Lamia Ouanes Besbes : La réanimation médicale en Tunisie, et les réformes qui s’imposent
Par Professeur Lamia Ouanes Besbes - La pandémie Covid-19 qui a secoué la Tunisie au même titre que le monde entier, a été une occasion unique pour remettre les services de réanimation au centre du système de santé national aussi bien dans les secteurs public que privé. Les Tunisiens se sont surpris à faire le compte et analyser la distribution régionale de lits de réanimation disponibles dans le secteur public dans un premier temps et dans le secteur privé en second lieu.
Les services offerts par ces deux secteurs sont à l’évidence différents, dans leur capacité d’accueil, la qualité des soins rendus, et surtout pour ce qui concerne les coûts réels et ceux facturés pour plusieurs raisons dont principalement l’absence totale d’une réglementation standardisant la nature de la prise en charge.
Aux questions légitimes des citoyens et des autorités publiques actuelles il n’y avait guère de réponse satisfaisante parce que notre pays n’a pas considéré depuis plusieurs années la réanimation dans les priorités du système de santé malgré son caractère vital sur le pronostic des patients sollicitant les services de réanimation.
Aspects réglementaires et fonctionnels de l’exercice de la Réanimation
On classifie l’activité des soins en service de réanimation en trois catégories
L’activité de réanimation s’adresse aux patients ayant plus d’une défaillance d’organe vitale. L’activité de soins intensifs s’adresse aux patients présentant ou risquant une défaillance de l’organe concerné tel que le cœur, les poumons, les reins etc., et l’unité de surveillance continue qui est destinée à prendre en charge des malades qui nécessitent, en raison de la gravité de leur état, ou du traitement qui leur est appliqué, une observation clinique et biologique répétée et méthodique
Selon le type d’activité, l’organisation des services de réanimation aussi bien dans le secteur public que privé doit obéir à des conditions et des moyens de travail spécifiques afin de garantir un minimum de qualité des soins en général déterminés par une charte de fonctionnement ou d’une réglementation sur l’exercice de la spécialité afin de respecter les recommandations internationales dans le domaine.
Notons à titre d’exemple que plusieurs pays dont la France disposent d’un décret sur la réanimation qui permet d’éviter les amalgames et fixe les conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour pratiquer les activités de réanimation, de soins intensifs et de surveillance continue. (Décret n° 2002-466 du 5 avril 2002) ou (Organisation des Réanimations : J.O n° 82 du 7 avril 2002 page 6188 texte n° 12)
A sa lecture, ce décret définit avec précision le cahier des charges à satisfaire pour prétendre à l’exercice de l’activité de réanimation avec ses trois catégories citées précédemment. A titre indicatif le décret français oblige le service de réanimation « à disposer d’une permanence médicale assurée par au moins un médecin membre de l'équipe médicale et du personnel paramédical spécialisé dont la composition est définie à l'article D. 712-108. Les aspects architecturaux dans la conception de ces services sont également très importants afin de garantir une surveillance permanente tout en limitant les risques de contagion et les infections nosocomiales.
De même la disponibilité et la qualité des équipements dans les services de réanimation sont d’une grande importance afin de venir en aide au patient alité immédiatement afin de secourir un ou plusieurs organes défaillants (respirateurs, stations de perfusion, lavage gastrique, dialyse, Optiflow, ECMO) ...ou afin de procéder à des techniques de diagnostic pour prodiguer efficacement le traitement qui s’impose comme par exemple à travers une échographie cardiaque urgente…
Sans oublier la loi de responsabilité médicale encore en souffrance dans les couloirs de l’ARP, il est alors fortement recommandé de procéder à une meilleure réglementation de l’exercice de la spécialité de Réanimation Médicale par les autorités publiques dans les différents secteurs en charge de la santé publique.
Mise à niveau de l’exercice de l’activité professionnelle de réanimation
Outre le trou noir relatif au nombre de lits de réanimation disponibles en Tunisie, nos concitoyens se sont rapidement rendu compte, à l’occasion de la pandémie du Covid-19, du manque du personnel médical et para médical spécialisé et du nombre insuffisant de réanimateurs afin de constituer les équipes médicales nécessaires au fonctionnement de ces services. Ce constat était auparavant occulté bien que ce manque de moyens était bien ancien.
En effet, les services des CHU observent un manque flagrant des résidents en Réanimation Médicale et le personnel paramédical engagé dans la spécialité. Il est fort probable que cela est dû à la pénibilité de cette spécialité, mais aussi au manque des encouragements et de la visibilité dans le public et des débouchés dans le privé.
Il est constaté, par ailleurs, l’énorme écart de cout de facturation des soins sur un lit de réanimation entre les secteurs public, qui ne pratique pas les vrais coûts avancés par les hôpitaux publics et les services d’accueil dans le privé qui ne sont pas pris en charge par la couverture sociale même partiellement, malgré l’aspect vital, à l’instar des actes interventionnels comme la dialyse, la chirurgie ou l’accouchement…
Ainsi la pratique de la Réanimation se trouve faite par d’autres spécialités optionnelles dans les CHU ou voisine dans les établissements privés.
A ce titre et dans l’intérêt du système de santé national public et privé ainsi que pour garantir une qualité de soins intensifs minimale, il est important que les autorités publiques révisent leur stratégie et prennent cette spécialité dans ses priorités de déploiement. Une nouvelle stratégie à court et moyen terme claire et réaliste du secteur est fortement recommandée. A notre humble avis elle doit s’articuler sur 4 éléments :
1) La mise en place d’une réglementation de l’exercice de l’activité de Réanimation précisant pour toutes les structures de santé privées et publiques, le cahier des charges à remplir (normes architecturales, équipements, qualification du personnel médical et soignant, ainsi que les normes organisationnelles), pour aspirer au label, réanimation, soins intensifs, ou unité de surveillance continue.
2) Procéder à une politique de mise à niveau et d’investissement afin d’augmenter le nombre de lits de réanimation, avec du personnel qualifié dans les diverses régions du pays afin que jamais un patient ne soit laissé de côté lors d’une crise sanitaire ou même en dehors de crise. Les inégalités territoriales doivent à cette occasion être révisées. Il faudrait indispensablement augmenter le nombre de résidents et revaloriser les indemnités des gardes en réanimation pour le personnel médical et paramédical avec une considération équilibrée des effectifs des services de réanimation nécessaires (nombre de patients par médecin et infirmier).
Ceci contribuera certainement à la formation des nouvelles compétences et d’éviter les départs vers le privé ou à l’étranger du personnel qualifié.
3) Revaloriser l’indemnisation ou le remboursement des frais de réanimation selon chacune des trois activités précitées (Réanimation, Soins Intensifs ou Surveillance continue) à l’instar des autres activités interventionnelles dont certaines peuvent être considérées de confort au vu du pronostic vital de l’accès aux soins de réanimation. Cette revalorisation de l’indemnité sera également versée par la CNAM aux hôpitaux après un séjour en réanimation ou elle peut être considérée également comme référence lors de la réquisition des lits de réanimation dans le secteur privé. Notons que le forfait actuel dans les services de réanimation dans les hôpitaux uniquement est majoré autour de (2935D/séjour) ce qui équivaut au montant versé pour une nuit de réanimation dans le secteur privé non prise en charge actuellement. En France une nuit en réanimation est majorée autour de 4628 €.
4) Enfin, dans les situations de crises requérant l’extension de l’offre de réanimation, nous pensons qu’il est nécessaire de privilégier les réanimations extensives, supervisées par des soignants de réanimation de métier, quel que soit leur cursus. Les lits dits « d’oxygène » ne devraient être mis en jeu que dans des circonstances exceptionnelles, pour des évènements de très grande ampleur ET de durée très courte car devant mettre à l’arrêt toutes les autres activités hospitalières.
Professeur Lamia Ouanes Besbes
Faculté de Médecine et CHU Monastir
Présidente de l’Association Tunisienne de Réanimation
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