Pour l’Université, Ahmed Brahim avait bien compris le sens de l’Histoire
Du grand legs laissé par Ahmed Brahim à ses concitoyens émergent deux grandes mesures qu’il a prises pendant la courte période au cours de laquelle il a été ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Il s’agit de la dissolution de la ’’Police universitaire’’ et de la généralisation de l’élection des chefs d’établissements universitaires ainsi que des présidents des universités. Ces deux mesures, prises quelques semaines après le 14 janvier 2011, étaient revendiquées par la communauté universitaire depuis plusieurs décennies. Elles peuvent être considérées comme étant réellement révolutionnaires dans la mesure où elles ont refondé deux domaines majeurs de la vie universitaire.
En prenant les deux mesures, rapidement mais d’une manière très réfléchie, Ahmed Brahim a montré combien il était conscient de leur urgence face à une attente très légitime. Ainsi, il a donné la preuve claire et forte que la bonne gestion des affaires de la Tunisie nouvelle ne demandait que de la lucidité et de la volonté politique.
L’importance des deux mesures ressort encore plus quand on constate qu’aucune autre décision courageuse et salutaire n’a marqué les cinq années qui ont suivi le bref passage de Ahmed Brahim à la tête du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Des discours, oui ; des plans de réformes, oui ; des promesses sans lendemain, oui, mais rien de palpable pour un Enseignement Supérieur et une Recherche Scientifique en détresse.
Universitaire doté d’un sens politique rare Ahmed Brahim avait pourtant tracé la voie de la réforme profonde en s’attaquant aux deux leviers majeurs par lesquels l’Etat totalitaire cherchait à tenir l’Université en laisse : la nomination des responsables inféodés à lui et la surveillance policière. Quel meilleur hommage lui rendre que de s’engager encore plus dans la voie qu’il a ouverte sans hésitation et avec toute la détermination requise, malgré les innombrables contraintes et aléas de la conjoncture ?
Force est de constater que même les deux grandes décisions prises par le regretté universitaire et homme politique n’ont pas été suivies des mesures d’accompagnement nécessaires. Ainsi, cinq ans après, aucun véritable système de sécurité alternative n’a été mis en place dans les établissements universitaires. Les graves problèmes de sécurité qui se sont posés au cours de ces derniers mois, dans plusieurs établissements universitaires, le rappellent cruellement.
Si l’élection des responsables universitaires, depuis 2011, n’a toujours pas eu les retombées escomptées, cela est dû aux lois obsolètes qui régissent l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique. Les meilleures illustrations du décalage entre l’élection des responsables universitaires et la véritable autonomie des établissements de différentes catégories sont la loi de 2008 qui régit l’Enseignement Supérieur et le décret datant de la même année et qui organise les Universités et les établissements d’Enseignement Supérieur et de Recherche. En ce domaine, l’heureuse initiative prise par la ’’Conférence des Présidents des Universités’’ au cours de l’année dernière, et relayée par une réactivité constructive des instances universitaires élues, a été contrée par l’immobilisme gouvernemental.
Puisse la perte douloureuse de Ahmed Brahim réveiller les consciences et rappeler à chacun que l’Université tunisienne a certes des problèmes aigus mais qu’il est possible d’y apporter des remèdes si la bonne gouvernance est assurée.
Houcine Jaïdi
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