Voyage à l'intérieur du Contrôle général des Services publics en Tunisie: Un corps d'élite et une mission très étendue
Depuis la grande place de la Kasbah où le palais historique fait face au ministère des Finances (les services du ministère de la Fonction publique sont au fond), il suffit de contourner la grande bâtisse en blanc qui abrite les services du ministère de la Fonction publique et de s’engager dans la rue de la Kasbah. Immédiatement à votre gauche, une porte ouverte vous fait entrer dans l’antre du Cgsp. Au premier étage, le dédale de couloirs vous conduit jusqu’au lieu redouté : la grande salle de réunion. Autour d’une grande table rectangulaire, souvent tout se joue, surtout lorsqu’il s’agit d’ultimes auditions ou de finalisation de rapports.
Les travaux du Cgsp, explique à Leaders Slim Hentati, reposent sur quatre grandes sections :
• Section du contrôle approfondi,
• Section de l’évaluation,
• Section de l’audit et l’évaluation des projets financés par les institutions de financement extérieures,
• Section des enquêtes, des consultations et des missions spéciales.
Chaque dossier est confié à un chef de mission, généralement un contrôleur général ou un contrôleur en chef, assisté par un certain nombre de contrôleurs de diverses catégories, en fonction de la taille de la mission, de sa durée et de sa spécificité. L’expérience acquise permet une montée en compétence et un métissage d’expertise pour embrasser les divers aspects juridique, économique, financier, de gestion, de ressources humaines et autres. Certains peuvent développer des compétences pointues dans tel ou tel aspect, devenant de vrais référents métiers (comptabilité, GRH, marchés publics, etc.), mais ils se doivent tous d’être à la fois polyvalents et spécialistes, des poly-spécialistes.
Au total, le Cgsp, indique M. Hentati, a effectué depuis 2014 pas moins de 100 missions entre missions d’évaluation (8), contrôles approfondis (36), enquêtes (26), audit des comptes et de la gestion des postes diplomatiques tunisiens à l’étranger (16), et audit de programmes bénéficiant de financements extérieurs (14).
Du lourd et du brûlant
Quelles sont les missions phares ? «Toutes, confie Moufida Aloui, chef de la section des enquêtes, consultations et missions spéciales. Certaines sont plus délicates, urgentes, parfois médiatisées, mais l’exigence de rigueur préside à chaque dossier.»
En fait, le Cgsp n’a cessé d’avoir du pain sur la planche. Du lourd et même du très lourd, et du brûlant : l’audit des concessions et permis pétroliers, ou de l’Ites, l’évaluation de la gestion par le ministère des Affaires sociales des indemnités de secours de 200 D servies lors du déclenchement de la pandémie de Covid-19 et autres.
En plus, le chef de corps est également le point focal désigné en vis-à-vis pour l’examen des mécanismes mis par la convention des Nations unies en matière de lutte contre la corruption. D’ailleurs, le rapport d’autoévaluation de la Tunisie quant à la conformité de sa législation aux termes de la convention (articles 3 et 4), élaboré sous l’égide du CGSP par des experts nationaux, a largement contribué au renforcement de l’arsenal juridique tunisien en la matière. C’est le cas notamment pour ce qui est des dispositions sur la protection des lanceurs d’alerte, les conflits d’intérêts, la déclaration des biens et d’intérêts, etc.
Le financement public conditionné à la performance
«Le Cgsp a été précurseur en la matière, souligne Mikhaïl Ben Rabah, chef de la section Evaluation. La réforme de la Santé publique, avec ses volets établissements publics de santé, gestion hospitalière, avait fait partie des premières missions conduites avec la Banque mondiale. C’est le cas aussi pour la formation professionnelle, les régimes d’incitation à l’investissement, le remplacement des autorisations par des cahiers des charges...»
«Très tôt, nous avons instauré une approche participative et non unilatérale en associant la société civile dans nos travaux, ajoute-t-il. Tout récemment, le Cgsp a engagé une mission d’évaluation de la performance des collectivités locales dans le cadre du programme de développement urbain et de gouvernance locale, en tant qu’organe d’évaluation indépendant mandaté par la Banque mondiale.»
«Une équipe de 34 contrôleurs, poursuit-il, s’est employée à vérifier plus de 1 000 dossiers et visiter 361 communes dans tous les gouvernorats, avec pour objectif la mise en place d’un système d’évaluation, sur une échelle de 100 points, fondé sur des critères de performance, en vue d’améliorer les services rendus aux citoyens. L’ambition est que l’octroi des subventions et des financements publics soit liée à un niveau de performance déterminé»
Chaque montant d’aide reçu ou de crédit contracté doit être investi à bon escient. Yasser Toukabri, chef de section d’audit et de l’évaluation des projets financés par les institutions de financement extérieur, en a la charge. Passé lui aussi expert en la matière, avec tant de dossiers traités, notamment ceux de l’Anged, l’Anpe, et de grandes compagnies nationales, il veille au grain, n’hésitant pas à formuler aussi les recommandations qui s’imposent à l’avenir.
Un grand secret : le programme de 2021
Un autre domaine important, le contrôle approfondi, dont Néjib Frini est le chef de section. Ce sont des missions lourdes et pointues, effectuées périodiquement, partout en Tunisie et dans nos représentations à l’étranger. Quand on connaît le très peu de moyens alloués pour les déplacements et le séjour, on réalise davantage l’ampleur qui s’ajoute à la tâche déjà bien obérée.
Chaque fin d’année, un programme annuel de missions à entreprendre est élaboré par le Cgsp et soumis au Chef du gouvernement. Y figurent les différents types d’investigations, en laissant une marge ouverte aux enquêtes spéciales qui peuvent être déclenchées. Que comprend le programme de 2021 ? Inutile de chercher à le savoir. Cela relève du secret d’Etat. Ce qui est compréhensible.
Un Corps et non une Instance
Beaucoup confondent le Cgsp avec les autres instances indépendantes constitutionnelles ou mentionnées dans la Constitution, habilitée à prononcer des décisions et médiatiser leurs missions. Ce n’est pas le cas. Il ne travaille uniquement que pour le Chef du gouvernement et sous son autorité directe. Son indépendance est fonctionnelle. Il ne rapporte que directement au Chef du gouvernement, à qui il adresse ses rapports de mission détaillés, sous le sceau de la confidentialité de rigueur, ainsi que son rapport d’activité annuel. C’est à lui, et à lui seul, de décider ou non, de divulguer tel ou tel rapport, intégralement ou en partie, et d’y réserver la suite qu’il juge utile. Le Cgsp s’y conforme scrupuleusement et s’y accomplit, avec l’appréciation qui lui est reconnue.
Le seul regret qu’on puisse relever cependant, c’est que l’étendue de ses attributions soit limitée aux rapports de mission, sans se poursuivre au suivi des défaillances relevées et des recommandations émises. Une grande question à mettre en débat à la faveur de la grande refonte que nécessite l’architecture de l’ensemble du dispositif tunisien de contrôle des services publics et d’inspection.
Ce qu’il faut retenir le plus de ce voyage exclusif à l’intérieur d’un corps d’élite, discret et très peu accessible aux médias, c’est le sens de la mission nationale, dans l’indépendance et l’intégrité. Un corps respecté, reconnu pour sa probité et sa compétence.
Taoufik Habaieb
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