Emna El Hammi: Communiquer efficacement pour préparer les Tunisiens à l’arrivée des vaccins Covid-19
La pandémie de Covid-19 a bien montré qu’il s’agissait autant d’un problème sanitaire et médical que d’un problème comportemental. Pour maîtriser l’épidémie, la population a été encouragée, voire contrainte, d’appliquer plusieurs mesures de prévention telles que le port du masque et la désinfection des mains, mais aussi de modifier ses habitudes, notamment en limitant ses déplacements et en adoptant la distanciation physique.
Avec l’arrivée des vaccins Covid-19, la Tunisie, comme les autres pays, devra s’assurer que plus de 50% de la population se fasse vacciner pour atteindre l’immunité collective. La vaccination n’étant pas obligatoire, la prise de décision sera personnelle et les autorités devront encourager les personnes opposées ou sceptiques à la vaccination à se faire vacciner, tout en continuant à appliquer les gestes barrières.
En matière de vaccination, les déterminants de la prise de décision sont complexes et sont fortement influencés par les circonstances auxquelles nous sommes exposées, les contraintes que nous subissons, l’environnement dans lequel nous vivons, les personnes avec les quelles nous interagissons, ainsi que nos motivations, nos croyances et nos valeurs. Ces facteurs peuvent être très différents selon les personnes et n’ont pas le même poids dans la prise de décision.
Cet article décrit quelques défis auxquels seront confrontées les autorités pour faire accepter le vaccin aux Tunisiens et propose des actions de communication pour augmenter l’adhésion à la vaccination.
Contextualiser la communication selon les croyances, valeurs et motivations de chaque communauté
Défi: L'un des défis de la vaccination est que l'adhésion à la vaccination varie d'un vaccin à l'autre et d’un groupe d’individus à l’autre. En Tunisie, l'expérience passée en matière de vaccination montre que la vaccination des enfants bénéficie généralement d'un fort soutien public, la majorité des nourrissons (>97%) recevant les vaccins recommandés (certainement aussi du fait de l’obligation vaccinale pour l’entrée à l’école). En revanche, de nombreux adultes renoncent à des vaccins, tels que le vaccin contre la grippe saisonnière. Une enquête menée par le Comité National de Vaccination en 2019 avait même révélé que la réticence au vaccin lors de l’épidémie H1N1 de 2009 était tellement importante que plus de la moitié de la quantité achetée par l’Etat n’avait pas été utilisée, cette réticence ayant également été observée chez les professionnels de santé.
Dans ce contexte complexe, les autorités sont confrontées au défi d'impliquer, d'éduquer et de responsabiliser une population aux croyances, aux valeurs et aux motivations différentes. Par exemple, certains individus privilégieront l'autodétermination («je prends mon destin en main et je me protège») par rapport au fatalisme («si je suis infecté.e, c’est le destin qui l’aura voulu») ou l'individualisme («je me protège») par rapport au collectivisme («je protège les autres»).
Réponse: La compréhension des valeurs et des croyances dominantes d'une communauté peut aider à élaborer des messages efficaces pour renforcer la confiance de la communauté dans les vaccins.Il sera très important de segmenter la population en différentes communautés en fonction de leurs croyances et leurs valeurs sur l’enjeu de la vaccination Covid-19 et de contextualiser les stratégies de communication aux différentes communautés, notamment en aidant les individus à comprendre l'impact des informations et des politiques sur leur propre vie. Des messages clairs, cohérents et répétitifs reflétant la valeur personnelle ont le potentiel d'augmenter l'adhésion à la vaccination.
Par exemple, les jeunes adultes peuvent être moins préoccupés par leur propre santé mais plus motivés à prévenir l'infection chez les membres plus âgés de leur famille. Pour certains, un facteur de motivation peut être le retour au travail ou la reprise des rassemblements, tandis que les adultes plus âgés et les personnes souffrant de problèmes de santé peuvent être plus motivés à réduire leur propre risque de maladie grave ou de décès. L'objectif sera donc d'adapter la communication en fonction de l'impact qu'elle aura sur la capacité de chacun à agir de manière compétente.
Dépolitiser le choix des vaccins
Défi: Le choix des vaccins qu’adoptera la Tunisie peut se retrouver au cœur d’une guerre idéologique et géopolitique qui compromettraitl’acceptation de la vaccination. Depuis plusieurs mois, les vaccins Covid-19 sont au cœur d’un enjeu géopolitique mondial. Pour les principaux acteurs mondiaux, la course au vaccin est devenue une course à la domination géopolitique entre la Chine, qui tente de racheter son image de diffuseur de virus, la Russie, qui tente d'affirmer son excellence scientifique, son autarcie et son rôle de puissance régionale, les Etats-Unis, pour lesquels l’enjeu était d’être le premier à découvrir et autoriser un vaccin, mais aussi l'UE, qui ont utilisé la stratégie commune en matière d’autorisation des vaccins et de déploiement commun de la campagne de vaccination comme preuve d'unité et de solidarité entre les États membres.
Dans ce contexte, le choix du vaccin peut faire l'objet de campagnes de désinformation au service d'intérêts politiqueset idéologiques divers, à l'échelle nationale et mondiale. Le choix d’un vaccin au dépens d’un autre peut être vu par la population comme une forme d’allégeance idéologique au pays producteur du vaccin.
L’exemple de la Hongrie est particulièrement révélateur.Le gouvernement avaitpassé plusieurs mois à déplorer la lenteur et à douter de l’efficacité du processus de l’EMA (European Medicines Agency) d'approbation des vaccins dans l'UE, proclamant que les Hongrois devraient privilégier les vaccins russes ou chinois. Cela a eu pour effet d’affaiblir la confiance des Hongrois dans la vaccination et lorsque les vaccins ont été approuvés par l'UE, très peu de Hongrois ont accepté de se faire vacciner ; les sondages récentsont montré que seulement 15% des personnes sont prêtes à se faire vacciner.
Réponse: Il est primordial que les autorités « dépolitisent » et « dés-idéologisent » le choix des vaccins dont bénéficieront les Tunisiens en communiquant de manière synchronisée et en faisant preuve de cohésion et de transparence dans le choix des vaccins et dans la chronologie de leur déploiement, notamment en expliquant le choix de prioriser l’initiative CoVAXet des vaccins homologués par l’UE et l’OMS, peut-être aux dépens d’autres vaccins.
Communiquer de manière transparente pour rétablir la confiance avec la population
Défi: Étant donné que l'accès aux vaccins Covid-19 sera limité dans un premier temps, et donc prioritaire pour certains groupes uniquement tels que les travailleurs essentiels, certains groupes vulnérables socialement et économiquement pourraient se sentir lésés, érodant encore plus la confiance dans la santé publique et le gouvernement et développant un sentiment anti-vaccination. Cette hostilité pourrait également être exacerbée par deux facteurs: la faible crédibilité du gouvernement qui met en doute la fiabilité des informations officielles et la capacité des autorités à gérer la situation mais aussi les disparités sociales et économiquespréexistantes, en particulier les inégalités dans l'accès aux soins de santé.
Réponse: L’efficacité de la campagne de vaccination Covid-19 dépendra non seulement des bénéfices médicaux du vaccin mais aussi de l’intégrité de la campagne dans l’accès équitable à la vaccination. Les personnes ont besoin de se sentir respectées et comprises pour que la confiance s'installe, et la confiance commence par la communication. Ainsi, pour que la population ait confiance dans les autorités sanitaires, elle doit avoir le sentiment de faire partie d’une communauté, et percevoir la communication comme transparente et honnête. Une plus grande transparence et un engagement de la communauté peuvent augmenter les chances que les personnes comprennent et adoptent le plan de priorisation ainsi que le vaccin qui leur sera administré, même si elles ne font pas partie des premiers groupes à être vaccinés.
Informer objectivement la population sur la sécurité et l’efficacité des vaccins
Défi: Depuis leur introduction, les vaccins ont fait l'objet de nombreuses craintes et polémiques, leur attribuant notamment un lien avec l’hépatite b, l’autisme ou la paralysie, bien que de nombreuses études n'aient trouvé aucune preuve de telles associations. La désinformation sur les vaccins abonde dans les médias sociaux, où les utilisateurs sont confrontés à des informations négatives disproportionnées, pouvant être émus davantage par des histoires personnelles d'effets indésirables que par des faits scientifiques.
Même si le contexte d'une pandémie prolongée, mortelle et qui a profondément perturbé nos habitudes a renforcé la valeur perçue des vaccins Covid-19, de nombreuses incertitudes sur les vaccins persistent dans la population, notamment les technologies ayant permis de les développer, la rapidité de leur développement, l’efficacité et la sécurité de chacun de ces vaccins chez certaines populations particulières mais aussi l’efficacité sur les variant émergents, la nécessité de doses multiples et le statut « expérimental » des vaccins. Le processus d'approbation réglementaire accéléré des vaccins, en particulier, est susceptibles d'accroître la perception que ces vaccins sont "à risque", "précipités" et "expérimentaux" et, par conséquent d'alimenter l'inquiétude de la population. Cela s'était d’ailleurs produit après la mise sur le marché du vaccin H1N1 lors de la pandémie de 2009, dont l'utilisation a été plus faible que prévu, en partie à cause de la perception généralisée que le vaccin H1N1 n'était pas sûr vu son développement rapide et bien qu’il soit basé sur une technologie conventionnelle.
Tout cela est exacerbé par des messages incohérents des autorités sur les protocoles et mesures en place et sur la prévalence de l’immunité naturelle acquise dans la population qui pourraient faire chuter la demande de la population pour les vaccins avant même qu'ils ne soient disponibles.
Réponse: Une communication factuelle, basée sur les preuves scientifiques actuelles et véhiculant également la confiance, est nécessaire. Les campagnes de communication grand public doivent traduire l’information scientifique en messages clairs en résonance avec la réalité de chaque individu. Les messages doivent souligner l'importance de la vaccination et répondre aux questions et inquiétudes desTunisiens qu’il s’agira avant tout d’identifier. Par ailleurs, la communication transparente sur le suivi de pharmacovigilance lorsque la campagne de vaccination aura débuté permettra de mettre en confiance la population quant à la sécurité des vaccins.
Informer les professionnels de la santé afin qu’ils soient un levier de l’adhésion de la population à la vaccination
Défi: Il est clairement établi que les connaissances et l'attitude des professionnels de la santé à l'égard des vaccins sont un facteur déterminant de leur propre vaccination, de leur intention de recommander le vaccin à leurs patients et de la vaccination de leurs patients. En réalité, la plupart des personnes reçoivent les vaccins conformément aux recommandations de leur médecin et recherchent les conseils et le retour d'information des professionnels de la santé. L’adhésion des professionnels de santé à la vaccination est donc déterminante pour le succès de la campagne de vaccination. Une enquête récente réalisée par la plateforme d’information SAUVE.tn a montré que seuls 40% des médecins sont prêts à se faire vacciner.
Réponse: Pour réussir à faire accepter le vaccin à la population, il est essentiel d'accroître la confiance des professionnels de la santé dans les vaccins. Lorsque les professionnels de la santé ont confiance dans les vaccins et s'engagent à se faire vacciner, ils sont plus susceptibles de discuter et de recommander la vaccination à leurs patients, contribuant ainsi à une plus large acceptation du vaccin au sein de la population.
Pour ce groupe, la clarté, la précision et la transparence des informations sur les vaccins, notamment concernant la rigueur du processus d'essais cliniques, les données de sécurité dans les essais cliniques et en vie réelle, et le processus d'approbation sont susceptibles d'augmenter la confiance dans le vaccin et son adoption par l’ensemble de la population cible.
Conclusion
Compte tenu du retard de la Tunisie dans la disponibilité des vaccins, les autorités responsables devraient, dès à présent, prendre des mesures proactives pour surmonter les obstacles potentiels à l'adoption du vaccin par la population, notamment en mettant en place des campagnes de communication fondées sur la science qui amélioreraient la compréhension, l'accès et l'acceptation des vaccins Covid-19 par la population. Ces campagnes devrontlutter contre la désinformation et s'attaquer aux facteurs socio-comportementaux de chaque groupe de population, en s'assurant que les bonnes informations sont communiquées aux bonnes personnes à travers les bons canaux.
Emna El Hammi
Docteur en Biotechnologies
Partner à INTO EVIDENCE, Spécialiste en communication scientifique
et médicale et en stratégies d’accès au marché des médicaments
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