News - 17.06.2016

Patrimoine: le cinquantenaire de la coopération tuniso-allemande devrait être fêté dignement

Patrimoine: le cinquantenaire de la coopération tuniso-allemande devrait être fêté dignement

C’est en 1965 que des chercheurs de l’Institut Archéologique Allemand (DAI) de Rome sont venus demander aux autorités tunisiennes la permission d’effectuer des fouilles dans le site de Chemtou, l’antique Simitthus. La demande a été adressée à l’Institut National d’Archéologie et d’Art (INAA) qui avait succédé, au lendemain de l’indépendance, au Service des Antiquités et des Arts de l’époque du Protectorat.

Elle avait deux objectifs principaux: retrouver des vestiges d’époque numide et comprendre le fonctionnement de la carrière de marbre qui a été exploitée pendant des siècles avant et après la conquête romaine de la région, datant du milieu du Ier siècle avant Jésus-Christ.

Science sûre, mise en valeur exemplaire et amitié fidèle

Le projet allemand a constitué un véritable tournant dans la recherche archéologique en Tunisie. Il a, d’abord, mis fin au monopole français pour ce qui est de la coopération en matière d’archéologie. En réalité, les Allemands renouait avec l’intérêt qu’ils avaient porté à l’histoire ancienne de la Tunisie dès le XIXè siècle et qui avait culminé avec la mission effectuée, en 1873-1874 par le jeune épigraphiste de l’Université de Strasbourg, Gustav Heinrich Wilmanns, envoyé par l’Académie de Berlin en vue de réunir les inscriptions à publier dans le tome VIII du Corpus des inscriptions latines. Cette entreprise de longue haleine a connu un coup d’arrêt avec l’établissement du protectorat français sur la Tunisie.

Une autre nouveauté a distingué l’initiative allemande. Elle concernait les domaines de leurs investigations qui étaient tout différents des monuments urbains d’époque romaine qui avaient accaparé l’attention des archéologues français pendant près d’un siècle. C’étaient avant tout l’archéologie ’’industrielle’’ qui était visée par les chercheurs allemands. Les carrières de marbre exploitées d’abord par les rois numides puis d’une manière plus intensive par les Romains, pendant plusieurs siècles étaient leur objectif premier. Ainsi, ils ont pu étudier, minutieusement, les techniques d’extraction ainsi que les procédés de transformation du fameux marbre jaune dans le cadre d’une ’’fabrica’’ qui comptait parmi les plus grandes du monde romain. Le transport fluvial à travers la Méjerda, en direction du port d’Utique puis, par route, vers le port de Tabarka a aussi retenu leur attention.

Dans la foulée des recherches relatives au marbre, de nombreux autres vestiges ont été mis au jour et publiés dans les règles de l’art : une nécropole numide, des aménagements urbains, une prison, une garnison et des sanctuaires d’époques numide, romaine et byzantine. Un moulin à turbines fonctionnant avec la force de l’eau de la Méjerda a été identifié sur la rive gauche du fleuve, non loin du grand pont-barrage construit au début du IIè siècle après Jésus-Christ. A elle seule, cette installation constitue une grande curiosité ; dans les territoire de toutes les provinces romaines d’Afrique, on n’en a découvert que deux, la deuxième étant celle de Testour. Ces belles découvertes, qui ont donné lieu à de nombreuses études scientifiques, ont été publiées pendant plusieurs décennies. Le très beau musée du site de Chemtou, conçu intelligemment, en partenariat avec la Tunisie et inauguré en 1997, témoigne du souci de la mise en valeur.

Prenant part à la campagne de sauvegarde de Carthage, patronnée par l’UNESCO à partir de 1972, le DAI de Rome a pris en charge les fouilles et les travaux de consolidation et de mise en valeur exemplaires du ’’Quartier de Magon’’  situé près du rivage de la métropole antique. Non loin de là, des  investigations de faible étendue  mais d’un très grand intérêt scientifique ont été effectuées dans un terrain qui donne sur la rue Ibn Chabbat. 

Une autre belle action allemande a consisté à restaurer, dans les années 1990, le ’’Trésor de Mahdia’’, constitué d’objets d’art grecs mis au jour grâce aux fouilles sous-marines effectuées au large de la cité du Sahel, à partir des premières années du XXè siècle. Ces objets qui constituent, depuis leur découverte, l’un des motifs de fierté du musée du Bardo, ont ainsi bénéficié d’une sauvegarde et d’une présentation effectuées selon les règles de l’art. La campagne de repérage et de fouilles  sous-marines menées par une équipe tuniso-allemande, en 1993, témoigne à la fois de la grande disponibilité et des compétences multiples de nos amis européens.

Plus récemment, les Allemands ont apporté, par l’intermédiaire de l’Institut Goethe de Tunis des contributions essentielles à la réalisation d’un projet aussi beau qu’original. Intitulé ’’Me3marouna’’, ce projet a  visé l’étude de certains volets du patrimoine architectural du Nord-Ouest de la Tunisie, considéré dans la longue durée selon une démarche neuve qui s’est voulue participative et soucieuse du développement régional. C’est dans ce cadre qu’a été entreprise la restauration de l’horloge de la grande mosquée de Testour, âgée de quatre siècles.
La relance des fouilles de Chemtou et la campagne de fouilles achevée, il y a quelques jours, à Carthage, dans la zone du cirque, témoignent de l’attachement de la partie allemande à une coopération qui ne cesse de donner des preuves de sa grande qualité. La participation récente de jeunes enseignants-chercheurs et de doctorants des universités tunisiennes à ces fouilles n’est pas la moindre des qualités de cette coopération.

Depuis le début des années 1970, le DAI de Rome reçoit généreusement les chercheurs tunisiens. Au lendemain de la Révolution, l’illustre établissement allemand a, en guise de solidarité avec la jeunesse tunisienne, augmenté considérablement le nombre de ses  bourses tout en s’assurant lui-même de la transparence de l’information qui s’y rapporte.

Les autorités tunisiennes ne peuvent pas fuir leurs responsabilités

Les belles réalisations de la coopération franco-allemande méritaient, certainement, d’être célébrées, en toute fierté, à l’occasion du cinquantième anniversaire de leur démarrage. Il n’en fut rien en 2015, malgré tous les bruits qui ont couru, et rien ne s’est passé au cours du premier semestre de l’année en cours. La faute qui est bien lourde en soi s’ajoute à une gestion pour le moins étonnante des beaux acquis d’une coopération très fructueuse. Le site et le musée de Chemtou ne sont toujours pas dotés d’un guide ni même d’une brochure consistante qui éclaireraient les visiteurs. A Carthage, les vestiges du parc archéologique du ’’Quartier de Magon’’ sont envahis par les herbes sauvages. Ces jours-ci, deux initiatives donnent à espérer : l’installation des caméras de surveillance dans la ’’Quartier de Magon’’, qui fait partie d’un vaste programme tunisien  de sécurisation et la belle clôture qui est en cours de d’achèvement, aux frais du DAI, autour du terrain de fouilles de la rue Ibn Chabbat.

Le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine devrait prendre en charge la célébration d’un cinquantenaire qui a été négligé par l’Institut  National du Patrimoine (INP) et l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion  Culturelle (AMVPPC). En l’absence d’une véritable Direction générale du Patrimoine au sein de ce ministère, pourquoi ne pas confier la commémoration du cinquantenaire à la Direction générale de la Coopération internationale qui serait tout à fait dans son rôle ? En plus de la valorisation des acquis de la coopération, il y a un devoir de mémoire dont le ministère de la Culture devrait s’acquitter : honorer ceux qui, décédés ou faisant encore partie de ce monde, ont du côté allemand et du côté tunisien, œuvré pour la mise en place et le développement d’une heureuse coopération qui gagnerait à être maintenue et diversifiée.

En ce mois de juin, les festivités ramadanesques qui accaparent tant d’esprits, s’apprêtent à céder la place aux interminables festivals de l’été qui seront eux-mêmes relayés par les JCC, les JTC et JMC.  Dans cette frénésie festive incessante, le ministère de la Culture serait bien inspiré de se rappeler et de rappeler aux Tunisiens qu’il est aussi en charge du Patrimoine et pas seulement dans ses aspects folkloriques. Pour ce recentrage utile et attendu depuis longtemps, la célébration des cinquante ans de la coopération archéologique tuniso-allemande sera une bonne entrée en matière.

Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis
 

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