Les IPSAS, à quand notre tour?
La crise financière mondiale et les crises des dettes souveraines, qui s’en ont suivies, ont révélé que le manque de transparence et l’opacité dans les finances publiques, combinés à une faiblesse au niveau de leur gestion,ne pouvaient que mettre en péril la capacité d’un état à honorer,d’une part, ses engagements financiers et à remplir,d’autre part, sa tâche principale,qui est laprestation de services publics.
Depuis, les besoins en information financière fiable et pertinente sont devenus de plus en plus grandissants, puisqu’ils constituent la pierre angulaire d’une gestion performante des deniers publics.
Dans ce cadre,le passage d’une comptabilité de trésorerie à une comptabilité d’engagement constitue la première étape ; Mais avant tout, essayons de définir ce qu’est la comptabilité d’engagement.
Une comptabilité d’engagement ou la comptabilité à partie double est le processus comptable qui permet d’enregistrer les transactions et les autres événements dans les états financiers au moment où ils se produisent,et non pas au moment de leur encaissement ou décaissement ; ainsi, les états financiers préparés selon le modèle de la comptabilité d’engagement informent les utilisateurs des rapports financiers à usage générale (GPFR)des transactions passées impliquant des sorties et des entrées de trésorerie au cours de la période comptable, des obligations de verser de la trésorerie ou d’autres ressources de l’entité à l’avenir . Donc, il s’agittout simplement du processus comptable existant, en Tunisie et partout dans le monde, pour les entreprises privées, ainsi que les établissements publics à caractère industriel et commercial. Le parfait exemple qui l’illustre, dans le secteur public,c’est celui des IPSAS « International Public SectorAccoutingStandadrs » publiées par l'IPSASB que nous allons étudier dans ce qui suit :
Les états et autres entités du secteur public prélèvent des ressources auprès des contribuables, donateurs, prêteurs et autres contributeurs financiers, afin de fournir des services aux citoyens et aux autres bénéficiaires. Ces entités sont, donc, tenues de rendre compte de leur gestion, et de l’utilisation des ressources, à ceux qui les fournissent, et à ceux qui attendent d’elles le bon emploi de ces ressources, dans les services à fournir.
Ainsi,selon le cadre conceptuel de l’information financière à usage général des entités du secteur public, les objectifs de l’information financière, dans le secteur public, est de fournir aux utilisateurs des GPFR des informations utiles à l’appréciation de la reddition des comptes et à la prise de décision.
Reddition de comptes
La fonction principale des états et des autres entités du secteur public est d’assurer les services qui améliorent ou entretiennent le bien-être des citoyens et des autres résidents éligibles. Ces services comprennent, par exemple : les programmes sociaux et le maintien de l’ordre, l’enseignement public, la sécurité nationale et la défense. Le plus souvent, ces services sont assurés dans le cadre d’une opération sans contrepartie directe, et dans un environnement non concurrentiel.
Compte tenu du mode de financement de ces prestations de service (principalement par l’impôt ou par d’autres opérations sans contrepartie directe) et de la dépendance des bénéficiaires de ces prestations de la poursuite des prestations sur le long terme, une entité sera tenue, afin de s’acquitter de son obligation de reddition de comptes, de fournir des informations sur la gestion des ressources qui lui sont confiées pour assurer les services aux administrés et aux autres,sur le respect des textes législatifs, ainsi que sur le degré de réalisation de ses objectifs au cours de la période comptable, et sa capacité à assurer les prestations pour les périodes à venir.
Prise de décision
Les bénéficiaires de services et les contributeurs financiers auront besoin d’information pour appuyer leurs décisions. Ainsi par exemple:
- Les prêteurs, créanciers, donateurs et autres parties qui fournissent des ressources de façon volontaire, y compris par la voie d’opérations avec contrepartie directe, prennent des décisions sur l’opportunité de financer les activités actuelles ou futures de l’état ou d’une autre entité du secteur public. Dans certains cas, le pouvoir législatif ou son équivalent, qui s’appuie sur l’information dans les GPFR pour prendre des décisions, peut être amené à statuer ou exercer une influence sur les objectifs de performance des services de l’état, des organismes publics ou programmes en matière de prestations, ainsi que sur l’allocation des ressources nécessaires à leur réalisation ; et
- Les contribuables n’apportent pas généralement des fonds à l’état ou aux autres entités du secteur public de manière volontaire ou par la voie d’opérations avec contrepartie directe. En plus, dans de nombreux cas, ils n’ont pas la possibilité de choisir entre la prestation proposée par l’entité du service public et celle d’un autre prestataire. En conséquence, ils n’ont guère la capacité de prendre directement des décisions sur l’opportunité de fournir à l’état les ressources nécessaires à la réalisation de la prestation par une entité du secteur public ou d’acheter ou consommer la prestation. Par contre, les bénéficiaires de services et les contributeurs financiers peuvent prendre des décisions à travers leur vote, et peuvent solliciter les élus ou autres représentants ; ces décisions peuvent avoir des conséquences sur l’allocation des ressources de certaines entités du secteur public.
Bien que le cadre conceptuel de l’information financière à usage général des entités du secteur public ne les ait pas désignées parmi les utilisateurs privilégiés des GPFR (qui sont les contributeurs et leurs représentants, et les bénéficiaires de service et leur représentant), les agences de notation affirment s’intéresser profondément aux GPFR établies selon les IPSAS, puisque dans leur évaluation du risque, ils adoptent une approche comparative entre pays, d’où l’importance d’une information financière standardisée.
En Tunisie, ceci nous paraît utopique, puisque notre comptabilité publique s’apparente plus à un modèle de comptabilité de trésorerie modifiée, un modèlefortement influencé par les contraintes budgétaires, puisqu’il neprend en compte que les encaissements et décaissements prévus dans le budget annuel, mais qui permet, tout de même, de les reporter à une date ultérieure à la date de clôture de l’exercice, jusqu’à ce qu’ils se réalisent ; ainsi l’article 3 du code de la comptabilité publique stipule que :
« Sont seules considérées comme appartenant à la gestion et au budget correspondant, les recettes encaissées et les dépenses ordonnancées dans les douze mois de l'année budgétaire… »
Et ce, quand bien même, la loi n°73-81 du 31 décembre 1973, portant promulgation du code de la comptabilité́ publique, ait prévu dans son article 5 le passage progressif à une comptabilité à partie double, en d’autres termes, à une comptabilité d’engagement.
Outre le manque de visibilité qui en découle, ce mode de gestion des finances publiques nous expose à un grave problème de transparence et de crédibilité, puisque certains chiffres officiellement divulgués, à l’instar du volume du déficit public, sembleêtre faussés,car ils ne tiennentcompte ni du crédit d’impôt, ni du déficit des établissements publics et des caisses nationales ; or cela qui serait quasi-impossible en cas d’une comptabilité d’engagement.
Un deuxième exemple illustrant l’urgence d’un passage à une comptabilité d’engagement, c’est la demande faite par le FMI au gouvernement Tunisien de constater une provision de 400 MD à titre de provision sur une éventuelle indemnité à verser à la société ABCI Investments, dans le cadre de l'affaire de la banque franco-tunisienne (BFT) ; cela va sans dire qu’avec une comptabilité à partie double, ce litige aurait déjà fait l’objet d’une provision.
Nos politiciens, et plus exactement ceux qui dirigent, doivent penser à améliorer leur mode de gouvernance, en adoptant des règles comptables et de reporting plus transparentes ; car cela s’intègre et par excellence, dans le processus de transition démocratique dans lequel nous nous sommes engagés.
Mais qu’en est il des pratiques de par le monde ?
Une étude menée en 2015 par PwC, nous place parmi les derniers de la classe ; ainsi, sur un échantillon de 120 pays sondés : 52% adoptent déjà le modèle de comptabilité d’engagement, et 19% ont déclaré qu’ils sont entrain de moderniser leur système de comptabilité publique et qu’ils envisagent de passer d’ici maximum 2020à une comptabilité d’engagement.Mais qu’est-il de l’Afrique, qui surun échantillon de 25 pays, 16% adoptent déjà une comptabilité à partie double et 68% déclarent qu’ils l’adopteront d’ici 2020. C’est vrai qu’une partie des réponses concernant le timing des reformes relève, plutôt, de l’optimisme et de la bonne volonté de ces pays, mais on peut déjà constater une tendance vers l’adoption de la comptabilité à partie double, c’est le cas des pays comme le Ghana et le Nigéria qui l’ont déjà adoptée et des pays comme l’Egypte et le Maroc qui utilisentdéjà une comptabilité d’engagement modifiée et qui affirment atteindre une conformité totale d’ici 2020.
Ainsi, dans la plupart des cas d’adoption de la comptabilité d’engagement, c’est soit les IPSAS qui ont été adoptés, soit des normes comptables locales qui s’en inspirent largement.
Le processus d’implémentation des IPSAS semble long et coûteux ; les spécialistes l’estiment de trois à cinq années, ce qui donne une idée sur les moyens humains et financiers que cela nécessite ; Mais on peut déjà compter sur le fait que certains organismes, tels que le FMI et la banque mondiale, se disent prêts à financer ce passage,tant qu’il s’inscritdans le cadre d’une réforme globale du système financier.
L’une des conséquences, et non pas de moindres, qui découlera de l’adoption des IPSAS,sera la nécessité de dresser un bilan d’ouverture des comptes publics,en mettant en place des procédurescapabled’identifier et d’inventorier tous les actifs et passifs de l’état. Parmi les rubriques du bilan qui nécessiteront une attention particulière, figurent les immobilisations corporelles, non pas celles qui sont simples, comme les terrains et immeubles, mais surtout celles qui présentent un certain degré de complexité, à l’instar des réseaux routiers et de chemin de fer, des aéroports, des ponts, des équipements militaires… Sans oublier, par la suite, les difficultés en matière de collecte d’informations sur ces immobilisations, et les procédures à mettre en place pour assurer leur suivi ultérieur,surtout en matière d’amortissement et de dépréciation.
L’adoption des IPSAS est la première étape dans le processus de mise à niveau des finances publiques ; il ne s’agit pas d’une fin en soi, mais une nécessité pour constituer le socle d’une administration des finances publiques moderne, qui jouera plus un rôle anticipatif qu’un rôle de teneur de compte, et qui permettra, à long terme, de mettre en place une comptabilité analytique, des tableaux de bord permettant l’évaluation, l’analyse de la performance des politiques mise en place, et qui permettra, par la suite, de les ajuster en fonction des données collectées.
Sous l’ère des IPSAS, plein d’opportunités s’ouvriront à nous ; ainsi on pourra rêver à un budget de l’état établi selon la comptabilité d’engagement, se basant sur des prévisions plus fiables, et systématiquement rapproché avec les données définitives,à un arrêté des comptes publics trimestriel ou tout simplement à l’implémentation d’un ERP qui couvrira tous les process de l’administration.
Moez Kaaniche,
Expert comptable,
associé K&B Partners,
Enseignant universitaire ISG Tunis
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