Qui est Zied Ladhari, nommé ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle?
Ennahdha et Habib Essid n’ont pas fait de cadeau en le nommant ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle. Il a eu droit cependant à une chance exceptionnelle. La même qui lui a toujours souri, ne serait-ce que par intermittence, depuis sa prime enfance. Avocat d’affaires au Barreau de Paris, élu de la circonscription de Sousse à l’ANC et réélu en tête de liste cette fois-ci à l’ARP, porte-parole d’Ennahdha, il voit sa carrière politique accélérée. Une ascension qu’il essaye de maîtriser, gardant le profil modeste, mais que beaucoup trouvent bien méritée.
Rached Ghannouchi qui ne le connaissait pas avant la révolution, l’observera de près surtout lors d’un voyage avec lui en mai 2013 à Washington. Il l’introduira dans son cercle rapproche et en fera son porte-parole. En lui, il apprécie certes le look d’un jeune avocat international, mais aussi les positions modérées et le ton conciliateur voit l’incarnation d’une nouvelle génération du mouvement islamiste. Lorsqu’Ennahdha s’est assuré de participer au gouvernement, c’est son nom qui sera proposé en tête de ses candidats, un profil qui passerait bien.
Une lourde tâche attend cependant Zied Ladhari, à la tête de son département, au sein de la nouvelle équipe gouvernementale, par rapport aux membres du groupe Ennahdha à l’ARP et dans les instances du mouvement. Ceux qui le connaissent de près mettent en avance sa droiture et lui prédisent réel succès.
Lire notre article publié en avril 2014 : Zied Ladhari: La génération à venir d'Ennahdha
Avec son look d’avocat d’affaires parisien, Zied Ladhari, 39 ans, membre de l’Assemblée nationale constituante, récemment désigné porte-parole officiel d’Ennahdha, incarne la génération montante au sein du mouvement islamiste, Elu, le 23 octobre 2011, en troisième position après Hamadi Jebali et Monia Brahem, dans la circonscription de Sousse, il s’était inséré doucement au Bardo, essayant tant bien que mal de se tenir à l’écart des polémiques et des joutes oratoires extrémistes quand bien même ses propos sur Mustapha Kamel Nabli, lors d’une séance plénière de l’ANC, surprendraient par leur agressivité.
Ses interventions, tant à l’ANC que dans les médias, retiendront l’attention du chef du parti, Rached Ghannouchi, qui le cooptera au Bureau exécutif du parti. Puis, lui demandera de l’accompagner à Washington lors de sa première visite en mai 2013. Non seulement parce qu’il est anglophone, mais surtout en tant que constituant maîtrisant le processus constitutionnel et son état d’avancement. Le courant passe bien. Ladhari retournera avec Ghannouchi dans la capitale fédérale américaine, lors de sa deuxième visite en février 2014, mais cette fois-ci en qualité de porte-parole d’Ennahdha. Avec le démarrage du Dialogue national et l’impératif de mettre en cohérence la parole du mouvement, Ghannouchi l’avait choisi, le 25 octobre 2013, pour ce poste bien délicat. Portrait !
La ville de Msaken, à 11 km de Sousse, a toujours été, depuis la lutte pour l’indépendance, le fief d’un militantisme actif. Zied Ladhari héritera de son père, agriculteur de la région du Sahel, et de sa mère, femme au foyer, les valeurs de patriotisme, de travail et la volonté de réussir dans ses études. Cadet d’une fratrie de cinq frères et sœurs, il a toujours été un brillant élève, jusqu’à son arrestation, en février 1992, à l’âge de 16 ans. Il venait juste de perdre son père. Après 15 jours affreux passés avec les malfrats dans les geôles du commissariat de police de Sousse, Zied passera environ six mois dans un centre de détention de mineurs, à El Meghira (Ben Arous). Son délit: appartenance à une organisation non autorisée, le parti Ennahdha. Baignant depuis son jeune âge dans un milieu politisé avec une forte sensibilité islamique, Zied Ladhari a fini par rejoindre un cercle de lycéens formé à Msaken et relevant du Mouvement de la tendance islamique (MTI), l’ancêtre d’Ennahdha. Ce fut le point de départ de tout un engagement qui lui vaudra un lourd tribut à payer mais finira par réaliser son rêve.
Remis en liberté du Centre de détention mais renvoyé de l’enseignement public et soumis à un strict contrôle policier, Zied Ladhari ne baissera pas les bras. Il s’inscrira dans un établissement privé et décrochera son bac avec la mention très bien en 1994. Ayant obtenu de surcroît la meilleure moyenne de la section lettres au niveau national (avec une moyenne dépassant seize sur vingt, ce qui est très inhabituel pour cette section), il devait donc être reçu par le président de la République en tant que lauréat et recevoir de ses mains le prix présidentiel. En raison de son parcours politique et malgré son jeune âge, Zied a été privé du prix présidentiel qui a été du coup accordé au second candidat. Il s’inscrira dans un établissement privé, décrochera son bac en 1994, et le voilà rejoignant la faculté des Sciences juridiques de Tunis. Soumis à l’obligation de pointage deux et parfois trois fois par jour dans différents commissariats de police, il parviendra cependant à suivre le maximum de cours possibles et de réussir brillamment ses études, complétées ensuite par un diplôme de troisième cycle en droit privé. Le soir et le week-end, il suivait des cours d’économie et de finance à l’Institut des hautes études commerciales... Durant cette période, ses contacts avec les militants islamistes étaient limités, la plupart des dirigeants étaient alors qui en prison, qui en exil, mais les liens n’étaient pas rompus.
Paris lui ouvre la voie
Profitant d’une brèche d’apaisement ouverte par Ben Ali à la veille d’une visite en Europe, Zied Ladhari obtiendra son passeport en décembre 2000 et partira immédiatement poursuivre ses études à Paris, où il compte des parents pouvant l’accueillir. A la Sorbonne, il obtiendra un diplôme de troisième cycle axé sur le droit international et comparé et le droit des pays arabes et un second en droit bancaire et financier. Il suivra également les cours de l’Ecole de formation des avocats près la Cour d’appel de Paris et en obtiendra le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Bref, contrat rempli et le voilà, d’une part, inscrit au Barreau de Tunis en 2001 et, d’autre part, rejoindre de grands cabinets internationaux à Paris. Passionné par les questions politiques et internationales, Zied Ladhari poursuit en parallèle des études de sciences politiques et de relations internationales à l’Institut d’études politiques de Paris.
Zied Ladhari fera une brillante carrière d’avocat d’affaires, participant à des missions de conseil auprès de nombre de pays africains et d’organisations internationales, mais en parallèle, il s’engage à fond dans l’action associative. «Je n’étais pas dans les instances d’Ennahdha, ni en Tunisie, ni en France, mais dans les associations», dit-il à Leaders. On le retrouvera parmi les fondateurs de la section de la Ligue des droits de l’Homme à la Sorbonne, actif au sein de Transparency International, assidu dans les travaux de nombre de think-tanks, multipliant les voyages d’études en Amérique Latine et du Nord et dans les pays arabes.
Redémarrage à partir de Msaken
La révolution le ramènera en Tunisie, plus précisément à Msaken, où il retrouve, en plus de sa famille, ses amis de longue date investis comme lui dans l’activisme politique. Ce sont eux d’ailleurs qui le porteront sur la liste candidate à l’ANC. Zied poursuivra son ascension au sein d’Ennahdha, jusqu’à en devenir le porte-parole. «C’est une surprise pour moi, confie-t-il à Leaders. Je ne m’y attendais pas. J’ai compris que cheikh Rached, qui appréciait mes apparitions médiatiques, cherchait quelqu’un pour porter une parole officielle. Dans mes nouvelles fonctions, j’assiste aux réunions du bureau exécutif ainsi qu’à celles du comité des négociations chargé de suivre le dialogue national qui se tiennent 4 à 5 fois par semaine, commencent tôt et peuvent durer des heures. Je m’imprègne de la problématique et j’assimile les discussions. Parfois je consulte certains dirigeants, mais la plupart du temps, j’essaye de définir directement l’axe de communication». Zied Ladhari reconnaît avoir traversé des moments difficiles, surtout lors des négociations dans le cadre du Dialogue national, plus précisément les derniers jours. «Les négociations étaient longues et épuisantes, dit-il, se poursuivant parfois jusqu’à 4 heures du matin et il fallait trancher sur place et prendre des décisions qui engagent Ennahdha. Ce n’était pas facile et il ne fallait pas se tromper».
Modéré…
Quand on lui demande de se définir au sein d’Ennahdha et de dessiner la trajectoire future de son parti, Zied Ladhari répond sans hésitation. «De nature, je suis modéré. J’exprime mes convictions et je les défends. J’estime qu’Ennahdha est appelé à être à l’avenir le parti où un grand nombre de Tunisiens pourront se reconnaître, pour y parvenir, un travail d’ouverture est forcément nécessaire, notamment auprès des plus jeunes. Le défi est de présenter un projet rassembleur pour les Tunisiens et de casser cette image stéréotypée qui a été largement entretenue par l’ancien régime qui présentait Ennahdha comme un parti sectaire, minoritaire. Alors qu’il s’agit d’un vaste mouvement rassemblant des personnalités diverses, des courants, des parcours particuliers. Certains ont gardé les idées d’origine, sans intégrer les évolutions au sein du mouvement et dans le pays. Mais, dans l’ensemble, c’est un mouvement qui s’inscrit dans l’avenir».
Malgré sa nouvelle mission de porte-parole qui le hisse parmi les hauts dirigeants d’Ennahdha, Zied Ladhari garde un profil modeste, se tenant à l’écart des courants, n’affichant aucune ambition. Pour lui, la période d’apprentissage est encore longue et il doit enrichir davantage son expérience. Mais, dans son intime conviction, il fera un jour partie de la génération de relève au sein d’Ennahdha. Ghannouchi mise en effet beaucoup sur des quadras modernistes, compétents dans leur domaine et ouverts, à même de confirmer le nouvel ancrage centriste du mouvement et, pourquoi pas, d’intégrer les prochains gouvernements d’union nationale.
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