TFBank et la chute du dinar: le grand gâchis!
La dernière baisse du dinar tunisien qui vient d'atteindre son plus bas niveau historique et que certains expliquent par la faiblesse des rentrées en devises parmi lesquelles une baisse des transferts monétaires de la part des Tunisiens Résidant à l'Etranger (TREs) nous amène à mettre sur la table le sujet d'un des principaux outils stratégiques de l'Etat tunisien permettant d'agir afin de maximiser les transferts formels à savoir la Tunisian Foreign Bank (TFBank, ex-UTB).
Cette banque détenue par l'Etat tunisien, à travers les participations stratégiques de banques publiques, reste aujourd'hui un outil doté d’un énorme potentiel qui reste inefficacement utilisé en raison, d'une part, d'un positionnement stratégique complètement absurde et, d'autre part, de l'absence de vision de l'Etat central. Deux défaillances qui font que l'apport de cette banque soit minime comparé à son potentiel et qu’elle soit, de surcroît, menacée dans son existence même dans le périmètre de l’Etat Tunisien.
En effet, la TFBank est mal positionnée stratégiquement. Cette banque, ayant une licence de banque universelle européenne, agit comme une banque classique et se compare aux mastodontes bancaires Français au niveau des prix et des services, alors qu'avec seulement 4 agences (dont une à Tunis) et un siège, elle s'apparente, de facto, de loin plus à une banque en ligne qu'à une banque classique.
Le modèle de banque classique (agences physiques) est très coûteux à développer en terme d’investissement (surtout quand on n'a que 3 agences sur le territoire cible) et son marché a atteint sa phase de maturité1 et est par conséquent saturé, à tel point que les grandes banques de détail françaises s'en désengagent de plus en plus en fermant les agences les moins rentables et en se repositionnant stratégiquement sur le modèle de banque en ligne (ex : Société générale via Boursorama, BNP via Hello Bank...). Ce nouveau modèle bancaire, né de la révolution numérique et fondamentalement différent du business modèle classique même enrichi de quelques services en ligne, est très intéressant puisqu'il n'a pas de limites physiques pour la clientèle, est peu coûteux en comparaison avec le modèle classique et est enfin très rapidement déployable, comparé au développement d'un réseau d'agences. Ceci est d'autant plus intéressant que les capitaux propres de la TFBank ne lui permettent pas d'investir dans un grand réseau d’agences physiques.
De surcroît, une banque destinée à une diaspora se doit d’atténuer les limites physiques et géographiques et doit toucher le maximum de Tunisiens sur le plus large territoire possible, en évitant les investissements lourds, en vue d'être rentable. Pour ce faire et afin de basculer vers ce modèle la TFBank devrait aussi s'aligner sur l'offre/prix/communication/technologies des autres banques en ligne, qui offrent la gratuité sur un grand nombre de produits, voire une politique d'incitation très forte. De surcroît la TFBank à un moyen direct pour toucher sa population cible : le réseau de consulats. Enfin, si une partie de la diaspora n'est pas habituée à la dématérialisation, une autre partie importante de la cible est familiarisée avec les services en ligne voire demandeuse de ce genre de prestations. Il s'agit des étudiants et cadres tunisiens à l'étranger qui de surcroît ont ou auront un potentiel financier très intéressant pour la TFBank.
Le second problème est celui de la vision, à l'image de ce gouvernement qui n'en a aucune, mais qui se lamente aujourd'hui sur la baisse des transferts des TREs. Mais qu'ont-ils fait pour faciliter les transferts des TREs, pour ne pas dire pour y inciter ? La meilleure offre constatée est 1€ de prix de transfert vers la Tunisie ... Mais seulement pour le mois du ramadan ! Et seulement jusqu’à 500€ par virement ! Faudrait-il encore détenir un compte auprès de la banque ! D'ailleurs, si vous aviez déjà tenté d'effectuer un virement vers la Tunisie, il n'y a que des contraintes : coût excessif, taux pas très favorable, délais longs et en plus il faut se déplacer à sa banque2. Autant dire que c'est mille fois plus simple, même quand on est un fervent défenseur des transferts formels, de passer un coup de fil à une connaissance qui a besoin de devises, pour lui demander de verser des Dinars sur un compte voir d'aller donner l'argent en mains propres, en lui réservant le montant en devises à l'étranger pour le jour où il en aura besoin... et le tout gratuitement et même à un taux très avantageux! L'Etat ne devrait-il pas lever les freins voire Inciter les tunisiens résidant à l'étranger pour renflouer le stock national dedevises ? Ni devise n'entre ni comptes de la nation en devises ne se renflouent, ni richesse nationale n'est constatée, alors que si on lève les freins, ce serait carrément l'équivalent d'exportations consommées en local. Autant dire une perte sèche pour le pays!
Pourquoi ne pas prévoir aussi des bons du trésor en devises, libellés et remboursables en devises, spécialement pour les tunisiens à l’étranger ? Pourquoi l'Etat se soumet-il aux contraintes des FMI/BM, en se mettant en faiblesse face à eux alors qu'il a des leviers détenu par des tunisiens et qui lui permettent de renforcer sa position de négociation ? Pourquoi aussi ne pas faire jouer aussi à cette banque un rôle de promotion de l'investissement et de l'exportation pour la Tunisie moyennant la mise en place d'une branche affaires ?
Les idées ne manquent pas sur la manière d'utiliser efficacement cet outil qu'est la TFBank. D'ailleurs, l’Etat central pourrait s’inspirer de certaines publications relatives au sujet, faites par différents acteurs, sur les pistes de transformation de la banque en un outil efficace jouant un rôle majeur dans le renforcement de l'économie Tunisienne.
Au lieu de réfléchir comment réformer, le gouvernement actuel ne voit pas de perspectives pour la TFBank et il aurait été décidé de la privatiser, avec une intention qui est prêtée à ce gouvernement par certains analystes, de l’affaiblir voire de la mettre en faillite, en vue d’une cession prochaine3. Un tel scénario serait juste une ablation d’un outil à fort potentiel, juste parce que nos gouvernants n’ont aucune vision, ce qui les empêche de voir tout le spectre des possibles de cet outil qu’ils ne savent pas utiliser.
S'il est une évidence, c'est que la TFBank doit faire l'objet d'un double repositionnement stratégique de part:
- sa stratégie commerciale et de croissance et
- sa place dans les outils de développement de l'Etat dont elle pourrait être un fer de lance.
Au lieu de ça, en attendant de s’en débarrasser, na sachant pas comment la réformer, la TFBank est perçue comme une institution mineure qui sert à enjoliver une image et à récompenser les plus loyaux serviteurs du régime avec des postes4!
Moez Ben Dhia
Membre du Bureau Politique d’Ettakatol
Consultant Senior en Organisation, Projets et Process
1) Les marchés saturés sont caractérisés par une rentabilité moyenne pour les leaders du marché et faible pour les petits acteurs, voire négative, avec des barrières fortes aux nouveaux entrants et des parts de marchés très peu fluctuantes.
2) Le transfert en ligne est possible via la TFBank mais il faut avoir un compte au préalable
3) Article de Nawaat 14/06/2016 :http://tinyurl.com/h4b3f4d
4 Nomination de Hayet Kebaier Gouta, députée NidaaTounes à la tête de la TFBank. Cette nomination a été très contestée :http://tinyurl.com/zh26a2c
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C'est une analyse assez profonde et bien menée, toutefois un peu réductrice : la chute du dinar ne peut être la conséquence du seul positionnement, catastrophique il fallait le dire, de la TFB ! Ni même des trop maigres transferts des TRE ! Ces raisons comptent pour epsilon dans la dégringolade de notre pauvre dinar national: bien d'autres éléments plus déterminants entrent en ligne de compte, que l'auteur n'a pas développés, et que nos gouvernants connaiss(ai)ent trop bien...
Un article qui soulève l'inertie des institutions en Tunisie ( ici il s'agit des institutions bancaires ) tout en proposant des solutions viables pour en sortir et loin de tous polémique partisane. Bravo.