Samir Gharbi - Tunisie 1960-2020: Ombres et lumières sur le chemin parcouru…
Soixante ans de développement, tâtonnant, vertueux, dynamique, chaotique… Tel est le challenge que je me lance pour décrire, brièvement, le chemin parcouru par la «Petite Tunisie». Un pays qui a de toutes les ressources un peu de chaque, qui ne manque donc de rien… Mais qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. En 1960, nos dirigeants savaient où aller, malgré la multiplicité des besoins de l’époque. Ils avaient tracé des «perspectives» et des «plans» de développement (décennal, triennal, annuel). Ils avaient une vision, critiquable, mais une vision. Une vision de la société (moderne, ouverte, progressiste). Une vision économique cohérente (expérience socialisante, échec, puis socio-libérale).
Les défis qu’ils avaient à relever étaient incommensurables : tout un pays à construire, en commençant par les bases (armée, sécurité, aménagement, administration, législation, monnaie, infrastructures). Ils ne pouvaient – même s’ils le voulaient ardemment – régler les inégalités de revenu entre les personnes et les régions.
Il aurait fallu cinquante ans dans un pays avec des superstructures «stable», un cadre «législatif» pérenne, un personnel politique honnête sur toute la ligne… Ces éléments dits «structurants» ont manqué durant la période décisive (début des années 1980).
Des éléments «perturbateurs» et «malsains» se sont introduits dans les calculs des élites: qui doit succéder à Bourguiba que les un et les autres donnaient pour mourant depuis 1970. Mais plus sa vie se prolongeait, plus la «guerre de succession» s’intensifiait au détriment de la «stratégie de sortie de sous-développement». Qui dit guéguerre, dit manipulations, décisions incongrues : comme la «présidence à vie» octroyée à un Bourguiba hors de lui-même, comme le refus de toute démocratisation politique, comme les tricheries électorales successives, comme corruption, comme le mensonge sur le « pain » qui provoqua des émeutes dans tout le pays et amena un «sécuritaire» à la tête de l’Etat. Lequel sut jouer de la naïveté de la majorité des Tunisiens : la croissance économique (vitrine), la matraque (répression) et encore plus de corruption (les premiers clans mafieux). Le peuple se réveille, comme en 1864, comme en 1984, et «plouf», il se jette dans la gueule des «loups»: assoiffés de pouvoir, de vengeance, d’argent… les meutes de «loups» parviennent difficilement à se partager le corps de la bête. C’est une foire d’empoigne. Adieu les perspectives décennales, adieu les «documents bleus» du Budget économique (qui donnaient la stratégie, les projets, les régions). Faute de vision, on navigue à vue et on s’interroge : pourquoi ils n’investissent pas ? Pourquoi on ne crée pas d’emploi? Pourquoi les prix augmentent sans cesse ? Pourquoi la qualité et la quantité baissent sans cesse… ?
La Tunisie a été bâtie sur un «socle» inamovible, sauf catastrophe climatique ou humaine, celui d’une société majoritairement moderne, pratiquant d’une religion pacifique, une société qui aime la vie, une société honnête, travailleuse… dans un beau pays méditerranéen, aux traditions ancestrales berbères, refondé par les Phéniciens, convoité par les Romains et autres, re-refondé par les Arabes, les Ottomans, les Européens, repris en mains par les Tunisiens eux-mêmes. Il lui manque aujourd’hui, un déclic, celui qui émanera un jour de sa brave société civile. Avis aux amateurs et autres apprentis en politique, ces Tunisiens-là, de toute leur histoire deux fois millénaire, n’aiment pas le mensonge au sommet. Ils ne se sont jamais laissés abuser durablement.
Samir Gharbi
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Bonjour... le 1er de l'année 2020. Et voilà que je me remets à écrire... Mon pays me chagrine, les souvenirs reviennent... d'une Tunisie qui était au travail. Un ministre, aujourd'hui décédé, un très honnête homme, humble, discret.. Il a vécu de 1928 à 2018. Il a travaillé pour son pays - qu'il aimait au-dessus de tout - de 1957 à 1976. Il n'a jamais touché un millime de trop. Il me disait, lors de nos rencontre, que les années post-indépendance, les premiers fonctionnaires travaillaient à l'arrache, sans compter les heures, sans réclamer de primes. Ils savaient qu'ils participaient à une mission noble : la construction de leur pays. Un pays moderne. Ils ne comprenaient pas que certains avaient choisi une autre voie, celle de l'opposition, du complot, obnubilés par la "Voix du Caire", tournés vers "l'orient" et ses fougues oratoires... Heureusement, la majorité écrasante suivait Bourguiba "dictateur éclairé" (on en avait besoin). Ce grand monsieur qui avait servi le gouvernement de notre "zaïm" national s'appelle Baccar Touzani, décédé un "9 avril" 2018, un jour de notre destin historique, celui de nos martyrs de l'indépendance, eux et leurs parents n'ont jamais demandé une "compensation financière" à l'Etat, comme les parvenus de 2011. Qu'il repose en paix, lui et tous ceux et celles qui ont contribué à bâtir le "socle" sur lequel le pays résiste encore aujourd'hui.