Repenser la réforme de l’administration publique
De quelle administration publique rêvent les tunisiens? Question difficile sur laquelle je m’interroge. Pour ma part, je rêve d’une administration professionnelle, dynamique, réactive et même proactive. Un rêve? Oui, peut être pour certains. Mais pour ma part, je pense profondément que cela peut être concrétisé dans la réalité. Si on fait de la transformation de l’administration publique une priorité, et si on se donne les moyens et le temps pour le faire. Car la première difficulté, c’est le temps. Et le temps de l’administration n’est pas le temps politique. L’articulation est difficile parce les enjeux et les intérêts ne sont pas les mêmes.
Aujourd’hui l’administration publique se trouve confrontée à des défis de taille. Malgré plusieurs vagues de réformes depuis les années 80, les retombées tardent à se faire sentir et les orientations futures demeurent floues.
Certes, les réformes économiques et sociales demeurent prioritaires voire vitales pour la réussite du passage de la phase actuelle à une phase de stabilité et de relance de la croissance, mais il faudrait être conscient que l’une des conditions de réussite est celle d’avoir une administration solide et renforcée, capable de mener, de manière pérenne et efficace, les réformes proposées.
Et si on essayait de dresser des pistes de réflexion afin de mieux comprendre ?
Une étude récente a montré que l’administration tunisienne souffre principalement d’une crise de valeurs, d’une politisation croissante, qui affecte surtout la haute fonction publique, d’une inefficacité des processus internes de prise de décision et de la marginalisation des jeunes compétences. C’est ainsi que la réforme de l’administration publique devient une urgence et mérite d’être placée en première ligne des priorités de la période de transition.
I- Pourquoi ?
Depuis plusieurs années, on observe une montée des stéréotypes à l’encontre de l’administration publique essentiellement due à une perte de confiance dans tout le système administratif. On entend souvent dire que «l’administration publique est la même partout, et que les fonctionnaires se ressemblent tous.» Cet état d’esprit dénote une uniformisation très poussée des comportements des fonctionnaires, des structures et des méthodes administratives qui influent largement sur l’image perçue de l’administration publique.
La phase transitoire que traverse la Tunisie depuis l’année 2011 nous amène à nous interroger sur les raisons fondamentales de l’incapacité de l’Etat à rétablir la confiance des tunisiens. Maintenant le fait est là, l’administration publique, et les gouvernements qui la dirigent, manquent de crédibilité et se retrouvent impuissants face les revendications de changement qui lui sont demandées par le peuple. Elle est vue comme étant une administration corrompue et dépourvue de légitimité et d’efficacité.
La question de valeurs au sein de l’administration publique prend alors tout son sens aujourd’hui, face aux attentes des différentes parties prenantes des organes de l’Etat et surtout de l’exécutif.
Les raisons pour cette inefficacité et ce « désordre » sont multiples ; essentiellement des raisons historiques, organisationnelles, politiques et managériales qui se sont transformées dans le temps en une érosion des valeurs nobles et fondamentales du service public et de la fonction publique.
Mais face à cette inertie, un constat important nous interpelle : une leçon primordiale à retenir des expériences internationales est que la clé de réussite d’une réforme ce sont les Hommes qui la mettent en oeuvre.
Depuis, l’accent est mis sur la gestion du personnel dans les administrations publiques : après la nouvelle gestion publique, la nouvelle gestion publique des ressources humaines commence à prendre forme, d’où le retour de l’intérêt mis sur l’éthique de la fonction publique. La modernisation administrative « ne signifie, en son sens le plus naturel, rien de plus que mettre les conduites administratives au niveau des valeurs fondamentales de l’administration moderne, sur lesquelles le consensus est établie » (Ben Achour Y., 1990).
Parler de valeurs dans l’administration publique nous renverrait directement à la raison fondamentale de l’intérêt général et au service de la collectivité, c’est ce que l’on considère comme étant la particularité centrale du secteur public, a savoir son « ethos » ou son « esprit public ».
L’étude sur le système de valeurs de l’administration publique tunisienne a pu mettre en évidence une véritable crise de valeur et de leadership au sein des organisations publiques qui est l’une des causes importantes de l’inertie constatée du secteur public en Tunisie. Il faudrait alors réfléchir sérieusement sur l’impératif d’instaurer une véritable gestion par les valeurs afin d’accompagner les processus de gestion du changement qui sera imposé par des réformes de l’administration tunisienne dans un futur probablement proche. Ceci devrait s’inscrire dans un processus plus global d’institutionnalisation des valeurs fondamentales devant guider l’action de développement et de transformation de l’administration publique.
En cas d’inaction, on se demande dans quelle mesure le système de valeurs actuel pourrait-il amorcer un processus de changement durable et efficace ? La situation est critique et nécessite d’amples investigations et travaux afin de mieux comprendre la prédisposition des fonctionnaires à changer et à améliorer l’administration publique. Notre étude a pu monter qu’ils dénoncent les problèmes actuels qui touchent l’administration et qu’ils aspirent à un renouveau des valeurs de la fonction publique, mais il serait difficile d’affirmer leur volonté de changer et de contribuer à une transformation du système administratif, surtout que nous avons décelé un état d’attente et de réticence concernant les décisions audacieuses revendiquées par les citoyens.
Il faudrait alors une action politique forte, appuyée par des convictions et par une argumentation cohérente. Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie et renforcer la communication pour atteindre le point de vue des parties prenantes concernées, afin de négocier au mieux avec elles et afin de convaincre les élites de leur rôle pour déclencher et pour soutenir les réformes.
II- Comment? Renforcer les valeurs de service public
Conscients que tout changement dans l’administration ne pourra se concrétiser sans une vraie implication des cadres et des agents de l’administration, la nouvelle politique de réformes doit miser sur leur participation et notamment sur la participation des futurs décideurs de l’administration tunisienne.
Le contexte actuel de l’administration publique en Tunisie met en évidence l’existence de besoins imminents en matière de formation des cadres, pour faire face à la mise en place des différents chantiers de réformes dans l’immédiat et pour les années à venir. En phase de transition démocratique, et pour lancer la transition économique, il faudra aussi une transition administrative vers une administration plus moderne et plus efficace, capable de mobiliser toutes les compétences et de faire adhérer les agents publics aux processus de changement.
La réforme de la gouvernance publique devrait inclure les aspects suivants : renforcer la transparence et l’intégrité dans le service public et préserver la neutralité et l’impartialité de l’administration publique.
Par ailleurs, réformer le statut de la fonction publique et valoriser et responsabiliser les fonctionnaires pour redonner sens au service public et à la primauté de l’intérêt général représentent un préalable pour le lancement de réformes économiques et sociales futures. Cela constitue l’une des bases nécessaires pour rétablir la confiance entre l’Etat et le citoyen tunisien, pour ralentir la corruption en insufflant un esprit éthique au sein de l’administration publique, et pour avoir l’adhésion des fonctionnaires aux divers chantiers de réforme.
L’expérience en matière de réformes montre qu’il faudrait se doter de valeurs partagées et explicites pour conduire le changement dans la durée, et pour faire face aux réticences et à l’inertie du système bureaucratique.
D’ailleurs, on remarque récemment que les cadres de la fonction publique revendiquent la neutralité et l’impartialité de l’administration, ainsi qu’un système équitable de gestion des ressources humaines capable d’offrir un cadre pour la motivation des fonctionnaires et pour la valorisation des compétences. Ils aspirent à une administration plus loyale et plus indépendante, qui puisse véhiculer une meilleure image du fonctionnaire, de l’administration, et même de l’Etat.
Dès lors, il devient imminent d’engager un dialogue sur l’éthique et les valeurs au sein de l’administration publique tunisienne. Il faudrait instaurer des mécanismes de communication et de diffusion des valeurs afin de renforcer, voire de créer, un vrai sentiment d’appartenance et d’engagement envers l’organisation publique et le devoir de service public. L’administration tunisienne a plus que jamais besoin d’un cadre éthique fort et cohérent et d’un cadre réglementaire moderne et flexible, afin de mettre en oeuvre, de manière pérenne, les nouvelles réformes, et surtout afin de prévenir les dérives et de construire un nouveau mode de gouvernance basé sur l’Etat de droit, la transparence et sur l’intégrité du secteur public.
Pour une administration professionnelle et professionnalisante!
Aïda Hamdi
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Bonjour, Je trouve votre analyse très actuelle. J'aimerai bien savoir davantage sur l'étude que vous avez mentionnée dans l'introduction et qui suggère que l'administration tunisienne "souffre principalement d’une crise de valeurs, d’une politisation croissante, qui affecte surtout la haute fonction publique, d’une inefficacité des processus internes de prise de décision et de la marginalisation des jeunes compétences". Je vous remercie
Je partage la plupart des idées produites dans cet article,effectivement l'Administration tunisienne souffre d'une crise de valeurs.Mes encouragements Mlle Aida Hamdi. j'aimerais savoir plus sur l'étude à laquelle vous faites allusion.Merci