Rafaâ Ben Achour - Le Club africain : Un passé glorieux et un présent morose
Par Rafaâ Ben Achour - Atteindre cent ans d’âge est sans aucun doute un événement remarquable, digne d’être souligné et fêté, aussi bien pour les individus (même si c’est un âge rarement atteint) que pour les intuitions, quelle que soit leur nature : politique, sociale, financière, éducative, artistique ou sportive.
Le 4 octobre 2020, l’association sportive, aujourd’hui omnisports, dite «Club africain» (ci-après CA) atteignait cet âge emblématique. En effet, il y a un siècle de cela, les autorités du Protectorat français en Tunisie ont enfin, après moult tergiversations, daigné autoriser la création de cette association. Lors de la présentation de la demande d'autorisation, les autorités coloniales ont exigé des fondateurs de satisfaire à trois conditions :la nomination à la tête du CA d'un président français ;le changement des couleurs choisies : le rouge et blanc et le renoncement à l'emblème national sur le maillot.
Le CA avec l’emblème national sur le maillot
Finalement c’est par arrêté en date du 4 octobre 1920, signé par le Premier ministre, Mohamed Taieb Djellouli, que l’association fut autorisée à exercer ses activités. C’était la première association de football authentiquement tunisienne. Elle aura un président tunisien (Si Béchir Ben Mustapha), conservera les couleurs rouge et blanc et portera, après quelques années, l’emblème national sur son maillot.
Durant son histoire centenaire, le CA a fait honneur à ses couleurs et au drapeau national. Il accède en 1937 à la première division. A peine dix ans après, il est sacré champion de Tunisie, deux fois de suite (1946 -1947 ; 1947 -1948). Les titres de champion de Tunisie remportés alors sont les premiers jamais remportés par un club non français. Les champions de l’époque ont pour nom : Dabbabi, Cherif, Ben Brahim, Kebaili, Fayech, les frères Akacha, Dhib, Saheb Ettbaa, Milazzo, Abdessalem, Gaston Taieb, Durin, Gabsi, Kabadou, etc., Ils étaient encadrés par des dirigeants d’exception, dont Moncef Okby, Prince Mohieddine Bey, Mahmoud Bdir, Abdelmalek Ben Achour (élu en 1949 Président de la Ligue tunisienne de football), Mohamed Jouini, Youssef Yamoune, Abdelhamid Bellamine, Mohamed Asmi, Salah Aouij, Mohamed Farfar, etc. Joeurs et dirigeants étaient alors de vrais héros se contentant de peu, n’ayant d’autres principes que l’amour de leur club et la défense acharnée de ses couleurs.
Equipes championnes 1946 – 1947 et 1947 -1948
Parallèlement aux sacres nationaux, le CA prend part aux compétitions nord africaines (Coupe et championnat d’Afrique du nord). Jouant généralement dans une atmosphère hostile contre des équipes composés essentiellement de Français le CA n’a jamais atteint les finales. En 1948, il est éliminé au stade des ½ finales du championnat d’Afrique du nord par décision de la Fédération française de football acquise sur tapis vert.
Après l’indépendance du pays, et après avoir perdu la finale de la Coupe de Tunisie de 1956, rehaussée par la présence du Premier ministre Président du Conseil Habib Bourguiba contre le Stade Tunisien, la CA connaîtra une certaine éclipse jusqu’à 1963. Cette année là une nouvelle génération de joueurs sous la férule d’un entraineur dévoué (Fabio Rocheggiani) et de jeunes dirigeants feront son apparition.
Fabio Rocheggiani (1925 – 1967)
Le CA remportera le championnat et ouvrira une nouvelle ère glorieuse de son histoire avec un palmarès impressionnant. Les champions d’alors ont pour nom : Attouga, Khouini, Rabeh, Lakhua, Klibi, Mahmoud, Amri, Bouajila, Abderrahmane, Chaibi, Gattous, Troudi, Youssef, Djedidi, Touati, etc. Parmi ces joueurs exceptionnels, une mention spéciale doit être réservée à deux monuments du Ca et du football en Tunisie et à l’étranger. Le mythique gardien de but Attouga et l’artiste Tahar Chaibi.
Attouga et Tahar Chaibi
Equipe championne 1963 -1964
Quant aux nouveaux dirigeants, pour la plupart anciens joueurs du club, ils s’appellent : Abdelaziz Lasram, Mounir Kebaili, Hedi Hammoudia, Mahmoud Mestiri, Abdelhamid Mestiri, Ferid Mokhtar, Ridha Azzabi, Abdelmajid Syadi, Khaled Ben Ammar, Cherif Bellamine, Mohamed Ali Boulayman, Hamadi Khouini, Mohsen Boulehya, etc.
Azouz Lasram aux côtés de son oncle Abdelmalek Ben Achour lorsd’une AG du CA
Le jeune Président, « Si Azouz », le plus illustre des clubistes, insuffle au CA un nouvel esprit de gagnants et une nouvelle méthode de managérat. Il innove en créant un comité élargi réunissant les « figures » du CA, comité qu’il réunit régulièrement pour le tenir informé de la marche du club et pour profiter de ses recommandations. Il entretient avec les joueurs de toutes les catégories et de toutes les sections des rapports étroits et essaye de résoudre tous les problèmes, notamment scolaires et sociaux, de ses protégés. Il a si bien métamorphosé le grand club de la capitale et en a fait, à son époque, le club le plus redoutable d’Afrique du nord.
Mohamed Salah Djedidi et le Président du CA,
Azouz Lasram, recevant le challenge du championnat 1963 – 1964
des mains du Président Habib Bourguiba
Le CA remporte alors tous les titres possibles et imaginables, dont un premier doublé en 1966 – 1967 et plusieurs titres maghrébins dont, en 1974, la Coupe du Maghreb de clubs champions suite à une victoire mémorable acquise à Alger contre la Jeunesse sportive de Kabylie, alors même que la veille du match, les joueurs avaient été traumatisés par le décès subit de leur collègue Ezzeddine Belhassine dans sa chambre d’hôtel.
Doublé 1966 - 1967
La gloire du CA ne se limite pas à la section football. Il accumule les titres et les records, sur les plans national, maghrébin et africain en hand-ball (masculin et féminin), en volley-ball (masculin et féminin), en basket-ball, rugby, natation, athlétisme, boxe, échecs,etc.
Durant la décennie, 1980 – 1990, le CA connaitra un véritable traversée du désert. Il sera victime de plusieurs tricheries et matchs arrangés entre d’autres équipes. Il terminera les saisons toujours deuxième du classement ! Il retrouvera son aura d’antan en remportant le championnat 1989 -1990, et surtout en remportant, d’une part, la coupe des clubs champions africains, le 14 décembre 1991, devenant ainsi le premier club tunisien à remporter ce titreet en remportant, d’autre part, la Coupe afro-asiatique. Avec le doublé national, le CA aura remporté le quadruplé.
Avec l’introduction du semi professionnalisme d’abord, et du professionnalisme ensuite, le CA perd ses repères et ses références. Il fait appel à des joueurs qui n’arrivent pas à intérioriser les valeurs du club. Malgré quelques titres remportés, notamment en 2008 et 2015 (Championnat), 2017 et 2018 (Coupe), la direction du CA est convoitée par des personnes sans aucun passé avec la club, en mal de notoriété publique ou à la recherche d’un faire valoir politique. Le club est géré de manière catastrophique. Son parc, du nom de son illustre joueur et dirigeant, Mounir Kebaili, est totalement abandonné. Le club est sans domicile fixe et doit s’entrainer chaque jour là où il peut. Leclub accumule non seulement les mauvais résultats sportifs (11 défaites pendant la saison 2018 -2019), dont une infamante défaite, le 2 février 2019, par le score de 8 à 0 à Lumumbachi, face au club TPE de Mazembe, mais également les litiges avec des joueurs dont il est incapable d’honorer les contrats. Les litiges sont portés devant les instances compétentes de la FIFA. Le CA est non seulement condamné à payer de fortes sommes en guise de dédommagements ; il est non seulement privé de recrutements mais la FIFA va jusqu’à donner l’ordre à la Fédération tunisienne de lui retrancher six points au classement général de la saison 2019 – 2020.
Pratiquement, depuis 2010, les destinées du CA ont échappé à ses enfants. Le club centenaire a de ce fait perdu son âme. Il est entré dans une phase de morosité jamais atteinte durant cent années d’existence et ce, malgré une popularité qui n’a jamais fait défaut. Pendant l’été 2020, des tentatives de sauver le CA ont eu lieu. Elles ont lamentablement échoué faute d’une véritable volonté salvatrice.
Aujourd’hui, le CA est appelé à profiter de cet événement exceptionnel du centenaire pour repartir du bon pied en mettant fin tout d’abord à tous les litiges encore pendants devant les instances internationales, en initiant une réelle politique de formation de ses joueurs, en renonçant aux recrutements anarchiques de joueurs incapables d’amener la moindre valeur ajoutée à l’effectif et en retrouvant ses fondamentaux et ce n’est pas parce qu’il a décroché un juteux contrat de sponsoring que le club va pouvoir sortir de sa crise multidimensionnelle. Nous ne pouvons que souhaiter au CA un nouveau centenaire fait de gloire et de réussite, rendre hommage aux bâtisseurs et nous incliner à la mémoire de ceux qui nous ont quittés.
Rafaâ Ben Achour
Ancien Secrétaire général
et Vice-Président du CA
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