Et Dieu … qu’il avait raison !
Dans les dédales de mes lectures de la rubrique « Opinion » de Leaders où il m’arrive d’exprimer un point de vue, une réflexion, une exaspération voire une révolte j’ai retenu l’hommage fait à Abbes Bahri par ses amis et collègues. Je vous invite à relire certains passages, commentés, de l’hommage rendu par Mohamed Jaoua : « La Tunisie pleure Abbas Bahri. Mathématicien de génie, homme de science et de culture, savant au sens médiéval du terme. Erudit et esprit universel, il était sans doute le cerveau le plus puissant auquel notre pays ait donné naissance à ce jour… »
Que la nation lui soit reconnaissante à titre posthume et que ses cendres soient honorées, là où elles se trouvent, au plus haut niveau de l’Etat.
Ou encore : Je l’ai connu à Paris en 1974, j’arrivais alors de Tunis et il venait d’intégrer la rue d’Ulm. Les mathématiques nous avaient rapprochés, et la politique tout autant. Militants de gauche dans un pays qui ne tolérait qu’une opinion, patriotes et internationalistes, nous avons traversé ensemble – au sein d’un petit parti d’opposition – les controverses intellectuelles les plus riches que les jeunes de notre époque aient pu connaître.
La première était celle du rapport de la démocratie au socialisme, dont la résolution a ouvert le long chemin qui nous conduisit au 14 janvier. Et la seconde celle du rapport de l’Islam à la politique, charriée par la révolution iranienne et l’irruption de l’islamisme dans le champ politique tunisien. Je me souviens de nos débats sans fin …Abbas les éclairait d’interventions érudites, argumentées, convoquant l’histoire de la Tunisie depuis La Kahena à Ali Ben Ghedahem, celle du mouvement social et national contemporain, et l’histoire du monde. Convoquant aussi la pensée moderne issue de la Renaissance et de la Révolution française, nourrie d’éléments de science et de culture dont beaucoup puisaient aux sources des lumières de la civilisation arabo-islamique. »
Notre société possède suffisamment de valeurs communes pour réaliser l’union et la concorde nationale et réussir à relever les défis de la modernisation..
Thèse soutenue, le voilà aussitôt à Tunis – loin des voies royales ouvertes à son génie – pour intégrer la Faculté des Sciences en 1981 en qualité de maître de conférences. La désillusion, celle de la « normalisation », y fut aussi grande que l’étaient ses ambitions pour le pays. Il se résolut donc à reprendre la route en 1982 pour s’installer d’abord à Chicago, puis à l’Ecole Polytechnique, avant d’intégrer l’Université de Rutgers en 1987 où il effectua toute la suite de sa carrière.
En 1990, il s’est heureusement trouvé un homme d’Etat – Mohamed Charfi –pour rétablir l’honneur de l’université tunisienne en l’y réintégrant, en qualité de professeur à l’ENIT. Nous pûmes alors tirer pleinement parti de ses compétences et de son rayonnement pour lancer une formation doctorale en Mathématiques Appliquées, au sein de laquelle il joua un rôle déterminant. Orchestrant la noria des visites à Tunis de sommités internationales, et celles de nos enseignants et doctorants aux Etats Unis, animant un séminaire de haute facture, encadrant de nombreux doctorants, enseignant en DEA les mathématiques les plus actuelles, Abbas déploya une énergie sans pareille pour hisser cette formation au plus haut niveau international. Avec sa présence constante, sa patience et sa bienveillance infinies, notamment avec les plus jeunes, avec sa générosité dans le partage de la science inépuisable qui était la sienne, avec son humilité et sa gentillesse jamais prises en défaut.
Lorsque les vicissitudes politiques l’éloignèrent à nouveau du pays, car sa liberté d’esprit ne pouvait tolérer aucune compromission, Abbas continua à entretenir ses collaborations avec les mathématiciens tunisiens. Nombreux sont ceux – jeunes et moins jeunes – qu’il invita régulièrement à Rutgers, les aidant à tisser leurs liens avec la communauté internationale.
Il était parmi les rares de la diaspora tunisienne à avoir continué à entretenir contre vent et marée des relations tenues avec son pays.
De ce géant qui était mon cadet, j’ai davantage appris que de nombre de mes maîtres. Et d’abord de ne jamais penser petit, car aucune ambition ne saurait être assez grande pour notre pays, pour peu qu’il fasse de la science son credo. Lui pensait dur comme fer que la roue de l’histoire avait tourné, et qu’il nous revenait à présent de reconstruire le monde. Et Dieu … qu’il avait raison!
Il est temps que notre pays fasse de la science son credo.
Il a les moyens et les capacités nécessaires pour réaliser
cette œuvre grandiose de reconstruction nouvelle.
Alors notre élite rentrera au pays pour consolider le nouveau système.
Une pensée à Aziz et Khalil
Badie ben Ghachem
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