La journée internationale de solidarité avec la Palestine: L’analyse d’un Philosophe Africain
Par Mohamed Larbi Bouguerra - La date du 29 novembre est célébrée comme la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien depuis 1978. Cette date, choisie en raison de sa signification et de son importance pour le peuple palestinien, est basée sur l'appel de l'Assemblée générale des Nations Unies à la célébration annuelle de la résolution sur le plan de partage de la Palestine. Cette résolution, connue sous le nom de « Plan de partage ou Résolution 181 » destinée à créer un État arabe et un État juif, a été adoptée le 29 novembre 1947.
Partout dans le monde, le 29 novembre est dédié à la solidarité avec la Palestine martyre ; seul pays occupé en ce XXIème siècle.
Le monde aux cotes de la Palestine
Ainsi, à Paris, l’UNESCO – qui fête cette Journée depuis 1986- déclare : « La Journée internationale de la solidarité offre traditionnellement à la communauté internationale l’occasion de concentrer son attention sur le fait que la question de la Palestine n’est pas encore réglée et que le peuple palestinien n’a pas encore atteint ses droits inaliénables tels que définis par l’Assemblée générale [de l’ONU], à savoir le droit à l'autodétermination sans ingérence extérieure, le droit à l'indépendance et à la souveraineté nationale, et le droit des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d'où ils ont été déplacés. »
A Paris encore, un grand collectif de solidarité avec la Palestine veut « Plus que jamais, rassembler et agir pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens. » Il regroupe la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et l’intergroupe parlementaire, la CGT, le Parti Communiste, le Mouvement de la Paix, l’UNEF (Etudiants), la plateforme des ONG françaises pour la Palestine, EELV (Ecologistes), l’AFPS (Association France-Palestine Solidarité). Ce collectif organise un webmeeting en direct sur Zoom le lundi 30 novembre 2020 avec le poète Majed Bamya, représentant de la Palestine à l’ONU, Aïda Touma-Sliman, député de la Joint Liste à la Knesset, Sahar Francis, directrice de l’ONG Addameer, Zakaria Odeh, coordonnateur de la coalition civique pour les droits de Palestinien.ne.s à Jérusalem ainsi que les représentant-e-s de la campagne de Résistance non-violente, des réfugiés palestiniens et de Btselem (Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés).
Aux Etats Unis, outre des manifestations d’étudiants dans plusieurs grandes universités, l’ONG Jewish Voice for Peace (Voix Juive pour la Paix) organise, de son côté, le 29 novembre 2020, une manifestation avec poésie, musique et des orateurs comme Omar Barghouti, le fondateur BDS, l’actrice Maxine Peake, l’avocat des droits de l’homme Moura Erekat, le poète Aja Monet…
A Londres, l’association Palestine Solidarity Campaign (PSC) organise, de son côté, le 28 novembre, une manifestation digitale pour demander au gouvernement « d’appliquer maintenant les sanctions contre Israël, d’arrêter l’annexation et de mettre fin à l’apartheid israélien. » Elle demande à ses adhérents de twitter pour l’arrêt de l’annexion à leurs députés au Parlement et de faire entendre leur voix pour l’arrêt de l’apartheid israélien et pour l’application des sanctions à l’encontre d’Israël. Elle annonce de nombreux orateurs et le Trio Joubran, les frères luthistes palestiniens de renommée mondiale.
Un philosophe africain scrute l’apartheid israélien
A l’occasion de cette Journée de solidarité, il est utile de lire le philosophe camerounais Achille Mbembé, professeur à l’Université de Witwatersrand à Johannesburg qui traite, dans un magnifique ouvrage intitulé « Politiques de l’inimité » (Editions La Découverte, Paris, 2018) le terrible calvaire des Palestiniens sous la botte de l’occupant sioniste et en étudie les ressemblances et les buts avec l’apartheid sud-africain dans le chapitre du livre intitulé « La société de l’inimité ».
« Partout, l’érection de murs de béton et de grillages et autres « barrières de sécurité » bat son plein. Parallèlement aux murs, d’autres dispositifs sécuritaires font leur apparition : check points, clôtures, tours de guet, tranchées, toutes sortes de démarcations qui, en bien des cas, n’ont pour fonction que d’intensifier l’enclavement, faute de tenir une fois pour toutes à l’écart ceux que l’on estime porteurs de menaces. Ainsi, par exemple, des agglomérations palestiniennes littéralement encerclées par des zones sous contrôle israélien. »
C’est exactement ce que continue à faire Netanyahou. Le 25 novembre 2020, il a lancé un appel d’offre pour la construction de nouvelles unités de logement à Jabal Abou Ghneim à Jérusalem-Est profitant encore de la présence de Donald Trump à la Maison Blanche pour quelques jours et enhardi par la provocante visite jeudi de Mike Pompeo, Secrétaire d’Etat américain à une colonie en Cisjordanie puis à une visite au Golan syrien occupé. Avec ces nouvelles colonies, il n’y a plus la moindre chance pour faire de Jérusalem-Est la capitale d’un Etat de Palestine. La solution à deux Etats – Biden et son Secrétaire d’Etat y seraient favorables- est morte et enterrée calcule Netanyahou. Mais l’humour tunisien enseigne… que celui qui calcule seul se croit toujours gagnant !
Rappelons-lui quand même que le prophète Isaïe demande qu’on laisse de la place dans la région à d’autres peuples par une formule bien moderne : « Malheur à vous qui annexez maison après maison, qui ajoutez champ après champ sans laisser un coin de libre, et prétendez vous implanter seuls dans le pays. » (Is 5, 8-9). Venus de Bessarabie, de France, de Roumanie, d’Ukraine, de Pologne….ils veulent bouter dehors les occupants légitimes : les Palestiniens.
L’occupation, laboratoire des techniques de surveillance
Mbembé relève que l’occupation israélienne des territoires palestiniens sert de laboratoire à de nombreuses techniques de contrôle, de surveillance qui sont vendus à l’étranger et pollue maintenant toute la planète au mépris des droits humains : « bouclages à répétition, limitation du nombre d’entrées des Palestiniens en Israël et dans les colonies, imposition de couvre-feux à répétition au sein des enclaves palestiniennes, contrôle des mouvements, emprisonnement de villes entières. » Notre auteur note que la journaliste bien connue Amira Hass affirme que cette « stratégie d’endiguement » (containment en anglais) est inefficace. Et Mbembé de détailler les techniques visant à rendre la vie impossible aux Palestiniens afin qu’ils partent comme en 1948 mais sans recourir aux massacres comme à Deir Yassine: « Check points permanents ou volants, blocs de béton et monticules de terre destinés à barrer les routes, contrôle de l’espace aérien et maritime, des flux d’importation et d’exportation de toutes sortes de produits, fréquentes incursions militaires [même de nuit et pour former et aguerrir les soldats], démolition de maisons [même les tentes et les écoles des bédouins du Néguev n’échappent pas à ce saccage], profanation de cimetières, arrachage des champs d’oliviers[ souvent sous les yeux des militaires israéliens complices], oblitération et réduction à la poussière d’infrastructures, bombardements à haute et moyenne altitude, meurtres ciblés [Cheikh Yassine tétraplégique, par exemple, et par utilisation de trois avions et trois missiles en 2004 sous le règne d’Ariel Sharon], arts de la contre-insurrection urbaine, profilage des corps et des esprits, harcèlements permanents, morcellement territorial, violence cellulaire et moléculaire, encampement généralisé, tout est mis en œuvre pour imposer un régime de séparation dont le fonctionnement dépend, paradoxalement de la proximité.
De tels dispositifs rappellent, à bien des égards, le modèle honni de l’apartheid, avec ses Bantoustans, vastes réserves d’une main-d’œuvre bon marché; ses zones blanches ; ses multiples juridictions et sa violence brute et atone. La métaphore de l’apartheid ne suffit cependant pas à rendre compte du projet israélien de séparation. D’abord, ce projet s’appuie sur un socle métaphysique et existentiel fort singulier. Les ressources apocalyptiques et catastrophistes qui le sous-tendent sont de loin plus complexes et plus enracinées dans un temps plus long que toutes celles que rendait possible le calvinisme sud-africain.
Ensuite, de par son caractère hi-tech, les effets du projet israélien sur le corps palestinien sont nettement plus redoutables que les opérations relativement primitives entreprises par le régime d’apartheid en Afrique du Sud entre 1948 et le début des années 1980. Il en ainsi de la miniaturisation de la violence, de sa cellularisation et de sa molécularisation ou encore des techniques d’effacement à la fois matériel et symbolique. Il en est également ainsi des procédures et techniques de démolition de presque tout- infrastructures, maisons, routes, paysages- et de la dynamique de destruction forcenée dont le propre est des transformer la vie des Palestiniens en un amas de ruines et en une pile d’ordures vouées au nettoyage. En Afrique du Sud, les monceaux de ruines jamais n’attinrent une telle dimension. »
Achille Mbembé note que le principe de séparation est au départ de l’entreprise coloniale et écrit : « Coloniser consistait en un travail permanent de séparation- d’un côté mon corps vivant et, de l’autre, tous ces corps choses qui l’entourent ; d’un côté ma chair d’homme par laquelle toutes ces autres chairs-choses existent pour moi ; d’un côté moi, tissu par excellence et point zéro d’orientation du monde et, de l’autre, les autres avec lesquels je ne peux jamais me fondre ; que je peux ramener à moi, mais avec lesquels je ne peux jamais véritablement entretenir des rapports de réciprocité ou d’implication mutuelle. »
Rejoignant Maxime Rodinson, qui affirmait qu’Israël est un Etat colonialiste- que protège aujourd’hui Donald Trump car il est l’auxiliaire de l’impérialisme américain- Mbembé conclut : « Le monde colonial était un monde dont l’aptitude à s’accommoder de la destruction de ses objets- les indigènes y compris- était hallucinante. »
En cette Journée de Solidarité avec la Palestine, l’Union Européenne laisse Israël détruire la Palestine ; même quand il s’agit d’équipements qu’elle a payés. Il est vrai qu’aujourd’hui certains pays arabes lui prêtent main forte à cet égard !
Mohamed Larbi Bouguerra
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