Riadh Zghal: La démocratie peut-elle servir de levier pour une sortie de crise nationale?
Par Riadh Zghal - Oui, si on s’appuie sur les principes fondamentaux de la démocratie qui ne se réduisent pas à des scrutins et des sondages d’opinion. La démocratie ne se résume pas à «vox populi vox dei» ni au slogan creux de «le peuple veut» comme si le peuple était une entité homogène sans diversité d’opinion et sans conflits d’intérêts.
u’il s’agisse de liberté d’expression, de liberté d’initiative, de participation aux décisions qui touchent l’intérêt commun à une localité, une région ou l’ensemble de la nation, c’est de démocratie qu’il s’agit. Ceci est connu, seulement ce que l’on considère moins quand on parle de démocratie, c’est la responsabilité qui va avec les libertés. Toute la question qui se pose aujourd’hui à notre pays, c’est la tendance à continuer à raisonner comme si l’Etat était encore totalitaire, dirigé par un chef de tous les pouvoirs et de toutes les responsabilités. Le corollaire d’une telle attitude est la déresponsabilisation et la victimisation. Or si l’on vise un changement et la sortie de cette grave crise où s’enlise notre pays, il va falloir mobiliser toutes les énergies constructives et toutes les ressources dont on dispose, en plus de lever tous les obstacles qui freinent l’exploitation de ces ressources et particulièrement celles humaines. De ces ressources aucune localité, aucune région n’est dépourvue si on y regarde de près, sans préjugé, sans sous-estimation et sans mépris. En revanche, scruter les ressources humaines et matérielles ne suffit pas, encore faut-il scruter les obstacles moraux et matériels qui empêchent de s’en servir.
Si l’on considère les régions à dominante rurale et économiquement défavorisées, les quartiers périphériques des grandes villes, que faut-il mobiliser pour stimuler une dynamique économique et sociale, créer de la richesse et éradiquer la pauvreté ?
Nous considérons qu’il faut d’abord mobiliser les citoyens concernés et leurs structures, car résoudre des problèmes complexes nécessite des solutions complexes et en harmonie avec un contexte particulier pour que ça marche. Cette harmonie a des chances de se réaliser lorsque les citoyens concernés, en tant que partie du contexte, contribuent à trouver les solutions en mobilisant leurs savoirs et leur créativité. Pour cela, il faut qu’ils considèrent que les problèmes tels que posés sont vraiment les leurs. Par exemple, la production de phosphate sans protection de l’environnement ni création d’emplois ne suscite pas forcément l’adhésion des habitants de M’dhilla mais plutôt la révolte. Si l’on pose autrement la question, en associant par exemple la production de phosphate à la création d’entreprises structurantes en partenariat public-privé dans le domaine agricole, le tourisme, l’encouragement à la création au moyen du financement et de l’accompagnement de porteurs de projets renforçant la maîtrise de la chaîne de valeur d’une activité artisanale… cela devient plus audible pour les citoyens. C’est à cette condition qu’ils s’approprient les solutions aux problèmes et contribuent par la suite à leur adaptation si nécessaire. Ainsi se construit la responsabilisation, la coopération et le développement grâce à l’intelligence collective.
Reste la question de savoir comment amener les citoyens à contribuer à la solution de leurs problèmes, à dépasser leurs divergences et leurs adversités et à privilégier l’intérêt commun. Ici on touche une dimension culturelle d’attitudes : comment se représenter l’autre, en quoi réside l’intérêt commun ? Les attitudes dominantes aujourd’hui ne sont pas celles qui soutiennent la démocratie. Il faudra les changer et pour cela, il y a besoin de pédagogie. C’est ce qui a manqué au changement de régime politique. Malheureusement, les partis se sont embourbés dans des querelles idéologiques et de position dans les arcanes du pouvoir. Ils ont peu fait pour favoriser des valeurs et des comportements démocratiques. La population a été laissée pour compte et les solutions aux problèmes de fond attendent encore depuis près de dix ans. Entretemps, la crise économique et sociale ne cesse de s’aggraver. Dans de précédentes chroniques, nous avions évoqué la nécessité de réinventer la démocratie car, avant d’être un système politique, elle réside en des modes de comportement aussi bien ceux des citoyens que ceux des gouvernants. Les deux nécessitent des changements dont la colonne vertébrale devrait consister en un sens partagé de l’intérêt général et une éthique de gouvernance, le tout adossé à la prise en compte des particularités des contextes locaux et régionaux afin d’en mobiliser les ressources humaines et matérielles. Pour sortir de la crise, on a autant besoin de compétences avérées au sommet pour poser les vraies questions, proposer des choix stratégiques globaux que des savoirs locaux et de l’adhésion des acteurs sociaux participants et coresponsables de la réalisation des objectifs établis.
Les contextes ont été diagnostiqués mille et une fois. On a accumulé tant d’études dans les divers ministères et organismes publics et privés. Il est temps aujourd’hui de passer méthodiquement à l’action en associant démocratie et choix de développement. Il est évident que ce n’est pas là une question d’ordre économique ou politique uniquement, c’est tout cela à la fois en plus de la question culturelle. Et la culture n’est pas une fatalité, elle se prête au changement comme tout phénomène humain à condition de s’y prendre avec méthode.
Riadh Zghal
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Vous évoquez une question interessante dans votre article, Madame. Le slogan : "le peuple veut". Qui parle. Le peuple fait la revolution et les intellectuels redigent. Dans la constitution il est dit de la separation des pouvoirs, la liberté d´expression et la non violence dans la vie politique etc..que le peuple veut" vivre". Le peuple agit toujours comme si la democratie existe, et si par hasard cette action est interdite c´est la democratie qui est interdite en realité. Les slogans joue leur rôle