Héla Nafti: Hommage à l'homme d'Etat et de lettres feu Moncer Rouissi
Si Moncer,
Je souhaite rendre hommage à l'homme d’Etat que vous étiez, un patriote, un homme de lettres, une icône du ministère de l’éducation mais aussi à l’homme affable, courtois, au sourire narquois que j’ai connu. Vous étiez venu avec un projet moderniste, une vision, celle d’une école pour toutes et tous, une école où le savoir ne se limitait pas aux apprentissages traditionnels, mais une école où le savoir prend tout son sens, une école qui construit les citoyens en devenir, une école qui se préoccupe de la personnalité de ses enfants, une école où la culture, le sport, les arts ont une place de choix, une école où chacun a le droit et le devoir de réussir.
Tous ceux qui ont travaillé avec vous se rappellent de l’âge d’or de notre ministère, malheureusement très court car vous aviez bousculé les colonnes immuables de la bureaucratie et sa lourdeur administrative. Vous vous étiez tournés vers les femmes et les hommes du ministère et non pas ses structures. Vous aviez fait fi des grades et titres pour simplement écouter celles et ceux qui étaient sur le terrain, qui vivaient l’éducation. Vous aviez su trouver celles et ceux qui n’avaient qu’un seul objectif, faire avancer l’éducation en Tunisie.
Vous lisiez tous les documents et notamment la loi d’Orientation de 2002 que vous aviez fait traduire et que vous nous aviez fait relire avec des annotations et commentaires dans les 3 langues .Vous nous faisiez relire ,nous, ces illustres inconnus qui ,vous le saviez, travaillions sur le terrain, non pas pour être récompensés par un « poste » mais parce que nous avions la conviction qu’il fallait partager notre passion d’une éducation de qualité, d’une école de la république ,pour toutes et tous, gratuite, obligatoire et où chaque enfant, élève, étudiant, devait avoir le droit non pas seulement à l’accès, mais également à la réussite.
Vous avez partagé avec nous nos rêves, nos espoirs et nos ambitions.
J’avais initié avec Faouzi Maaouia et Mohamed Oueslati au CREFOC de l’ARIANA « Les Vendredis de l’Education », un évènement régulier où nous débattions des innovations pédagogiques, de pédagogie, de formation des enseignants, des apprentissages mais aussi de la violence à l’école, des rapports entre tous les intervenants dans la vie scolaire.Et là, vous veniez, comme vous aimiez si bien le dire, « sur la pointe des pieds », sans fanfare, non pas comme la plus haute autorité du ministère, mais comme un ministre qui voulait écouter tous les sons de cloche, toutes les idées, si diverses et opposées fussent-elles. Vous vouliez faire avancer les débats sur l’école, et ses missions. Ces évènements en présentiels ont également connu des débats en visioconférence entre les CREFOCs de l'Ariana, le Kef, Gafsa et Gabès, une innovation en 2001!
Nous avions également organisé une école d’été des activités culturelles à Sidi Dhrif, et pendant un mois, nous avons exploré toutes les opportunités que l’école pouvait offrir. Les enseignants étaient venus de toutes les régions pour prendre part à des ateliers animés par des professionnels de la peinture, de la poésie, du théâtre et du cinéma. Les après midis étaient consacrés à des débats avec ces professionnels, ces grands noms que la scène culturelle avait enfanté et le soir, on avait droit à des représentations théâtrales, films, poésie. Vous veniez régulièrement débattre de l’importance de la culture dans notre système éducatif car, homme de lettres, vous aimiez parler de poésie, de littérature, de peinture.
Vous n’étiez pas resté longtemps au sein de ce ministère pour réaliser ce projet ambitieux, qui articulait les passerelles entre l’école et la formation professionnelle, pour donner des horizons à tous ceux et celles qui pouvaient choisir une carrière propre à son profil. Il était question de parcours diversifiés, de standards et d’appui sur des exemples déjà construits.
Les écoles d’été qui donnent aux enseignants l’occasion de se développer professionnellement, c’est lui qui les a initiés. Les enseignants ont développé des compétences dans l’usage des nouvelles technologies, sous le leadership de Adel Gaaloul et de son équipe, mais ces écoles ont permis une dynamique extraordinaire et depuis cette époque, nous avons assisté à des réseaux d’enseignants professionnels, qui se donnaient rendez-vous tous les ans, dans des conditions pas toujours faciles, mais leur engouement, dévotion et volonté d’avancer et de devenir des professionnels de l’éducation.
La parenthèse de cet âge d’or s’est vite refermée, les rêves et les choix d’une réforme de l’éducation est encore à définir. Heureusement qu’il y a encore des femmes et des hommes qui continuent à croire à la réalisation de cette école. Un jour, ce rêve se réalisera.
Reposez en paix Si Moncer.
Héla Nafti
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