News - 10.01.2017

Lettre ouverte à Monsieur le ministre de la culture

Lettre ouverte a monsieur le ministre de la culture

Vendredi 6 janvier 2017 à 19h, régnait une ambiance inhabituelle à Sfax à l'occasion de la projection d'un film. Dans la deuxième ville du pays cela relève de l'évènement. Le film tunisien «Fleur d’Alep» est enfin à Sfax! Dans le cadre de sa sortie nationale? NON, c’est à l’initiative d’une association qui a tenu à le faire projeter en première, à Sfax, faute de quoi, les habitants de cette ville ne le verront peut-être jamais. Dans une salle de cinéma? NON, dans l’amphithéâtre d’un établissement universitaire, seul espace qui a bien voulu nous accueillir puisque dans la «Capitale de la culture arabe» (!), il n’y a ni salle de cinéma, ni, théâtre.

Comme il s'agit d'un activité purement culturelle, le  prix du ticket d'entrée ne doit pas logiquement être prohibitif. Détrompez-vous. C'était 15 dinars,  pour que l’association puisse couvrir les frais nécessaires (distributeur du film, location du matériel de projection, frais de communication…). Il fallait bien limiter les pertes! Magré tout, l'amphithéâtre était archicomble

Monsieur Le Ministre,

Tout ceci pour vous dire que les Sfaxiens qui se sont déplacés en nombre ce jour-là, qui ont défié le froid de cette soirée hivernale, l’inconfort des chaises et même les imperfections de la sonorisation sont, comme tout citoyen normalement constitué, assoiffés de Culture et de loisirs intelligents.

Monsieur le Ministre,

Vous devez savoir sans aucun doute et bien avant que vous n'ayiez été  nommé Ministre, que Sfax, une ville de plus de 500 000 habitants, est une ville culturellement oubliée, «environnementalement» lésée et pourtant économiquement nantie. Une ville dont les habitants sont désormais résignés à être sevrés de culture. Quelle dangereuse habitude! Pas d’animation culturelle, ni spectacle théâtral, ni film, ni exposition…, la seule chose qu’on expose devant nos yeux ce sont les cafés qui souvent empiètent en toute impunité sur le domaine public.

Nhebek Hedi ou Fleur d’Alep, deux films tunisiens qui ont fait leur tournée dans plusieurs régions du pays, n’ont pu être projetés à Sfax que grâce à l’engagement des associations. Commence alors un parcours du combattant (culturel!): négociations, marchandage avec les producteurs, recherche d’un local, …

Le seul local disponible dans notre ville, le Centre Culturel Jammoussi était lui-même hors service pendant des mois pour rénovation. Depuis, sa réouverture tant attendue, il est fermé après 18H, ce qui ne laisse pas beaucoup de possibilités aux associations pour organiser des projections de films ou de pièces théâtrales en dehors des horaires administratifs fixes et incompatibles avec les activités culturelles.

Heureusement pour notre association, qu’une faculté et son Doyen conscients du rôle de la Culture dans la lutte contre l’obscurantisme nous ont ouvert leurs portes.

Monsieur le Ministre,

N’étant pas originaire de Sfax, je pensais que les lamentations de ses habitants d’être des laissés-pour-compte de la culture étaient exagérées. Aujourd’hui (après 16 ans parmi eux), je subis comme eux et avec eux cette dure réalité d’exclusion.

J’ai cru, comme la majorité des habitants, que Sfax allait devenir une capitale et même la Capitale de la Culture arabe, qu’elle aurait un autre visage, d’autres couleurs, celles que seule la culture peut nous offrir.

Monsieur le Ministre,

Avec une simple projection de film, notre association a réussi là où le «pseudo» évènement, Sfax Capitale de la Culture arabe a échoué: rassembler dans un même endroit, des amoureux du cinéma et de la culture qui se sont déplacés, depuis leurs lieux de travail, leurs foyers, leurs  facultés, pour partager un moment d’évasion, applaudir un film fort et dur qui donne à réfléchir sur un sujet brûlant et douloureux.

Sfax a droit à la Culture comme le consacre notre Constitution, et ses générations présentes et futures ont ce même droit.

Qu’allons-nous transmettre à nos enfants: des terrasses de café bruyantes et enfumées par l’odeur des narguilés?

Comme si Sfax n’était pas déjà assez polluée?

Afef Hammami Marrakchi

Docteur en Droit – Université de Sfax

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1 Commentaire
Les Commentaires
Rachid Bouhamed - 11-01-2017 12:17

Ceci est une chronique en forme de douloureux faire-part. Sfax, capitale de la culture arabe ? Je préfère oublier cette qualification, aussi imméritée que prétentieuse et trompeuse... J'aurais préféré que les autorités municipales, et nationales, renoncent à requérir ce titre, par pure décence, mais également par pudeur : pourquoi prétendre à cet honneur, lorsqu'on sait qu'il n'y a pas dans notre ville la moindre salle de cinéma, et que le théâtre municipal est tout juste digne des rats qui en sont les seuls occupants ? J'ai grandi à Sfax, où j'avais l'embarras du choix : le théâtre municipal a accueilli les troupes venant de Tunis et de Sfax même, auxquelles il manquait trop souvent, certes, le talent qu'on en attendait, mais il y eut quelques exceptions notables, comme les représentations de Youssef Wahbi et de Farid El Atrache,et les cinémas Rex, l'Étoile, Ennour, le Majestic, le Baghdad, et même le retardataire Atlas ! C'est à Sfax que le grand Tahar Cheriaa m'a initié - avec des dizaines d'autres - au cinéma grâce à son premier ciné-club, qui offrait non seulement des films mais également des débats autour du film projeté, expérience qu'il a multipliée dans toute la Tunisie, pour former au 7e art une grande population de jeunes et de beaucoup moins jeunes... Une longue cohorte d'amateurs qui sont aujourd'hui frustrés, et désolés de voir rompue la tradition qu'ils espéraient léguer à leurs rejetons ! Capitale culturelle ? Laissez-moi pleurer sur nos atlel, même si cela ne sert à rien, même pas à me consoler de cette piteuse humiliation...

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