Hichem Mechichi: Pourquoi doit-il réussir !
Par Taoufik Habaieb - Est-ce le bon choix ? Pour qui ? Pour quelle feuille de route précise ? Cette fois, Kaïs Saïed n’a plus le droit à l’erreur. Se mettant en première ligne, il en assumera l’entière responsabilité, sans que cela ne lui déplaise. Confier à Hichem Mechichi, son ancien conseiller juridique à Carthage, puis ministre de l’Intérieur, la composition d’un nouveau gouvernement amorce une stratégie nouvelle. S’engager pleinement à la tête de l’exécutif. Pourquoi a-t-il récusé tant de propositions soumises par les partis parlementaires ou soufflées par des visiteurs ? N’attendez de lui ni explications ni justifications, Saïed est un homme discret. Au sommet de l’État, et malgré des prérogatives limitées par la Constitution, le président de la République garde en main les règles du jeu. Il s’en sert habilement, à gage de garantir la réussite du gouvernement.
Le contexte est brûlant. Cinq foyers de feu sont à circonscrire d’urgence.
1 - Un pays à l’arrêt
Depuis un an déjà, et à six mois alors des élections législatives et présidentielles de l’automne 2019, tout se relâchait, laissant monter l’effervescence électorale et l’intoxication du climat politique. La mort subite du président Béji Caïd Essebsi, le 25 juillet 2019, et l’annonce d’élections anticipées ne feront qu’accélérer le calendrier et attiser les passions. L’administration, réveillée de sa torpeur par intermittences, sombre de nouveau dans l’attentisme.
Les pouvoirs élus prendront du temps pour se mettre en place. Le premier gouvernement pressenti (de Habib Jemli) tombera avant investiture et ce n’est que fin février dernier qu’Elyès Fakhfakh obtiendra l’accord du Parlement. Cinq mois seulement après, le voilà, sur la sellette, remettre sa démission, en attendant de transmettre les clés de la Kasbah à son successeur. La crise sanitaire et ses effets économiques ont entre-temps tout aggravé.
Combien auront duré toute cette attente, puis ces fausses manœuvres, et à présent le nouveau processus ? Et combien aurait-il coûté et généré en manque à gagner ?
Il faut être un pays très riche et très solide pour se permettre ce grand luxe démocratique d’instabilité, avec des services publics à petite vitesse, longtemps confinés, et à peine déconfinés.
2 - Une économie effondrée
Le désastre est effarant. Si des vies humaines ont été sauvées, des dizaines de milliers d’entreprises et des centaines de milliers d’emplois ont été sacrifiés. Le confinement massif, sans ciblage et dépistage, en l’absence de masques, de tests et de respirateurs suffisants, a plombé la machine de production, asséché la trésorerie de l’entreprise, menacé son maintien en activité et multiplié les licenciements. L’État n’ayant pas payé ses fournisseurs, les faillites s’annoncent en série. Face à cet effet domino, le système bancaire et le marché financier, guère épargnés, payeront eux aussi une lourde facture.
3 - Une précarisation prononcée
L’arrêt de la production coupe salaires et revenus. Les licenciements viennent augmenter lourdement les rangs des chômeurs. Déjà, 4 millions de Tunisiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, reconnaît le gouvernement. L’accès aux soins de santé devient épuisant. La dérive est totale, le désespoir gagne de larges franges de la population, la contestation monte, se radicalise.
4 - Des risques sécuritaires aggravés
Au terrorisme menaçant s’ajoute le risque Libye. L’accentuation des confrontations étrangères sur le terrain dans ce pays frère et voisin, la massification d’armements, de troupes et de milices étrangères non loin de nos frontières augmentent les craintes. Au plan interne, le chômage et la résorption des revenus favorisent le crime.
5 - Un climat politique incendiaire - Le plus périlleux dans ce contexte, la violence verbale au paroxysme et parfois ponctuée d’agressions physiques, réelles ou prétendues, qui viennent envenimer le climat politique. Polarisation, radicalisation et provocation se substituent au travail de fond, qu’il s’agisse pour les partis d’élaborer des programmes et projets, et les élus de les faire aboutir au même titre que les projets de loi soumis par le gouvernement.
Que peut faire Mechichi?
Loin de bénéficier des conditions les meilleures pour se consacrer aux urgences de sa mission, Hichem Mechichi n’a d’autres choix que de faire preuve d’esprit de concorde politique. Son indépendance vis-à-vis des partis et de tout groupe de pression est reconnue. Sa mission en 2011 au sein de la Commission Abdelfattah Amor d’investigation sur la malversation et la corruption est citée en référence. Sa compétence de juriste, d’énarque, de haut commis de l’État, lui qui a dirigé le cabinet ministériel de quatre départements, sous cinq ministres indépendants (Neila Chaabane, Mahmoud Ben Romdhane, Samira Meraï, Slim Chaker et Imed Hammami) est établie. Sa sérénité à la tête du ministère de l’Intérieur est appréciée. C’est son doigté politique qui doit à présent primer.
1 - Raisonner en termes de compromis est essentiel.Tendre la main, donner des signaux forts d’apaisement des tensions, d’établissement de bons rapports, et de volonté de franche collaboration constituent autant de préalables qui rassureront la classe politique. La priorité pour Mechichi est aujourd’hui de trouver cette alchimie tant recherchée pour composer une équipe cohérente, aussi compétente qu’imaginative. Le passage devant le parlement ne semblerait pas poser un grand obstacle. Une fois dépassée l’épreuve des négociations d’usage et des récriminations publiques de tradition, le plus dur commencera.
2 - Des solutions alternatives sont à concevoir. Si le registre des solutions est fort fourni, l’identification des priorités, la sélection des options les plus appropriées, et la mise en œuvre d’une approche globale, cohérente sont cruciaux.
3 - Début septembre, les Tunisiens seront confrontés aux frais de la rentrée scolaire. La poche vidée par l’Aïd et les dépenses estivales, ils ne sauront plus comment payer les frais d’inscription, de fournitures scolaires, de transport, d’études en cours particuliers et d’hébergement pour les étudiants. Que peut faire le gouvernement ? C’est une première grande urgence en aides sociales.
4 - L’entreprise est mise à mal. Point de redémarrage sans renflouement financier. Des subventions massives, des crédits à 0% de taux d’intérêt, des avances sur achats publics, des reports à moyen terme des charges fiscales et sociales, le règlement par l’État des arriérés dus à ses fournisseurs, sont impératifs. Tout comme le lancement de grands projets structurants, d’infrastructures, de désenclavement des régions, de logements sociaux, de mise en valeur de terres agricoles, et autres.
D’où viendra tant d’argent nécessaire?
C’est l’affaire du gouvernement.
1- D’abord, il y a des crédits déjà alloués et non consommés, des projets bloqués pour une pièce qui manque ou une question foncière non résolue, un traçage de parcours non approuvé.
2 - Il y a aussi la possibilité de réaffecter des budgets votés. Autant convertir en ressources de secours les crédits d’investissement qui n’ont aucune chance de démarrer durant les cinq mois qui restent de cette année, ne serait-ce qu’en phase d’études. Sans compter les dépenses reportées ou réduites suite au confinement.
3 - L’endettement extérieur est une option à ne pas diaboliser. Tout en épuisant la mobilisation maximale de dons et subventions auprès de divers partenaires, la recherche studieuse de finances extérieures à des conditions préférentielles est impérative. S’endetter n’est pas une tare tant qu’on consacre chaque dollar ou euro recueilli au meilleur usage possible, à même de soutenir la relance économique. Le ratio, ne l’oublions pas, est appliqué par rapport au PIB. Comment accroître le PIB, sans investissement et sans la relance de la production, en premier moteur de croissance.
4 - La stimulation de la croissance activera le deuxième moteur de croissance. Comment y parvenir face à l’érosion de l’épargne et du pouvoir d’achat, l’aggravation du chômage et de la précarité. Tout un programme de crédits à la consommation, à taux réduits et délais étalés, pourrait y contribuer.
5 - Mais, tout cela n’a de sens que dans une concorde politique et sociale. Hichem Mechichi ne saurait y parvenir seul, sans le concours actif des partis politiques et des organisations syndicales et sans un esprit déterminé de solidarité agissante. Dans cette démarche collective en rangs serrés, une communication régulière avec les Tunisiens sera utile.
Est-ce impossible ?.
Taoufik Habaieb
- Ecrire un commentaire
- Commenter