Pour Ennahdha au pouvoir, mais à une condition!
La question d'actualité aujourd'hui est sans conteste celle de savoir s'il faut ouvrir le gouvernement au parti islamiste.
Puis-je rappeler de suite que la réponse positive tombe sous le sens pour qui suit les péripéties de la politique en Tunisie ?
En effet, un compromis historique est en gestation depuis la grande crise de l'été 2013, ayant abouti au renversement actuel que nous vivons.
Il reste que la participation d'Ennahdha au gouvernement Essid ne continue pas moins à être contestée par la majorité des soutiens du nouveau président. Ils y voient à raison un reniement des engagements pris par M. Essebsi.
Or, on ne le sait que trop, les promesses en politique, surtout en temps électoral, n'engagent que ceux qui veulent bien y croire.
Aussi, l'inévitabilité, outre la nécessité, de la participation au gouvernement du parti de M. Ghannouchi ne doit pas faire de doute pour nous.
Toutefois, nous pensons que cela ne doit pas se faire sans signal clair adressé de la part du parti du président à ses électeurs et sympathisants.
Cela doit porter sur un engagement immédiat dans le sens du vote s'étant porté sur le parti Nida (où le vote utile a joué à plein) et sur M. Essebsi.
Un tel vote a été autant une volonté de rupture avec une certaine pratique politicienne de la politique incarnée par la troïka défunte — où Ennahdha faisait ce qu'elle voulait — qu'un appel à des mesures concrètes en faveur du renforcement de la modernité de la Tunisie bourguibienne.
En un mot, la société tunisienne a voté pour la reprise de l'oeuvre de Bourguiba là où elle s'était arrêtée : au seuil d'une société des libertés, toutes les libertés, et de la démocratie, un État véritablement de droit.
On ne le dira jamais assez, cela est inséparable de la nécessaire concrétisation de l'État civil et des acquis de la nouvelle Constitution restés encore lettre morte.
Si la participation d'Ennahdha à un gouvernement n’était pas de nature à empêcher ce gouvernement d'appliquer la réforme législative plus que nécessaire pour plus de justice, de libertés et d'égalités, il n'y aurait personne pour la contester.
En effet, ce serait alors servir la patrie que d'aider le parti islamiste à évoluer en participant au pouvoir, car il n'y a rien de tel que l'exercice des responsabilités pour faire abandonner aux islamistes leurs dogmatismes éculés. C'est l'enseignement majeur de leur malheureuse expérience à la tête de l'État.
Toutefois, comme les bonnes intentions ne suffisent pas en politique, il est de la plus haute importance que de telles garanties ne soient pas de simples assurances ou promesses, devant être concrétisées par un acte immédiat tel celui conseillé ici à la présidence à la veille de la révolution.
Qu'une proposition ou un projet de loi soit immédiatement présenté, discuté et voté par l'Assemblée des Représentants du peuple donnant compétence aux juges pour entamer sans tarder la réforme juridique à l'occasion des affaires venant à leur être soumises !
Par un pareil texte solennel, on fera d'une pierre trois coups : d'abord, s'assurer de l'engagement du parti islamiste dans le processus démocratique du pays; alors, il n'aura fait que rendre légitime son droit à participer au gouvernement.
Ensuite, on ne renvoie pas aux calendes grecques la réforme du droit positif tunisien avec l'impératif d'abolition des lois liberticides datant de la dictature.
Enfin, on mène cette réforme de la meilleure manière qui soit en y associant les juges, qui sont les mieux placés pour contribuer à la mise en place de la future législation, de nature à traduire la riche complexité de notre société et surtout sa soif de libertés et de dignité.
On coupera de la sorte aussi la voie à tous ceux qui continuent à verser dans la confusion des valeurs marquant notre appréhension de l'islam.
N'a-t-on pas vu un ancien chef de gouvernement islamiste, supposé modéré pourtant, soutenir qu'il faut aux Tunisiens se suffire de la caricature que donne de l'islam Ennahdha, le pire étant à nos portes?
Or, le pire est plutôt dans sa tête et celles qui pensent comme lui, et cela implique de toiletter au plus vite notre arsenal juridique obsolète.
Farhat Othman
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