Coopération de défense tuniso-algérienne: Lutter contre les préjugés, place au pragmatisme
Observateur attentif et parfois humble acteur(*) de la coopération de défense tuniso-algérienne depuis plus de deux décennies, je souhaite en quelques lignes proposer des clefs de compréhension au lecteur en me gardant bien de sortir du chapeau une solution toute faite. En effet, cette coopération revêt un caractère complexe parfois même impénétrable, voire incompréhensible pour le non-initié. Elle s’inscrit de façon plus générale dans une relation, qui a toujours été compliquée traversée par des phases «avec» mais aussi par des phases «sans».
Je persiste à croire que l’avenir de nos deux pays passe par la poursuite pas à pas de la construction d’une relation de défense qui à défaut d’être fusionnelle, doit être avant tout pragmatique: les sujets qui nous lient sont plus forts que ceux qui nous séparent.
Après avoir combattu quelques préjugés anciennement installés dans les esprits de part et d’autre des frontières, il me semble utile de s’attarder quelque peu sur quelques différences fondamentales qui ne peuvent être balayées d’un revers de main. En luttant contre le subjectif tout en restant réaliste, on peut ensuite, s’appuyant sur ce qui existe déjà, poursuivre la construction d’une relation solide; les opportunités ne manquent pas, encore faut-il avoir la volonté partagée de les saisir et de les exploiter.
Lutter résolument contre certains préjugés
Il est assez facile lorsque l’on veut éluder le sujet compliqué de la coopération de défense tuniso-algérienne de se retrancher de part et d’autre des frontières derrière des préjugés ayant la vie dure. Ceux-ci, présentés comme des postulats, renforcent in fine l’idée qu’il est hors question de travailler avec le partenaire tant le fossé est grand .
On se contentera ici d’indiquer un couple de préjugés
Le premier préjugé qui semble intéressant à évoquer a une essence politique: du côté tunisien, on considère que l’armée algérienne est profondément politisée. Derrière cette assertion, qui me parait exagérée, se reflète une réserve quant à l’échange intensive de stagiaires dans les écoles et centres d’entrainement militaires des deux pays.
Pour mieux comprendre le bien-fondé de ce préjugé donc l’éradiquer efficacement, il convient, à mon sens, d’analyser les fondements historiques et idéologiques du pouvoir d’Etat en Algérie issu de la guerre de libération du pays et dans lequel l’Armée jouait et joue encore un rôle prépondérant.
En réalité, il y a en Algérie une ambiguïté particulière quant à la détention effective du pouvoir et son exercice effective sur le terrain. En d’autres termes, il y a confusion entre l’autorité souveraine qui décide et l’élément exécutif qui gère les affaires courantes. Depuis l’indépendance, l’Armée algérienne détient effectivement un pouvoir légitime se reposant sur un principe forgé de l’histoire du pays et indissociable de la lutte pour la libération nationale. Autrement dit, la légitimité politique est détenue par les militaires du fait que la souveraineté nationale a été arrachée par l’Armée de Libération Nationale (ALN) devenue l’Armée Nationale Populaire (ANP).
Cette situation a créé un genre de dédoublement du pouvoir d’Etat. Il y a en effet le pouvoir légitime et historique de l’Armée et d’un autre côté, le pouvoir politique et exécutif mandaté par celle-ci. C’est probablement au nom de cette légitimité historique que c’est le Général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, Vice-ministre de la Défense Nationale et Chef d’état-major de l’Armée Nationale Populaire, confirmant la dualité du pouvoir, qui fixe, en ces jours, le tempo des élections présidentielles qui auront lieu le 12 Décembre prochain.
Le deuxième préjugé est cultivé particulièrement dans l’enseignement militaire supérieur: Le tunisien considère que le chef militaire algérien ne sait pas prendre d’initiatives et reste englué dans le cadre d’ordre fixé par l’échelon supérieur. Ce sont les conséquences de la coopération avec le bloc soviétique qui leur a inculqué la doctrine militaire soviétique. Comme chacun sait la culture tactique et stratégique russe est au cœur de la formation des officiers algériens.
La coopération tuniso-algérienne dans le domaine de la lutte antiterroriste est à présent une réalité avec des résultats tangibles sur lesquels on peut s’appuyer pour toucher d’autres domaines, opérationnel, culturel et industriel qui offrent d’immenses opportunités pour peu qu’on évite de se fixer des objectifs surréalistes.
La poursuite de cette coopération implique de développer sans relâche un climat de confiance et de respect mutuel qui se construit en particulier sur une connaissance réciproque de nos différences et sur la fin de certains préjugés.
Nous devons travailler ensemble sur des sujets concrets en évitant de parler de chaque côté des spécificités de l’autre.
Le niveau d’ambition politique est présent, porté au niveau des Chefs d’Etats à travers des contacts permanents et des projets capacitaires ambitieux alors que nous continuons sans cesse d’améliorer l’interopérabilité de nos moyens militaires comme celle de nos esprit.
Mohamed Kasdallah
(*) L’auteur était Attaché de défense auprès de notre Ambassade à Alger
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