R. Ghannouchi à Leaders el Arabya : des inquiétudes face au prosélytisme chiite (3e partie) Vidéo
Le troisième et dernier volet de l’interview-fleuve de Rached Ghannouchi à Leaders El 3arabya est consacré aux relations internationales. Comment le mouvement perçoit ses relations avec les pays du voisinage, ensuite avec la Turquie d’Erdogan, les pays du Golfe et enfin l’Iran?
Avec l’Algérie et la Libye, estime le président d’Ennahdha, «les relations ne peuvent être que stratégiques (…) Ces deux pays sont à la fois notre profondeur et notre prolongementpremier». Bien que les deux pays n’aient pas les mêmes caractéristiques, «nous nous inspirons de l’expérience avant-gardiste de la Turquie». Reste l’Iran: Rached Ghannouchi parle «d’une expérience exemplaire » mais ne cache pas son inquiétude face au prosélytisme chiite «nous ne jetons pas l’anathème sur le chiisme, mais nous n’acceptons pas les tentatives d’intrusion et de pénétration dans les sociétés sunnites».
Comment voyez-vous les relations avec l’Algérie et avec la Libye?
Les rapports que nous entretenons avec l’Algérie sont excellents. L’Algérie est pour nous la grande sœur avec laquelle notre rapport ne peut être qu’un rapport stratégique. La sécurité de la Tunisie est inséparable de la sécurité de l’Algérie et réciproquement. On ne peut envisager un avenir de la Tunisie loin de l’Algérie et de la Libye, deux pays qui sont à la fois notre profondeur et notre prolongement premier nonobstant les gouvernants en place, et avec lesquels nos relations doivent être stratégiques. Qu’est-ce qui empêche que le ministre tunisien des affaires étrangères soit la première personnalité à se rendre en Libye. J’ai personnellement attiré l’attention sue cette question. Le premier ministre a dû se rattraper. Son déplacement dans ce pays a été un total succès. Nous devons considérer la Libye comme une affaire tunisienne. Ca vaut aussi pour l’Algérie.
La Turquie continue t-elle d’être un modèle pour le parti Ennahdha?
Nous sommes attachés au modèle tunisien et tirons profit de tous les autres modèles. Chaque pays a ses spécificités et conditions particulières. L’histoire de la Turquie a ses caractéristiques propres, comme le rapport qu’entretient l’armée turque avec le pouvoir en place. Nous nous inspirons de l’expérience avant-gardiste de ce pays. La Turquie occupe la 17 è place au classement des Etats du monde; elle était dix ans plus tôt à la 80è place. Ce pays ne produit ni pétrole ni or. Il est donc normal que nous portions un intérêt particulier à l’expérience de la Turquie sans être amenés pour autant à la copier.
Les expériences réalisées ici ou là dans le monde en matière de développement suscitent un grand intérêt de notre part. Nous sommes en mesure d’en tirer le meilleur parti pour enrichir notre expérience propre.
On peut citer à cet égard, en plus de la Turquie, l’exemple d’autres pays comme la Corée du sud, la Malaisie, l’Indonésie et Singapour.
Que pensez-vous de l’expérience iranienne?
L’expérience iranienne a elle aussi ses spécificités et comporte des réussites et des échecs.
Comment peut-on en tirer parti?
Cela est parfaitement possible. Les Iraniens ont une grande capacité à préserver leur indépendance et à assumer leur progrès scientifique en toute indépendance. On peut parler à ce niveau d’une expérience modèle.
Le prosélytisme chiite dans les pays arabes est intolérable
Comment voyez-vous la lutte qui oppose l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe d’un côté et l’Iran de l’autre?
Nous estimons que le danger que représentent l’expansion et l’hégémonie de l’Iran dans la région suscite l’appréhension des Etats du Golfe. L’Iran est une grande puissance régionale. En tant que telle, ce pays nourrit des ambitions d’expansion, ce qui suscite chez ses voisins du Golf beaucoup de crainte. Les Etats du Golf sont en droit de se défendre et de se protéger. Nous sommes persuadés que l’expansion iranienne dans la région fait peser une menace sur la paix dans le Golf, et ne sert pas en définitive les intérêts de l’Iran, car elle ne fait que raviver les conflits confessionnels et peut en conséquence engendrer des guerres de religion ravageuses dans la région. L’Iran qui a des visées sur l’Irak voisin, qui appuie le gouvernement confessionnel de ce pays, qui soutient les Houthis au Yemen, qui se range résolument aux côtés d’un régime dictatorial et barbare en Syrie, poursuit des politiques qui ne peuvent conduire qu’aux guerres confessionnelles dans la région. « Daech » est le fruit de cette politique confessionnelle. Du temps de Saddam Hussein, il n’y avait ni «el Qaida », ni « Daech ». Quand ces deux organisations terroristes ont-elles pris pied en Irak ? C’est quand les tribus sunnites ou « Achaïer » dans ce pays se sont rendues compte de l’hégémonie qu’exerçait le courant chiite sur le pouvoir et sur les richesses en Irak. Ce qui les a amenées à tisser des liens privilégiés avec « el Qaida et avec Daech qui faisaient croire qu’ils prenaient la défense les Sunnites. C’est précisément cette prétendue protection qui a favorisé l’avènement de « Daech » et mis le monde sens dessus dessous.
On peut dire la même chose s’agissant de la Syrie, un pays historiquement sunnite. Comment alors expliquer que des Sunnites s’y soient persécutés et que des reconversions au Chiisme y deviennent possibles. J’ai étudié à Damas. Je n’y ai pas décelé une présence chiite. Une telle présence aurait suscité la méfiance des populations autochtones. Damas a été de tout temps une capitale sunnite, comment se fait-il alors que les Damascènes s’y sentent étrangers. C’est ce sentiment qui les a poussées précisément à se jeter dans les bras d’ « el Nosra », de « Daech » et d’ « el Qaida » cherchant à se protéger par tous les moyens. Mais ces organisations terroristes ne pouvaient pas en réalité assumer ce rôle. Je suis persuadé que la politique iranienne dans la région ne peut que conduire à une guerre de religion.
Comment voyez-vous l’expansion chiite en direction de la Tunisie et de l’Afrique du nord?
Nous sommes face à une expansion de nature confessionnelle en Tunisie et en Afrique du nord. Nous ne voulons pas d’une telle expansion. Nous ne jetons pas l’anathème sur le chiisme, mais nous n’acceptons pas cette prédiction confessionnelle au sein de la Nation, ni les tentatives d’intrusion et de pénétration dans les sociétés sunnites pour y favoriser des flux confessionnels sunnites. Nous nous élevons contre de telles tentatives dans un sens ou dans un autre. Je ne suis pas pour une « sunnisation » au sein des milieux chiites. La Nation est confessionnellement structurée de telle façon qu’il ne sert à rien de vouloir aujourd’hui changer l’ordre des choses. Qui a à cœur à élargir son obédience et sa secte, libre à lui de le faire ailleurs plutôt que dans nos contrées. Sur cinq (5) personnes dans le monde, il y a un (1) musulman. Qui veut étendre sa secte, qu’il le fasse au Japon, en Chine, en Corée ou en Amérique. Là-bas l’espace est disponible. Pourquoi choisit-il de venir en Tunisie avec l’intention d’y semer la discorde et d’imposer un courant confessionnel qui n’est pas la nôtre.
La prédication confessionnelle est une futilité, elle relève en fait d’une volonté morbide de semer les graines de la discorde. Les luttes confessionnelles en Tunisie et en Afrique du nord du temps du règne des Fatimides ont fait couler du sang en abondance. Il ne sert à rien de semer les mêmes graines qui risquent de reproduire les mêmes résultats. Ceux qui entreprennent de répandre une croyance confessionnelle là ou il y a une autre croyance, cherchent en réalité à favoriser les conditions propices aux soulèvements et aux luttes sanguinaires.
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