Sept ans après, les médias, le quatrième pouvoir, doivent-ils intervenir pour ramener tout le monde à la raison?
Il est communément admis que les médias, quels qu’ils soient, écrits, audio-visuels ou électroniques, qui font et défont l’opinion publique, représentent le quatrième pouvoir. Ce pouvoir, devant rester neutre et au-dessus de la mêlée politique en vue d’être objectif et efficace, ne peut demeurer insensible à tout ce qui se passe dans notre pays depuis sept longues, très longues années.Aussi, l’intérêt national exige qu’il ne soit partie prenante d’aucun tiers ou partagé entre ceux-ci et ceux-là. Par contre, il ne peut et ne doit ni observer sans réagir, ni laisser faire et laisser aller sans crier gare lorsque les politiques ont, déjà, perdu toute cette période à palabrer pour ne rien dire de sensé ni réussir de concret et surtout pour ne rien améliorer dans la vie quotidienne de nos concitoyens qui n’en peuvent plus et qui ont perdu confiance.
A priori, le constat qui peut être fait, au lendemain de la révolution du 14 janvier, est que les organes de presse, ou plutôt les journalistes qui conduisent les plateaux, à la radio ou à la télé, ou dirigent certaines rubriques dans la presse écrite, donnent, par leurs prises de position, parfois, manifestes, l’impression d’avoir choisi leur camp. Autant, on les comprend parce que, partout dans le monde, toute révolution est toujours saluée et applaudie, autant on est surpris par certains engagements partisans.On conçoit, aussi, qu’ils se soient, dès le départ, rangés du côté du soulèvement populaire.Tout cela était compréhensible les premières années post-révolution, tellement les griefs lancés, de tous côtés, contre l’ancien régime et ses acolytes étaient nombreux et vraisemblables. Mais de fil en aiguille, une certaine haine et un esprit de revanche insolent ont jailli de je ne sais quel groupement ou confrérie avec une hargne et une agressivité telles que ce règlement de comptes préconisé devrait punir, et très sévèrement, des milliers sinon plus, de concitoyens et surtout de hauts niveaux. Ce règlement de comptes est, aussitôt, devenu la priorité absolue pour une certaine frange de la classe politique laissant de côté les préoccupations essentielles de nos concitoyens allant jusqu’à mettre dans le même sac tous ceux qui ont, simplement, servi le pays sous le régime de l’ancien président Ben Ali. Ceci est d’autant plus vrai, plus grave et même inquiétant qu’un ancien ministre de la Troïka, et de surcroit, cadre dirigeant d’un grand parti, a déclaré sur une radio dela place que tous les cadres qui ont servi sous Ben Ali, devraient être en prison, même s’ils se comptent par millions. Que cela provienne d’un ancien ministre qui a eu des responsabilités et qui a vécu les difficultés du pouvoir est très bizarre et dénote d’un état d’esprit très particulier. Je voudrais rappeler à ce ministre qui a fait partie du* meilleur gouvernement que la Tunisie ait connu depuis l’indépendance*, ( dixit l’un des ministres de ce gouvernement ) et à tous ses semblables qui portent autant de haine envers ceux qui ont, par le passé, servi la patrie, ce qui suit : vous n’étiez pas en Tunisie lors de la révolution et vous n’avez pas vécu les premiers mois post-révolution lorsque le dernier gouvernement de l’ancien régime, surpris par le départ de l’ancien président, s’est mis en léthargie à tel point que personne ne pouvait prévoir ou augurer du devenir du pays et de quoi le lendemain sera fait. C’est alors que les Grands Commis de l’Etat, ces cadres très supérieurs représentés par les Directeurs Généraux des ministères, usant de cette responsabilité qui était la leur et de leur devoir envers la patrie, craignant la perdition du pays, ont pris les choses en mains et ont fait tourner la machine : les administrations ont continué à servir les citoyens, la poste distribuait le courrier, la STEG fournissait le gaz et l’électricité, la SONEDE n’a pas arrêté ses compteurs d’eau, les supermarchés n’ont pas fermé leurs portes et étaient, régulièrement, approvisionnés ; les écoles, les lycées et les facultés dispensaient leurs cours, le tout comme si de rien n’était.Je voudrais rappeler à ce ministre qui a souhaité voir tous ceux qui ont servi sous Ben Ali emprisonnés que ce sont ces mêmes responsables qui ont fait que le pays retrouve, très rapidement, sa sérénité et sa stabilité donc ses repères, pour que le calme soit maintenupuisque les citoyens n’ont manqué de rien.Et tout cela a permis, entre autres,auxexilés volontaires ou forcés dont il était l’un d’eux,de rentrer au pays, en vue de participer aux premières élections libres et transparentes et pourquoi pas, auprochain gouvernement, et ce fut son cas. Je demanderais aussi à ce ministre d’imaginer la situation qui aurait prévalu si ces Grands Commis de l’Etat étaient rentrés chez eux le 14 janvier et n’avaient pas agi de la sorte, que serait advenue de la révolution ?Est-ce que les élections auraient eu lieu ? Est-ce que la pagaille et l’insécurité auraient permis à notre pays d’avoir le même parcours ? Il faut être très courageux pouravouer des vérités, surtout si elles sont inconvenantes. Certes, ceux qui ont bénéficié, illégalement, de leur position, de leur pouvoir, de leurs relations ou autres, doivent rendre compte à la justice *juste* et non revancharde.
Cependant, je voudrais attirer l’attention des médias que tous les grands responsables qui ont servi sous le régime de Ben Ali n’étaient pas, tous, des corrompus. Il suffit de voir le standing de vie qu’eux et leurs familles mènent et leurs comptes bancaires pour être mieux édifiés. D’autre part, ils n’étaient pas des incompétents ou desincapables, inaptes à prendre des initiatives et attendaient toujours les ordres. D’ailleurs, les premiers jours post révolution, ces jours qui ont sauvé la révolution et le pays, l’ont bel et bien démontré et cela en prouvant qu’ils sont des cadres capables, patriotes et responsables. Aussi, est-il étonnant de constater que les médias, durant toutes ces années et craignant je ne sais qui ou quoi, n’ont pas essayé d’approcher et d’inviter quelques anciens responsables de Ben Ali, surtout parmi les Grands Commis de l’Etat tels que PDG, Gouverneurs, Directeurs Généraux ou même des ministres pour essayer de comprendre comment se faisait la gestion du pays ? Comment ils recevaient les ordres et sous quelles formes ? Comment ils les appliquaient ? Etaient-ils mis sous pression ? Etaient–ils libres de donner leurs avis ? Pouvaient-ils refuser ou attirer l’attention sur certaines instructions reçues ?
A titre d’exemple et pour ma part qui fus PDG et Gouverneur, j’ai vécu des situations, des prises de position, des attitudes et des comportements très respectables, dignes de respect et inédits. J’ai connu un Gouverneur qui a forcé la main au Bureau politique du parti au pouvoir (le RCD), donc au gouvernement, pour appliquer, pour tout le pays, son point de vue relatif à des élections nationales; j’ai connu un PDG qui a été désigné à la tête d’une entreprise nationale, en difficulté, d’un effectif de mille personnes et qui a pu bouleverser, à juste raison d’ailleurs, le plan prévu pour soit–disant relancerl’entreprise qui était, fort bien endettée ; j’ai connu un Gouverneur qui a repris les terres domaniales squattées par celui qui les a louées sans faire intervenir les tribunaux; j’ai connu un Gouverneur qui, devant la non-exécution des observations relevées par les services municipaux relatives à la propreté et à l’hygiène de locaux publics , a ordonné la fermeture, en même temps, d’un hôtel, de cinq cafés et de sept restaurants et gargotes, etc……, etc…...Et d’ailleurs toutes ces décisions ont été prises sans demander l’avis d’aucun responsable, ni Président, ni Premier ministre ni ministre.
Le fait que les médias n’ont pas osé, jusqu’à ce jour , faire appel à certains de ces hauts responsables qui étaient d’une très grande honnêteté morale et intellectuelle, imbus de valeurs morales indiscutables, et qui ont servi le pays avec dévouement, abnégation, loyauté, compétence, audace et dynamisme, est une omission incompréhensible. Ils auraient dû le faire, depuis longtemps, dans le but d’éclairer l’opinion publique d’une part et d’autre part, en vue de connaitre les tenants et aboutissants de leurs fonctions etcomment ils les ont accomplies. En faisant cela, les médias auraient joué leur rôle comme il se doit. Cet oubli ne leur a pas permis d’avoir un avis objectif sur ces hauts responsables dont notre pays a , aujourd’hui plus qu’hier, grandement, besoin. C’est en effet, grâce à semblablescompétences que la Tunisie peut redevenir, comme elle l’a toujours été, l’exemple et le modèle, pour que le développement des régions de l’intérieur retrouve sa vitesse de croisière et pour que le couffin de la ménagère redevienne à la portée des petites bourseset ce, pour permettre au citoyen qui a perdu le sourire depuis de nombreuses années, de percevoir cette lueur d’espoir, synonyme de bonheur, de paix et de tranquillité.
Je demanderais aussi aux médias de réfléchir sur la manière dont l’ancien président Ben Ali a conduit le pays, les premières années, après le changement du 7 novembre.Je lui impute, d’abord,les très graves erreurs qu’il a commises en laissant faire et en avantageant, illégalement, sa belle-famille, en passant outre les règles et les Lois de la République et surtout en n’ayant pas respecté ses engagements pris par la déclaration du 7 novembre 1987. Par contre, combien d’années la Tunisie a gagnées en évitant la chasse aux sorcières car, n’oubliant pas que notre pays avait, en novembre 1987, beaucoup plus de difficultés économiques et financières qu’en janvier 2011.Il a eu la sagesse, de tourner la page et de s’occuper de la croissance du pays. En moins de trois ans, il a réussi à remettre l’économie sur les rails et la Tunisie colla aux pays en développement.
Une réconciliation nationale, entre tous les tunisiens, totale et globale, sincère et sans aucun calcul, aurait le grand avantage de booster le développement dans tous les domaines, pourrait réduire, considérablement, l’émigration clandestine de notre jeunesse, notre plus importante richesse et notre plus grand espoir.
Faut-il, aussi, rappeler que la haine et l’esprit de revanche qui n’ont jamais réglé les ressentiments et l’inimitié entre les citoyens d’un même peuple, doivent être, à jamais, bannis de notre culture, de notre passé et de notre présent.
Espérons que le quatrième pouvoir se décide à prendre le taureau par les cornes pour inviter avec insistance et faire pression surles partis politiques et les organisations nationales à plus de raison, à plus de patriotisme, à plus de réalisme, à plus d’entente, à plus de coopération, à plus de sincérité et à moins d’égoïsme pour que:
- d’abord, l’Etat retrouve son Autorité et son prestige pour qu’il soit craint et respecté,
- ensuite, l’économie soit boostée au maximum pour augmenter les exportations pour que le dinar retrouve sa vraie valeur par rapport aux devises étrangères,
- et enfin, les investisseurs nationaux et étrangers parient sur notre pays pour créer davantage d’emplois.
Que Dieu veille et protège la Tunisie Eternelle, l’héritière de Carthage.
Boubaker Ben Kraiem
Col.(r)Ancien Sous-Chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre —Ancien Gouverneur
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