Les Nations Unies pour le meilleur
Les Nations unies fêtent leur 70ème anniversaire. L’humanité toute entière peut être fière du chemin accompli depuis la création de cette organisation et du progrès de la civilisation dans certains domaines. Toutefois je vais me faire un peu l’avocat du diable et éviter les congratulations stériles et l’autosatisfaction d’usage dans ces moments. D’autres le feront certainement mieux que moi. On nous parle partout de l’importance historique de la tâche accomplie par l'ONU dans les domaines du développement, de la sécurité et des droits de l'homme et du droit humanitaire. C’est un fait avéré certes. Nous avons progressé par rapport aux lendemains de la seconde guerre mondiale, mais nous sommes très loin des idéaux qui avaient animé la conférence de Dumbarton Oaks ou celle de San Francisco. Les nations à ce moment-là avaient unanimement et d’une seule voix crié ‘’plus jamais ça’’. Où en est l’obligation de coopération internationale inscrite dans la Charte de l’ONU ?
La commémoration des 70 ans de l’O.N.U. est placée sous le signe de bonnes résolutions : « renforcer les liens entre les États membres, la société civile et les nombreux hommes et femmes dans la cause commune de permettre à une ONU forte de réaliser un monde meilleur ». Cela ressemble beaucoup aux résolutions que l’on prend à la naissance d’une nouvelle année, résolutions qui sont la plupart du temps des voeux pieux que l’on réalise rarement sinon jamais.
Le cinquantenaire des N.U. n’a pas répondu aux espérances. Il faut que les 70 ans de l’institution soient différents. Cela ne doit pas seulement consister en des célébrations ou en des hommages, mais cela doit marquer un tournant dans le développement des progrès de l’Humanité. Il est temps pour l’Homme de s’éloigner de sa caverne et d’affronter le monde et de se responsabiliser pour gérer son héritage. C’est vrai que la société internationale est une société d’Etats; mais derrière l’écran fictif de la personnalité morale des Etats, il y a des Hommes, des personnes qui décident en leurs noms et pour leurs comptes et ce sont les représentants d’Etat qui peuvent réellement faire progresser l’oeuvre de Dumbarton OAKS et de San Francisco. Pour cela ils doivent laisser de côté les vieux préjugés et la paranoïa nationalistes des premières heures de la guerre froide, pour penser au chemin qui a été parcouru depuis. Nous devons croire que nous sommes loin des instants tragiques des conflagrations mondiales qu’a dû subir le XXème siècle. L’humanité a pu y survivre ; tout en conservant un devoir de mémoire, il nous faut aller de l’avant sans nous retourner outre mesure de peur d’être changés en statues de sel. Aujourd’hui, nous devons nous demander si nous survivrions à une nouvelle catastrophe de l’envergure des précédentes. Cela n’est pas certain ! Et nous laisserions une planète désolée, un rocher errant dans l’immensité de la voie lactée.
Le bilan de ce qui a été accompli a été déjà fait, lors du cinquantenaire et les problèmes à surmonter ont été identifiés, isolés et mesurés à ce moment-là. Actuellement il faut agir. L’Organisation doit faire sa révolution et affirmer de façon catégorique et énergique sa personnalité. Nous avons atteint l’âge de l’humanité et dépassé celui de l’adolescence étatique et de l’étatisme. Des réformes substantielles doivent être entreprises pour transformer l’ordre international en une communauté.
Nous ne pouvons plus nous complaire d’un simple jargon de spécialistes du droit en général et du droit international en particulier qui reste sans suite ou derrière lequel il n’y a rien que des ronds de jambe diplomatiques et des discussions oiseuses.
Il faut mettre à l’actif de l’Organisation des réalisations majeures comme par exemple l’accentuation de l’effectivité des droits de l’Homme et du droit humanitaire par la mise en place de juridictions internationales pertinentes. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan d’adversité. Il faut des mesures de fonds telles que celles qui permettraient une plus grande intégration de la société internationale et son passage vers une communauté telle que celle envisagée par feu le Professeur et humaniste Michel Virally ou encore Charles Chaumont.
Le maître-mot doit être ‘’HUMANITE’’ et non plus souveraineté. L’attachement sentimental des Etats à la souveraineté n’est plus de mise et est quelque chose de dépassé, de suranné. Elle est source de malentendus et d’erreurs d’appréciation et de jugement de la part des gouvernements ainsi que de complications. C’est un frein au progrès dont il faut se débarrasser. Il faut renforcer les institutions de coopération internationale et la rendre réelle et non plus simplement un leitmotiv politique. Il faut développer la culture des droits de l’Homme à l’échelle globale de la planète par la réalisation d’actions de sensibilisation énergiques. ‘’Agir là où ça fait mal’’.
Il faut réviser les modes de prise de décision au sein des organes des Nations Unies. Combien de fois, aucune décision n’a pu être prise dans telle ou telle situation de fait du véto de tel ou tel Etats ? Quand on dit plus jamais ça, cela concerne aussi cet aspect. Les raisons qui ont justifié cette institution du véto n’existent plus et il n’y a plus aucune raison de la maintenir seulement parce que leurs titulaires ne sont pas d’accord pour sa suppression. L’Organisation doit assumer son rôle et passer outre les caprices de ses membres pour leur rappeler leur responsabilité et ce à quoi ils se sont engagés en signant et en ratifiant la Charte des Nations Unies.
L’Organisation doit devenir réellement celle des NATIONS UNIES pour le meilleur de l’Homme. Pas un simple Patchwork institutionnel cosmopolite.
L’interdiction du recours ou de la menace du recours à la force aussi doit devenir un principe effectif et catégorique avec tolérance zéro. Plus de compétence pour faire la guerre reconnue aux Etats. Plus de guerre du tout ! Le règlement pacifique des différends internationaux doit devenir un principe absolu et indérogeable et rejoindre le panthéon des normes impératives (et indérogeables) de Jus Cogens.
L’heure n’est plus aux demi-mesures diplomatiques ou pour ménager des opportunités stratégiques ou mercantiles.
La diplomatie elle aussi est à revoir dans ses fondements et dans ses mensonges. Elle doit devenir un dialogue de personnes responsables et qui pensent coopération et collaboration et non pas intérêts et profits. Elle doit se débarrasser de cette hypocrisie fallacieuse qui a pu la caractériser depuis les débuts des relations internationales.
Certains en lisant ces lignes me qualifieront d’idéaliste et d’utopiste ; mais ils se tromperont car, au contraire de ce qu’ils croient, cet exposé ne fait que traduire en mots ce que pense tout être humain qui se respecte, en son for intérieur. Ce sont des considérations réalistes et qui pourront garantir, je crois, un meilleur avenir pour l’Humanité et les générations futures. Certes cela demandera beaucoup de courage à tous les Etats membres de la Société internationale, mais ce n’est pas irréalisable lorsque l’on est animé de bonne volonté et que l’on garde confiance dans l’Homme. Soyons de vrais êtres Humains adultes et non pas de simples primates évolués. Ce n’est que le premier pas qui coute et ensuite cela va de soi quand le signal de démarrage est donné.
La célébration des soixante dix ans des Nations Unies est un vrai spectacle mais qui est passé inaperçu en Tunisie qui avait alors d’autres chats à fouetter si l’on peut dire.
Des rois, des présidents, des vice-présidents, des premiers ministres, des vice-premiers ministres et des délégués spéciaux des chefs d’Etat, des ministres des Affaires étrangères et des ambassadeurs avec leurs suites, collaborateurs et gardes du corps. En plus l’armée des journalistes, photographes, cameramen le tout encadrés surveillés et protégés par des milliers de policiers. Le cout de l’opération médiatique des dizaines de millions de dollars. Et pour quel résultat ? Prononcer des discours, dire des millions de mots ! Ils ont été des centaines à parler et les services de presse des Nations Unies de les enregistrer et de les consigner pour la postérité.
Une session anniversaire se doit d’être grandiose, glorieuse et solennelle pour faire plaisir à tous les représentants des deux cent vingt cinq Etats membres, surtout ceux du Tiers-Monde qui ont voulu réaffirmer, pour la Nième fois leur confiance et leur foi dans les principes de la Charte signée par les cinquante et un pères fondateurs, le 25 octobre 1945 à San Francisco. Quelle déception, quelle désillusion quelle désolation!
Des puissances arrogantes et leur politique de chantage pratiquée avec la complicité de leurs alliés. Les aspirations des peuples à un monde débarrassé de l’oppression, de la répression, du racisme, de l’insécurité des guerres, de la faim et de la pauvreté. Un monde où la dignité des peuples et leur droit à l’autodétermination et à la liberté seraient enfin reconnus de plein droit et respectés. Certes, le bilan n’est pas totalement mauvais, mais c’est en demi-teinte qu’il faut le percevoir. Les intentions sont toujours là mais elles ne suffisent pas ou plus. La plupart des représentants sont allés à New York et à Genève avec le souhait de les voir enfin renforcées par des faits et non pas seulement par des mots. Car si les mots sont d’argent, l’argent se ternit avec le temps et pâlit alors que les faits accompagnés de silence est de l’or le plus pur dont l’éclat perdure.
Avec l’avènement de la ‘’déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux’’ en 1960, avec l’ouverture du rideau de fer en 1989, avec l’indépendance des Pays de l’Est anciennement Républiques Soviétiques ou Yougoslaves, l’Organisation des Nations Unies est devenue géographiquement pratiquement universelle comme n’a pas manqué de l’affirmer le Secrétaire Général. Mais qu’y avons-nous gagné ? Tous ces pays se débattent dans un marasme de problèmes qui dépasse l’entendement : Guerres, famine, épidémies, atteintes aux droits de l’Homme, crise économique, dictatures et autres. Comment peut-on par le faste d’une commémoration gommer en un discours, cette réalité et remettre en question tout ce à quoi les Conférences de San Francisco et de Dumbarton Oaks se sont engagées à faire triompher. Comment peut-on omettre de dire des mots à propos du conflit du Moyen-Orient avec le sempiternel problème palestinien, dont la cause est inscrite en lettres de sang depuis quelques cinquante ans dans les actes et archives des fora internationaux avec une pléthore de résolutions votées et qui sont restées lettres mortes.
Les Pères Fondateurs des Nations Unies avaient promis Paix et Prospérité au monde. Ils avaient déclaré la guerre à la Pauvreté pour créer les conditions nécessaires à des relations pacifiques entre les Nations. Tous attendaient de l’Organisation qu’elle favorise le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social. Mais ce projet manquait d’une vision claire de ce que pouvait signifier le développement économique et social à l’échelle planétaire. Les Etats du Tiers-Monde sont, de fait depuis leur accession à l’indépendance, aux prises avec une tâche gigantesque de construction. Mais les ambiguïtés sur ce que peut être le rôle des Nations Unies en faveur du développement se lèvent progressivement sur une triste réalité. La société internationale reste toujours prisonnière des schémas classiques en matière de coopération internationale. L’aide apportée aux pays pauvres est encore conçue en termes de flux financiers. Ainsi est-on toujours dans les relations de bienfaiteurs à obligés lorsqu’il s’agit de rapports internationaux entre pays développés et pays en développement.
Il est temps de revenir à la raison et de faire table rase de toutes ces mesquineries pour prendre un nouveau départ avec comme mot d’ordre de réparer les maux que l’action irraisonnée des Hommes a pu causer. Il faut que le monde devienne réellement un ensemble de Nations Unies.
Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
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