses générations de tunisiens, qui ont confronté leurs idées dans des "happenings" pacifiques en amont et en aval de cette période.
Aussi, l’idée "d’accoler" le nom de jasmin à l’image de la Tunisie est venue tout naturellement et était en soi formidable.
D’ailleurs, cette idée avait déjà fait son œuvre quelques années avant, quand les murs, surtout de Paris et de son métro, étaient recouverts de cette belle publicité pour notre pays, montrant un homme d’un âge respectable, au visage buriné et au sourire éclairant, avec à son oreille un bouquet de jasmin.
"Jasmine révolution" est donc au contraire un slogan publicitaire qui a traversé les océans et qui cadre bien avec les odeurs et le bonheur d’être tunisien, d’aimer l’être ou de le visiter.
Car le jasmin tunisien a une odeur, une saveur, qui offrent des moments inoubliables de bonheur, aux tunisiens et aux touristes qui visitent notre pays et qui y trouvent gentillesse et allégresse.
Et ce nom donné aux évènements de 2011, est en lui même une des fastueuses lumières de ce que nous avons vécu, jeunes et vieux, pendant ces moments inoubliables durant lesquels les citoyens d’un pays chantent à l’unisson leur joie partagée.
Ce nom est d’ores et déjà gravé dans le Panthéon de l’histoire et a fait plus pour l’image de la Tunisie, que toutes les actions commerciales et de propagande.
Les scrutins électoraux et la transmission des pouvoirs
Les élections de 2012, et celles de 2014 se sont déroulées dans des conditions optimales, à l’instar de celles qui se déroulent dans les pays hautement démocratiques.
Et chaque fois, la transmission des pouvoirs s’est faite de manière idéalement civilisée.
C’est une grande première dans un pays du tiers monde, qu’une telle situation, parfaite à tous égards, ait pu se produire plus d’une fois en quatre années.
Rendons hommage à nos hommes politiques, de tous bords, et dans leur quasi unanimité, qui ont su s’élever au-delà de ce qui était attendu, pour faire triompher un des grands attributs de la démocratie, à savoir l’alternance dans la pratique du pouvoir.
Mais l’alternance, ne veut pas dire exclusion de l’autre, des responsabilités, y compris gouvernementales si cela est nécessaire pour le bon déroulement paisible et efficient de la nouvelle étape politique.
Nous avons en Tunisie, des hommes politiques de grand talent, et d’une maitrise des évolutions, pour ne pas faire confiance à leur flair et à leur habileté.
A cet égard, le nouveau Président de la République et le leader d’Ennahda sont de fins "limiers" et sauront, étudier avec perspicacité le nouveau paysage politique et les détails de la nouvelle donne géopolitique, pour en tirer la substantifique moelle.
Ils seront aidés par leurs lieutenants, les plus sûrs d’entre eux, car malheureusement beaucoup se sont montrés, trop impatients, égocentriques et d’un esprit de boutique dont il convient de les aider à se débarrasser, ou à défaut de les écarter, dans l’intérêt de cette nouvelle période que nous voulons sans cacophonie inutile.
Ces derniers devraient prendre exemple, sur ceux plus jeunes, qui se sont révélés au cours du passé récent par une grande maitrise, durant et dans l’après campagne électorale à l’instar, notamment, des dirigeants d’Afek Tounes, et du Front Populaire.
Liberté d’expression
Un des grands acquis de la révolution est la conquête de la liberté d’expression.
L’écrit et la parole sont devenus libres et multiples.
Tout le monde peut s’exprimer sur tous les sujets, dans les limites de la déontologie journalistique, du respect d’autrui, et sans porter atteinte au fondement de l’unité nationale, sans diffamer, sans injurier.
La multiplicité des fréquences FM, des journaux et des chaines de télévision est un plus, même si des maladresses, des débordements et des insuffisances, sont constatés ici ou là, ces derniers ne pèsent pas lourd, devant le droit désormais garanti du tunisien de disposer d’un éventail de choix, d’opinions, et de débats, qui quelque soit leur degré de pertinence, participent à l’apprentissage de la citoyenneté.
Mourad Guellaty
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