Yarouchalayim – Jérusalem – Al Qods: Une ville à triple identité
Depuis les dernières déclarations du président américain Donald Trump, le rayon consacré à Jérusalem dans les librairies françaises offre une véritable inflation de titres. Textes classiques; récits de voyages modernes et anciens; histoires romancées ou factuelles; guides archéologiques et albums photographiques; tous attestent l’importance de cette ville dans la subconscience occidentale comme orientale.
Deux monuments majeurs retiennent ici l’attention de la plupart des auteurs: il s’agit du Sépulcre et du Dôme. Cet aspect matériel est fondamental pour comprendre ce que le simple lecteur recherche, ce qu’il trouve, ce qu’il comprend et comment il l’envisage. Le prestige unique de la ville sainte, sacralisée par les trois religions monothéistes, la présence sur son sol de nombreux lieux de mémoires, justifient peut-être ce gonflement inhabituel de titres.
En effet, l’importance historique de Jérusalem réside dans son identité plurielle : Yerouchalayim/Al-Qodsest bien une ville-monde, une ville où le monde entier se donne rendez-vous, périodiquement, pour s’échanger, se mesurer mais aussi pour s’affronter.
Berceau du monothéisme, Jérusalem est observée par le monde entier comme le laboratoire de citadinité, de vivre-ensemble…et de conflit. Comment donc faire pour écrire une histoire objective d’une ville écrasée de souvenirs, fourbue d’identités, démembrée par l’épilepsie des conflits ? Depuis quelques temps, au gré des combats et des affrontements qui traversent périodiquement la ville, Jérusalem est devenue le théâtre sur lequel se projette les dangereux fantasmes des malfaisants forgerons du choc des civilisations. L’historien Shlomo Sand a parfaitement traduit l’impression accablante qui saisit tout historien raisonnable lorsqu’il s’approche de Jérusalem. Ville mythique, ville de mythe(s), ville mystifiée, Jérusalem est un peu plus que tout cela ! Dans c’est conditions, comment essayer de bâtir une histoire renouvelée d’une ville mille fois racontée ? Et à quoi sert de prendre un tel risque ?
Disons-le d’emblée, le monde académique refuse de considérer Jérusalem comme le porte-manteau d’identités trafiquées, il s’oppose frontalement à tout type de falsification des réalités historiques. C’est pourquoi on nous fait le pari que l’histoire de Jérusalem peut être racontée au pluriel, loin des anachronismes politisés.
1) De Jébus à Yarouchalayim: Naissance d’une capitale
La première évocation de Jérusalem que nous connaissons se trouve dans des textes hiéroglyphes des XIXème et XVIIIème siècle avant Jésus-Christ. Connus sous le nom des textes d’exécration, ces documents écrits à l’encre sur des tessons de sarcophage anthropoïde mentionnent deux rois de la ville, Shasân et Iqarâm, qui collaboraient avec les ambassadeurs des Pharaons d’Égypte. À l’époque du roi David (vers 1000 av. J.-C.) la ville s’appelait Jébus et ses habitants les Jébusites ou Jébuséens. Bien que le toponyme de Jérusalem n’apparaisse pas dans la Pentateuque, l’identification est faite traditionnellement dans la Genèse entre Salem et Jérusalem. La tradition biblique identifie également le Mont Moriah au mont du Temple et à Jérusalem.
L’importance déterminante de Jébus devenue Yarouchalayim remonte aux décisions politico-religieuses du roi David (le Daoud coranique). Avant lui, Jérusalem était une bourgade relativement insignifiante, située loin des grandes voies de communications qui reliaient l’Égypte aux pôles du Croissant fertile.
Bourgade isolée et perdue, placée à une cinquantaine de kilomètres de la côte la plus proche, Jérusalem était jugée par les stratagèmes de la cour royale comme la cité de l’avenir. David conquit ainsi la ville et en fit sa capitale, après avoir régné à Hébron pendant une décennie. Son choix fut sans doute motivé par le fait que la ville se située au centre géographique de son royaume.
Quelque temps après le transfert de l’arche de l’Alliance à Jérusalem, David reçut du prophète Gad l’ordre d’ériger un autel sur le territoire attenant à la ville. Le jeune roi acheta le site à un certain Aravna, bien que ce dernier voulût lui faire en cadeau. Jérusalem devint ainsi la capitale religieuse et politique du royaume de David. Mais ce fut Salomon qui construit le Premier Temple de la ville et qui cimenta l’association entre le souvenir de son père et le prestige de la capitale de son royaume. Une fois reconnu comme le lieu choisi par David, le Premier Temple ne fut pas seulement un lieu de prière mais aussi un lieu de rencontre et un carrefour commercial.
Célébrée par les prophètes bibliques, Jérusalem est considérée par le prophète Isaïe comme « la Ville de la Justice » et comme le « Trône de l’Éternel » par le prophète Jérémie. La tradition Talmudique fait également montre d’une grande admiration pour la beauté de la ville. La place privilégiée que la Tradition juive réserve à Jérusalem s’explique par le fait que la ville devint, grâce aux sacrifices offerts au Temple, le point central de toutes les activités politiques et religieuses du royaume d’Israël.
2) La Jérusalem antique: Entre mémoire et histoire
L’histoire de la Jérusalem antique, longtemps tributaire des sources bibliques, a néanmoins été profondément renouvelée non seulement par les fouilles archéologiques qui s’y sont déroulée depuis le milieu du XIXème siècle mais aussi par celles effectuées sur d’autres sites du Proche-Orient.
Surgissant de la brume de la haute Antiquité, les tessons de poterie, les tombes spectrales creusées dans la roche et les inscriptions découverts dans les années 1880-1890 donnent aux spécialistes de l’époque un aperçu sur le quotidien des Hiérosolymitains. C’est pourquoi, dès le début du XXème siècle, des chercheurs allemands, anglais et français se sont consacrés, à côté des savants d’autres pays, à l’étude archéologique de la ville. À vrai dire, ils ne faisaient pas encore de fouilles proprement dites car il s’agissait plutôt d’exploration du site.
Alors qu’en Méditerranée occidentale les écoles françaises et britanniques installées à Athènes et à Rome approfondissent leur vocation, les écoles d’archéologie biblique, que les anglais et les français installèrent à Jérusalem au début des années 1920, commencent à organiser les premières prospections méthodiques sur le site de la cité.
Située entre science et foi, le problème de l’exactitude historique des données bibliques a longtemps empêchée le lancement d’une historiographie sérieuse qui essaie de se rapprocher objectivement des premiers siècles de l’histoire de la ville. Ce problème méthodologique se pose également pour la période postbiblique. Le témoignage de Flavius Josèphe (35-100) doit ainsi être corrigé à la lumière des données épigraphiques et archéologiques sur la Judée d’époque hellénistique et romaine.
Sans nécessairement rejeter le témoignage biblique, l’historien professionnel doit s’affranchir de la lecture théologique des sources pour essayer d’aborder l’histoire de Jérusalem suivant des angles plus laïcs. Autrement dit, sans dissocier de manière artificielle ce qui doit être pensé de manière conjointe, il importe de mettre l’accent sur les aspects proprement politiques, urbains et sociaux. Il faut en outre saisir le rôle fondamental, à la fois social, politique et économique, du Second Temple, construit vers 515 av. J-C., quelque soixante ans après la destruction de celui de Salomon.
De manière somme toute banale pour l’Antiquité, l’histoire de Jérusalem est en effet rythmée par les guerres, les destructions et les reconstructions : Siège assyrien de 701 av. J.-C., destruction babylonienne de 586 av. J.-C., expédition punitive et profanation du Second Temple par Antiochos IV en 167 av. J.-C., prise de la ville par le généralissime romain Pompée en 63 av. J.-C., celle de Hérode en 37 av. J.-C., pour finir avec la destruction du Second Temple en 70, puis de la ville suite à la révolte de Bar Kokhba en 130.
Après l’installation d’Aelia Capitolina à la place de la Jérusalem antique en 132, la ville est déchue de son rôle de capitale régionale : c’est Césarée fondée par Hérode, puis Ramallah par les Omeyyades, qui prendront le relais dans les siècles suivant.
3) Une ville sainte pour les chrétiens et les musulmans
Un amour sans fin : tel est le lien qui unit Jésus à Jérusalem, la ville qui sert de cadre grandiose et tragique à sa crucifixion. Ce rapport qui lie les chrétiens à Jérusalem prend aussi ses racines dans une mémoire profonde qui remonte à la Sainte Marie puisque c’est à Jérusalem, près de la piscine probatique, que se situe la grotte de sa naissance.
Presque toute la vie publique de Jésus se situa à Jérusalem. Là, il affronte les Pharisiens, pardonne à la femme adultère son péché et guérit les malades. Là encore il fut accueilli par des branches de palmier par les habitants de la ville. Là encore, il contemple la ville sur les hauteurs du mont des Oliviers. Et c’est toujours à Jérusalem que Jésus comparaît devant Caïphe et devant Pilate. Après sa crucifixion, qui eut lieu à Jérusalem sur le Golgotha, la Sainte-Croix disparaît pendant trois siècles. Des textes du IVème siècle, peut-être en réaction contre la version constantinienne, se font l’écho de légendes selon lesquelles la vraie croix aurait été enlevée au ciel d’où elle doit apparaître à la fin des temps. Quoi qu’il en soit, la vraie croix est retrouvée vers 340 par Hélène, la mère de l’empereur romain Constantin, lors des travaux ordonnés par ce dernier pour débarrasser le Golgotha de ses édifices païens. Cet événement central de la légende constantinienne lance, dans tout l’Empire romain, le culte de la Sainte-Croix. Hélène en envoie une partie à Constantinople ; l’autre partie sera placée dans un reliquaire en argent conservé dans un Martyrium. En 614, lorsque les Perses prennent Jérusalem, ils emportent avec eux la Sainte-Croix. Elle a tout juste le temps de convertir Anastase le Perse avant d’être reprise par l’empereur byzantin Héraclius (575-641) qui la rapporte solennellement à Jérusalem, le 21 mars 631, tout en transférant au passage un autre morceau à la basilique de Sainte-Sophie de Constantinople.
Dans la tradition musulmane, Al-Qods est la ville où le prophète Muhammad, dans sa vision nocturne, est transporté sur son légendaire coursier, Al-Bouraq. Al-Qods vue par les Musulmans, c’est Beït al Maqdis, la Sainte Maison, la demeure de la Sainteté, ou plus simplement Al-Qods, la Sainte. Elle est la troisième ville sacrée de la tradition musulmane, après La Mecque et Médine.
En 638, Omar ibn Al-Khattâb (584-644) entre à Jérusalem sans effusion de sang. Il prit soin de ne pas profaner les Lieux Saints des Chrétiens et des Juifs et ne manifesta aucune intolérance vis-à-vis de leurs pratiques cultuelles. Ainsi, après l’entrée d’Omar, beaucoup d’Arabes se sont installés à Al-Qods qui devint une cité arabe par son architecture et son plan tout en gardant son identité juive et chrétienne. Dans les années qui suivirent, Abd al-Malik ibn Marouwan (646-705) décide de la construction du Dôme en 688 (construction terminée en 691). Le Dôme s'élève au-dessus du rocher où aurait eu lieu le sacrifice d'Abraham et c'est aussi l'endroit d'où le prophète Mohammed serait parti pour son voyage nocturne. Ce sera un magnifique sanctuaire octogonal, dédié au pèlerinage et à la prière en plein air, improprement appelé mosquée d'Omar, remarquable par l'équilibre de ses proportions et l'harmonie de ses couleurs. La coupole construite en bois suivant la méthode byzantine est recouverte de plomb et de cuivre à l'extérieur et de mosaïques à l'intérieur. Elle sert comme signe de marque pour le premier monument qui s'est voulu une création esthétique majeur de la civilisation islamique. Dans les années qui suivent, le Dôme subit de nombreuses modifications : sous les croisades l'édifice sera transformé en église qui verra la création de l'Ordre du Temple, puis sera rendu au culte musulman suite à la victoire de Saladin en 1187.
Réputée pour la beauté de son architecture, l’ancienneté de ses monuments et le prestige de son histoire millénaires, Jérusalem ne cesse de charmer ses visiteurs, étourdir ses admirateurs…et attrister ses habitants. Ville juive, ville chrétienne, ville musulmane, Jérusalem ne peut être qu’une cité à triple identité.
Mohamed Arbi Nsiri
Historien
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Espérant que le bon sens des humains l'emportera rien que pour offrir une paix méritée à cette ville triple sainte et mille fois martyrisee depuis David.