News - 22.04.2019

Me Boubaker Chaouch nous quitte : révélations sur un parcours d’exception (Album Photos)

 Me Boubaker Chaouch qui nous quitte : révélations sur un parcours d’exception

Son sourire restera en souvenir indélébile. Me Boubaker Chaouch, récemment décédé à l’âge de 82 ans ne s’en désemparait jamais. Même dans les moments les plus difficiles lorsqu’il exerçait de délicates tâche dans la haute hiérarchie de la Police nationale (contre-espionnage, sécurité présidentielle, inspection générale des Services...). Ou encore, en tant que conseiller spécial de Si Mohamed Ennaceur, ministre des Affaires sociales, revenu au gouvernement après sa démission à la veille du 26 janvier 1978, soucieux de renouer les fils avec l’UGTT, décapitée et ses dirigeants, Habib Achour, emprisonnés. Si Boubaker Chaouch, limogé lui-même dans la foulée du 26 janvier pour avoir refusé de couvrir le carnage, jouera un rôle aussi discret qu’efficace dans la levée d’écrou des syndicalistes et le renflouement de la centrale syndicale historique. Retour sur son parcours, en hommage.

In Memoriam 
Maitre Boubaker Chaouch
30 Janvier 1937- 14 Mars 2019

Le gout du bonheur

Il l’aimait tant son cher pays. Peut-être n’aurait-il pas trouvé les mots pour dire combien il l’aimait. Sa lumière, ses couleurs, son soleil vif et écrasant, sa mer, tantôt d’huile, tantôt démontée, ses parfums - quand, au printemps éclosent les jasmins, ou quand, au point du soir, s’ouvre le misk-il-lil - ses frimas des matins d’hiver, ses après-midi d’automne à la moiteur somnolente, et surtout, ses longues soirées d’été, où, sous une lune pleine, à l’éclat froid des étoiles, il retrouvait ses amis fidèles, une famille aimée et choyée, leurs plantureuses agapes, leurs histoires, leurs tracas, leurs rires. Une vie. 

Tozeur 1937. Tozeur, sa ville natale. Tozeur, vieille citadelle hors du temps. Ses briques ocres et pâles, celles des palais de Saba, ses ruelles ombragées, ses palmiers, sa Forêt(1) , ses fruits gorgés de lumière, ses Anciens, aux visages burinés de soleil, calmes et austères, ses femmes, ô combien déjà indépendantes, l’humour inaltérable des gens du Sud, l’enchantement des longues veillées, aux contes immémoriaux, aux joutes des poètes, aux versets du Coran psalmodiés, et puis son rire à lui, enfant, avec sa chèvre, avec ses jeux dans la palmeraie, scandés par le murmure cristallin de l’eau des canaux, ses premières baignades à  la Hama, ses courses à en perdre haleine dans le désert immense, le sable sous ses pieds nus,  le regard vert de sa mère… L’enfance. On ne quitte jamais vraiment le pays de son enfance.

Parfois, une rencontre change tout. Son instituteur, Mohammed Souissi est un humaniste, un hussard noir dans un pays miséreux et dominé. Souissi en est convaincu : seul le savoir émancipe. En toute chose, il n’est de guide que la raison. Il le pousse à étudier, lui insuffle la soif d’apprendre, la quête de connaissances, la curiosité des mots et des choses. Vient le concours d’entrée au collège. Il est reçu au lycée Alaoui de Tunis, seul admis du gouvernorat. Il a 13 ans. Il quitte les siens. Un nouveau monde s’ouvre à lui. L’aventure commence.

Une jeunesse tunisienne

Tunis sous protectorat français. Il ressent dans sa chair la blessure du colonisé, il la palpe dans la misère qui l’entoure, la lit dans le regard sombre de ses jeunes camarades lors des premières manifestations lycéennes Le pays s’ébroue, sort de sa torpeur séculaire. L’histoire est en marche et laisse sourdre au grand jour le cri de la révolte. Et enfin, ce 20 mars 1956, la Tunisie recouvre son indépendance.

Mais un an plus tard, un drame survient: la mort de son père.

Il faut affronter la douleur. Interrompre  ses études. Remiser ses rêves. Il est seul désormais. Il doit gagner sa vie. Il a vingt ans.

Parmi les petits boulots qu’il est contraint de faire, il est simple commis à l’assemblée  constituante . Par le plus grand des hasards, il retrouve soudain, face à lui, Habib Bourguiba. Assis à un bureau, le nouvel homme fort du pays jongle entre plusieurs conversations téléphoniques, dicte un courrier à son secrétaire, se lève, rit, répond aux uns, invectiveles autres. Il est subjugué.

Il intègre la police au dernier échelon. Il reprend parallèlement ses études, s’inscrit à la faculté de droit, participe brièvement au bureau politique des jeunes étudiants du parti destourien. Il veut honorer à son tour cette jeune nation,se mettre à son service. Servir surtout,  servir. Souveraineté, république , bien commun, intérêt général, méritocratie,  ces mots résonnent comme une promesse. Il veut mettre ses pas dans ceux de ses aînés, ils ont commencé à bâtir un état , mais il faut se hâter, consolider ses fondations encore fragiles,  il reste tant à faire, le pays manque cruellement de jeunes cadres diplômés de l’enseignement supérieur, lui veut ajouter sa pierre à l’édifice, il faut concrétiser tant d’espoirs..

A l’été 1961, c’est la crise de Bizerte. La ville est alors le théâtre d’une tension paroxystique entre la Tunisie et son ancienne puissance coloniale.

La France occupe encore la base navale de la ville, située à la pointe extrême de l’Afrique.Ouverte sur le canal de Sicile, elle constitue un maillon essentiel pour le contrôle stratégique de la Méditerranée. Dans le contexte sensible de la guerre froide et de la guerre d’Algérie, Habib Bourguiba exige sa rétrocession et sonévacuation totale. Si l’occupation militaire française constitue une manne financière avantageuse pour cette Tunisie encore chétive, c’est aussi une plaie béante sur le corps de la jeune nation. Mais n’est-ce pas aussi le bon moment pour faire pression sur Paris,afin de délimiter au plus vite les frontières du sud tunisien , si proches de ces précieux puits de pétrole de l’Algérie encore française ?

Le jeune homme de 24 ans ignore tout de ces dessous des cartes et de leurs subtilités politiques.Alors en poste à la police judiciaire de Tunis,  on l’envoie en mission à Bizerte, accompagné d’un collègue.  Munis d’un laissez- passer, en tenue civile, ils franchissent un barrage dressé par l’armée tunisienne. Dans la ville, la bataille fait rage : les balles sifflent, ils frôlent la mort à chaque ruelle. Les hommes se retrouvent souvent à court de minutions, de jeunes tunisiens tombent sous le feu ennemi.A la faveur d’un cessez-le -feu, ils regagnent la capitale.
ATunis, la situation se normalise. Sa vie aussi.

Il se marie, elle aussi est une jeune étudiante: Maherzia. Ils s’aiment, fondent une famille, ont un fils, Sami, deux autres enfants suivront, Hajer et Slim.
Il obtient son diplôme de droit. Il a 30 ans. Vite, rattraper le temps perdu. Il sait qu’un vaste champ des possibles s’ouvre à lui.

Au service de l’état

Il entre au ministère de l’intérieur, mais cette fois ci, son diplôme lui ouvre directement la grande porte : il est nommé Commissaire de police  à Tunis. Il fait partie de la délégation tunisienne d’ Interpol à Téhéran :c’est son premier voyage officiel, il ressent cette immense fierté de représenter la Tunisie. En 1968, il est fait chevalier de l’ordre de la République,  et dans la foulée, on lui attribue la région de Sousse, lui, l’homme du sud, sans parentèle, sans famille . Son instituteur avait raison d’y croire. Il l’incarne, cette nouvelle Tunisie. Il est le fruit de cette méritocratie tant vantée.

Quand le Shah d’Iran arrive pour une longue visite officielle en Tunisie, il doit gérer sa venue dans la région du Sahel. Les services secrets iraniens s’affolent , ils savent que le président Bourguiba est friand des bains de foule et que non seulement il ne dédaigne pas le contact physique avec ses concitoyens, mais qu’il aime leur parler, les toucher, caresser la tête d’un enfant, le prendre dans ses  bras. Il n'est pas question de faire prendre ce risque à leur souverain, ils craignent constamment pour sa vie, il ne faut pas sortir du cadre protocolaire ! Les Tunisiens connaissent leur président : inutile de lui relayer la requête inquiète de leurs homologues iraniens. Il fera comme d’habitude, c’est à dire, comme bon lui semble! Alors, on sourit poliment. Et on attend. Évidemment, on n’est pas déçu :  le facétieux combattant suprême prend  place avec le roi des perses dans la voiture présidentielle, s’empare avec force du poignet de l’auguste monarque stupéfait et le hisse d’autorité afin que lui aussi puisse goûter à son tour à la liesse des masses populaires!

Toutefois, l’atmosphère du pays est morose: jeux de pouvoir, régionalisme, luttes d’influence, manœuvres intestines, chausse- trappes... Le service de l’état ne s’avère pas vraiment être un long fleuve tranquille.

C’est une  période où les antagonismes «claniques» au sommet du pouvoir peuvent être féroces et il est difficile de ne pas pâtir de leurs attitudes agonistiques. Ces aléas freinent ou accélèrent sa carrière. Mais lui refuse catégoriquement toute fonction «politiquement» sensible.

Différents ministres de l’intérieur se suivent: l’un des premiers d’entre eux est M. Beji Caïd Essebsi, qui aura le destin que l’on sait.

En 1974,  il est fait commandeur de l’ordre de la République, obtient le grade de commissaire supérieur. Il prendsuccessivement la tête de différents services: contre espionnage, école de police, chef de l’escorte présidentielle, inspecteur général des services.

Il voyage aussi. Comme pour ce congrès arabe sur la sécurité à Amman. Quelques mois plus tôt, la Tunisie et la Jordanie avaientbrutalement rompu leurs relations diplomatiques suite à une déclaration  du président Bourguiba, dans laquelle il s’exprimait en ces termes sur le  royaume hachémite*: «ce qui n’existe pas en réalité, c’est la Jordanie, ou la Transjordanie,  qui n’ont jamais existé dans l’histoire! Transjordanie, Jordanie, c’est le Jourdain, c’est un fleuve ! C’est  une invention del’Angleterre pour contenter, consoler le prince , l’Emir Abdallah,.. et faire un petit royaume « transjordanique »… mais depuis l’antiquité , depuis les philistins, il y a une Palestine qui va des frontières de l’Egypte aux frontières du sham…».
Mais en ce printemps 1974, les deux pays ont rétabli leurs relations diplomatiques. L’accueil est peut être encore un peu frais,mais cela n’empêche pas la délégation tunisienne de poser, tout sourire, pour une photo avec le roi Hussein. Et le jeune commissaire peutcalmement s’émerveiller devantces fameuses eaux du Jourdain ! Et puis, la mer morte,le pont Allenby, le Sinaï...Derrière, au loin, le spectre encore chaud de la guerre.

A Tunis , la guerre de succession continue, souterraine, larvée. Pourtant, il n’est pas encore désenchanté. Il est même  fier d’expliquer à ses collègues marocains interloqués, que non, on ne lui a pas confié l’escorte présidentielle parce qu’il est de Monastir, d’ailleurs, il est du sud tunisien, et non, il ne fait pas partie de la famille de Bourguiba, ni de celle de son épouse.  C’est dans ces moments là qu’il l’aime tant, l’Etat.

1978 : coup de tonnerre dans le pays, rupture béante dans sa vie.

Il est inspecteur général des services. Il dirige donc «la police des polices»,théoriquement créée dans le dessein d’instaurer une vraie police républicaine.

Mais ce 26 Janvier, après la grève générale décidée par l’UGTT, la puissante centrale syndicale, les évènements s’embrasent. Manifestations, émeutes, le courroux éclate. Le pouvoir tire. On compte de nombreuxblessés,des morts. L’état d’urgence est décrété.Le pays est sous couvre-feu, mais l’incendie est inextinguible.

Lui n’hésite pas. Conformément à la loi, sa mission est de diligenter les enquêtes. Et à chaque demande de sa hiérarchie, il objecte le Droit. Rester fidèle à ses principes , ne pas céder,ne pas trembler.« Saint Just ! », s’esclaffera-t-il  plus tard pour résumer sa carrière au ministère de l’intérieur.

Le couperet ne tarde pas à tomber. Il est démis de ses fonctions. Mis à la retraite d’office.

Il a 41 ans. Il ne possède rien. Il n’a plus de travail et une famille à nourrir. Tout est à refaire.

Aux affaires sociales

Quand on chute de cheval, on doit rapidement se remettre en selle. Mais la chute est cuisante et amère.
Sa traversée du désert dure deux ans.. Deux longues années éprouvantes, voilées de doutes, d’espoir aussi grâce aux mains tendues de quelques amis. Ce n’est qu’à la saison des tempêtes que l’on mesure la valeur d’une amitié.

Par tropisme,  presque instinctivement, lui a toujours eu un élan vers le réprouvé, le blessé, vers le faible qui trébuche et quitombe. Mais pourquoi donc a-t-il toujours eu tant de mal aveccelui qui trône, satisfait, ivre de pouvoirau sommet de sa gloire?

En 1980,  les choses se remettent en branle dans le pays. Un nouveau gouvernement se forme. Suite à 1978, et de surcroît après les récents événements de Gafsa**, il faut impérativement pacifier la nation. On prône l’ouverture, la réconciliation, on rappelle des «démissionnés».

Il accepte une fonction de conseiller au sein du cabinet du ministre des affaires sociales, M. Mohammed Ennaceur, promis lui aussi à jouer un rôle éminent dans le destin du pays.

La première mission qu’on lui confie l’exalte: reprendre langue avec l’UGTT, l’historique centrale syndicale. Décapitée depuis les événements du 26 janvier, elle se retrouve avec une direction en prison ou en liberté surveillée. Il faut renouer les liens, en toute discrétion. Il est l’une des courroies de transmission.

Finalement, pouvoir et syndicat parviennent à un accord.

C’est un de ces moments singuliers où sa vie est à l’image de celle de sa patrie: à lafièvre furieuse succèdeune apaisantesérénité.

Sérénité. Il faut dire que même les lieux s’y prêtent dans ce ministère niché près de la Médina, dans ce haut bâtiment à l’architecture andalouse,orné de son vaste patio aux arcs voûtés striés de noir et de blanc, fières vigies plantées autour d’un carré de jardin d’où s’échappent de solidespalmiers.

Au cours de ces années là, il noue des amitiés indéfectibles : feu Tahar Azaiez, M.Taoufik Habaïeb alors jeune attaché de presse, tant de visages, de rencontres…
Quand une délégation de ministres arabes des affaires sociales atterrit à Tunis , il est heureux de les accompagner dans le sud tunisien. Ils se recueillent sur la tombe du grand poète Aboulkacem Echebbi, récitent ses paroles déversées dans la mémoire de tant de locuteurs arabes, ses mots de fer et de sang. Lui se perd peut être dans ses souvenirs, ses pas le portent sur les traces de son passé, vers le soleil de son enfance. Vers sa mère dont le  regard clair s’est éteint quelques mois plus tôt.

Mais il faut se ressaisir. Le souvenir brûlant du 26 Janvier le hante. Il a appris la douloureuse leçon. Ne plus laisser les évènements décider de son sort. Ne plus être happé par le tourbillon. Ne plus échouer sur la grève et se découvrir naufragé, meurtri.
Cette fois, il décide que lui seul prendra les rênes de sa vie. Il s’inscrit au barreau de Tunis. Il a 45 ans. Une nouvelle carrière commence.

Avocat à la cour de Tunis

Comment parler du bonheur ? Sait-on seulement quand on est heureux?

Il endosse sa robe d’avocat,se replonge dans ses livres de droit. Le droit, la justice, ses vieilles passions familières.

Mais il est de l’autre côté désormais. Il découvre un autre métier, se crée de nouvelles habitudes. Tous les matins, il prend son café chez le bâtonnier, Maître Lazher Echebbi, son grand ami. Ils sont bientôt rejoints par d’autres avocats et le bureau exigu situé à quelques encablures du palais de justice se métamorphose alors en une ruche de robes noiresbruyantes et virevoltantes. Dans une douce cacophonie, on se presse, on se fait de la place, on s’apostrophe,on refait un peu le monde aussi.

La routine s’installe avec les plaidoiries à la cour, les dossiers des clients, les visites en prison…il est avocat conseil de l’ambassade d’Autriche quelques temps, puis de l’ambassade de Suisse pendant de longues années.

Il garde dans son bureau une toile étrange et torturée. Elle a été réalisée en prison par un jeune peintre suisse. Lui avait tenté d’adoucir la peine de cet homme encore si jeune, en lui remettant le seul exutoire susceptible de le soulager : des pinceaux, des couleurs, une toile blanche. Le jeune zurichois y a mis toutes les ténèbres qui noircissaient ses pensées. Dans un coin de la toile, l’artiste n’a laissé transpercer qu’un maigre rayon de lumière. Son espoir d’être libéré sera exaucé dans quelques mois.

Car il aime les gens. Il se nourrit de leur présence . Il leur donne en retour son rire reconnaissable entre tous, sa chaleur.

Un grand nombre de ses amis d’autrefois sont encore aux affaires. Il glane d’autres amitiés  au gré de ses rencontres. Chez lui, la maison ne désemplit pas. Il a presque fini par y instituer un ersatz de« salon politique » ! Bien qu’à l’écart des centres de décision, il se plaît à jouer un rôle de  « pacificateur »entre hommes de différentes sensibilités.

Progressivement, l’atmosphère du pays devient étouffante. Une atmosphère de fin de règne. À l’automne 1987, le pays retient son souffle et Tunis bruisse de rumeurs de coup d’état. Il advient le 7 novembre 1987.

Loin des méandres du pouvoir, lui suit son chemin. Le pays suit son destin.

Les veillées demeurent égayées par la présence de ses amis, comme feu le grand poète Midani Ben Salah dont l’érudition remarquable s’accompagne d’un sens de l’humour inimitable. Il fréquente surtout des juristes et une grande amitié naît avec M. Mokhtar Ben Jemaa.

Peu à peu, il ralentit son rythme de travail et sa vie sociale se concentre surses amis intimes, sa famille, ses petits enfants. À l’automne d’une vie, le temps est trop précieux.On le ménage avec précaution .On mesure tout ce que l’on fait à l’aune de ce maître exigeant. On se dépouille du superflu, on se prépare à se consacrer à l’essence des choses. On distingue enfin l’essentiel de l’important.
 Apres le 14 Janvier 2011, il voit des visages familiers revenir sur le devant de la scène politique. Lui n’éprouve plus le désir de livrer de nouvelles batailles, il n’en ressent ni l’envie, ni la force. Ou peut être est-ce parce qu’au crépuscule de son existence,  on finit par comprendre différemment l’énigmatique dernière phrase du Candide de Voltairequ’il se plaisait à citer :« ceci est bien dit, mais il faut cultivernotre jardin ».

Voilà. C’est le printemps. Tu rejoins dix ans et un jour plus tard ton jeune frère Mahmoud. Sa perte inattendue t’avait cruellement affecté, il te manquait tant.

Une vie. Ces quatre vingt deux années sont passées comme un éclair, comme un songe.

Une vie. Tant de souvenirs…

Au lever du jour, plonger à tes côtés dans l’eau froide et délicieuse, mordre dans des fruits frais et juteux, saturés du soleil de l’été, flâner, t’accompagner dans tes longues promenades au bord de la mer, s’émerveiller par la grâce de tes yeux de la saisissante beauté de la voûte étoilée, la nuit, dans le désert, t’entendre méditer avec une tendre gravité sur l’immensité, l’infini, s’amuser de te voir refaire le même rituel que ta mère, cueillir tous les soirs des fleurs de jasmin de ton jardin. Le parfum du jasmin, c’était l’odeur chaude et douce de ta mère…

Ressentir ton intime émotion quandtu récitais les sourates du Coran que tu connaissais par cœur,respirer la sérénité qui t’habitait dans ces moments là, s’étonner de ta mémoire phénoménale, t’écouter parler des heures durant de ton Panthéon peuplé de grands écrivains arabes, Al Moutanabi, AlJahedh, Al Aakad, Georges Zaydan... 

Tu aimais lerépertoire  arabe classique, les  vieilles chansons de Farid Latrech, de Saliha, la voix forte et troublante d’Om Kalthoum, ses envoûtantes paroles d’el ahram, ô pyramides…

Tu savais aussi déclamer Le mont des oliviers D’Alfred de Vigny, tu vibrais aux scènes du Lorenzaccio d’Alfred de Musset, tu étais transporté par les vers sombres et clairs de La légende des siècles  de Victor Hugo…

Tu as partagé avec nous ton rire, ton soleil. Par-dessus tout, tu nous as  appris l’essentiel.

Le gout du bonheur.

Elias et HajerChaouch

(1) « El Ghaba »

* in document INA, YouTube : M. Bourguiba, interview sur le moyen orient, 17 Juillet 1973
**27 Janvier 1980, action armée menée par un commando à Gafsa.

 
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2 Commentaires
Les Commentaires
Azaiez riadh - 22-04-2019 17:34

Si Boubaker Chaouch a été un grand ami de la famille , de Si Taher en particulier.Il a été un témoin des plus avertis des secousses sociales qui ont marqué notre Tunisie dans les annees 70 en particulier.Si Boubaker fait partie de ces hauts commis de l etat qui ont servi fidelement la Republique.J ose esperer que nos autorites penseront un jour à honorer la memoire de nos anciens qui nous ont quitté , sans oublier les derniers grands militants que nous avons la chance de compter parmi nous .

Kenza Marrakchi - 22-04-2019 23:30

Très touchée par cet article, Hager Chaouch a hérité du meilleur de son papa. Il est pour moi impossible de décrire ce grand monsieur, cette grande école, j'ai tout appris de lui .. des plus grand poètes aux plus grands philosophes..on récitait ensemble et il m'a donné cet amour des lettres, du savoir et surtout de la patrie. Allah yarhmou weynaamou il restera dans la mémoire de ma famille à jamais.

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