Edito de Taoufik Habaieb : Face à l’exubérance, l’humilité
Plus de bave et de bavures que de bavettes ! La Tunisie aussi n’y échappe pas, ajoutant plus d’hésitations agitées que d’actions fondatrices. Faut-il toucher le fond pour se constituer une expérience instructive ? La seule sagesse est d’être à la hauteur du moment.
Plus de bave et de bavures que de bavettes ! La Tunisie aussi n’y échappe pas, ajoutant plus d’hésitations agitées que d’actions fondatrices. Faut-il toucher le fond pour se constituer une expérience instructive ? La seule sagesse est d’être à la hauteur du moment.
En trois coups de fouet successifs, la santé, l’économie et les revenus sont soumis à rude épreuve. Personne n’est en mesure de prédire la fin du calvaire, mais tous ressentent fortement les dégâts déjà subis et pressentent ceux à venir. Dans l’impuissance. De confinements en déconfinements, nous devons apprendre à vivre avec le Covid-19, jusqu'à son extinction, sa neutralisation ou son traitement.
On ne demande pas à nos gouvernants de nous conduire au paradis, mais de de nous préserver de l’enfer (Dag Hammarskjöld). Mis à nu, nos systèmes frappés d'obsolescence, donc inopérants, sont en porte-à-faux avec les politiques publiques jusque-là suivies. Sans qu'aucune réflexion sérieuse ne soit engagée.
Le jour d’après demeure encore obscur, confus, magmatique. La seule certitude, c’est qu’il sera différent : en mieux ? En plus mal ? Complètement changé ? Cerné par le feu des fronts embrasés, le gouvernement est confronté à un choix cornélien, balançant entre exigences sanitaires et impératif économique. En gouffre périlleux, faillite d’entreprises, licenciements massifs et révolte des affamés.
La bourse ou la vie ? Face aux pathogènes ravageurs, les anticorps de résistance sont aussi ceux en dinars. L’immunisation escomptée est aussi contre l’effondrement de l’économie, l’extinction du revenu, la rupture de tout lien. L’industrie détruite, les rentes instaurées, l’informel et la contrebande passés sous silence, la santé sous-investie, l’école marginalisée et la nature violée. Des populistes de tout acabit sont postés aux commandes. La facture se paye au comptant. Tous exposés à l’infection, mais tous inégaux devant d’autres désastres.
En première ligne, les blouses blanches qui soignent et la matière grise qui monte au feu de l’économie, des finances et de la précarité livrent un même combat d’une rare atrocité. Sauver des vies humaines pour les uns, sauver des entreprises, des emplois et des revenus pour les autres. Avec très peu de moyens, leur seule détermination est de vaincre ces fléaux pour assurer un corridor sécurisé au jour d’après.
L’humilité des uns fait face à l’exubérance des autres. L’abnégation, à l’autosuffisance. Alors que les uns, avec un dévouement héroïque, sont au chevet d’un pays sous perfusion, ventilé en assistance respiratoire artificielle, d’autres se lâchent pour revendiquer confiscation de biens, nationalisation d’entreprises, impôt sur la fortune et nouvelles taxes. ‘’Au nom du peuple’’. De l’anarchisme primaire et du populisme, plutôt. Comme si la pandémie ne suffisait pas à elle seule, il va falloir subir en plus l’étourderie des hurluberlus.
L’autre danger qui guette la Tunisie, c’est son positionnement dans ce monde qui se reconfigure. Démondialisation, reglobalisation, effritement du multilatéral, l'ONU et son système hors service, assiste impuissante à l'hécatombe qui endeuille le monde. A commencer par les États-Unis, mettant en péril le deuxième mandat de Trump. Mais aussi, mutimse à New York face au repli de l’Europe, le silence de Moscou, le rétropédalage de la Chine, les soubresauts qui secouent l'Arabie saoudite et certains de ses voisins, et les trébuchements de la Turquie et de l’Iran. Le monde est en transe.
A nos portes, la Libye sombre. Privé d’eau, d’électricité et de soins de santé, ce peuple frère vit l’horreur sous les feux croisés des belligérants par procuration. La Syrie, la Palestine et le Yémen sont livrés aux voraces. Dans les camps de réfugiés, l’inhumain dépasse l’entendement. En Israël, l’accord de gouvernement finalement conclu entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz fera de l’annexion d’une nouvelle partie de la Cisjordanie en juillet prochain - avec la bénédiction de l’Amérique - une dot de mariage. Le Conseil de sécurité de l’ONU, où siège la Tunisie, pour deux ans, depuis janvier dernier, en tant que membre non permanent est aux abonnés absents. Que dire alors de la Ligue des États arabes.
C’est le moment de réserver sa place. L’ensemble des équilibres géopolitiques changera d’épicentre et de paradigmes. Pas tout de suite, mais progressivement. Dans ce jeu de nouvelles alliances qui se nouent, chacun des gestes de la diplomatie tunisienne est ausculté. Le moindre faux pas nous exclura du camp des vainqueurs, ceux qui seront les nouveaux maîtres du nouveau monde. L’œuvre de Bourguiba en la matière aura été de doter dès le début la petite Tunisie de fondamentaux solides qui l’ont distinguée dans le concert des nations.
Nos choix doivent être clairs. Changer de doctrine dans tous les domaines, nous repositionner dans l’univers naissant et faire montre d’humilité au lieu d’exubérance.
Tel doit être notre credo.
Taoufik Habaieb
Crédit photo : R. Hali
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