News - 02.03.2021

Vaccination anti Covid-19 : l’approvisionnement n’est pas le plus dur !

Vaccination anti Covid-19 : l’approvisionnement n’est pas le plus dur !

Par Dr. Chedi Mhedhebi - Alors que la Tunisie va recevoir de manière imminente ses premières doses de vaccin anti Covid-19, avec un lot de 93600 doses du vaccin de Pfizer-BioNTech que l’on attend avec impatience, les autorités sanitaires ne communiquent pratiquement que sur une thématique : l’approvisionnement, en tentant de rassurer la population qu’on aura des quantités suffisantes de vaccins. Mais s’agit-il vraiment de l’enjeu principal ?

93600 doses comme un début, 500000 par ci, 2 millions par-là…Ces derniers temps, les chiffres fusent concernant le nombre de doses qu’aura la Tunisie, amenant même le Ministère de la Santé à parler des détails de négociations en cours. Cette communication abondante sur le sujet de l’approvisionnement est venue en réaction à la pression exercée par l'opinion,n publique relayée par les « Mass media », et reprise en boucle sur Facebook, le chef de file des « Mass media ». C’est malheureusement devenu une habitude en Tunisie. la communication hésitante de nos dirigeants est en grande partie commandée par la « faceboocratie ». Des « erreurs » qui se sont glissées dans le JORT, aux « fautes de frappe » dans les communiqués officiels, nombreux ont été les revirements de bord faits par les autorités récemment, surtout lorsque l’opinion publique « facebookienne » n’est pas satisfaite. On dit aux gens ce qu’ils veulent entendre, pas ce qu’ils doivent entendre.

Certes, l’approvisionnement en vaccins est important, il s’agit même d’un « enjeu de sûreté nationale » pour reprendre l’expression à la mode dernièrement. Mais supposons que la Tunisie ait demain 24 millions de doses de vaccins à sa disposition, le défi de la vaccination anti Covid-19 sera-t-il relevé pour autant ?

La vaccination anti Covid-19, un défi organisationnel et logistique hors-norme

Sur le plan logistique, la grande difficulté dans toute campagne de vaccination est d’assurer la conservation des vaccins, qui sont des produits biologiques fragiles, dans des conditions optimales. C’est ce qu’on appelle le respect de « la chaîne de froid ». Cet impératif doit être assuré pour le stockage à long terme des vaccins (dépôts de la pharmacie centrale), durant leur transport et finalement pour leur conservation temporaire (quelques jours) dans les centres de vaccination. Cette difficulté est accrue dans le cas de la vaccination anti Covid-19, car les conditions de conservation des vaccins actuellement sur le marché sont rigoureuses : -70°C pendant 6 mois et 2 à 8°C pendant 5 jours pour le vaccin de Pfizer, -20°C pendant 6 mois et 2 heures (!) entre 2 et 8°C pour le vaccin Sputnik V (dans sa forme liquide) à titre d’exemple. Il ne faut pas non plus sous-estimer la difficulté logistique de la conservation « classique » entre 2 et 8°C, comme pour le vaccin d’Astra-Zeneca/Oxford. En 2005, l’OMS avait en effet estimé le taux de perte vaccinale, due à des contraintes logistiques, à 50%. Pour le cas de la vaccination anti Covid-19, la France, elle, est particulièrement prudente et anticipe un taux de perte à 20-30%.

Sur le plan organisationnel, il s’agit là encore d’un casse-tête chinois (un bien vilain jeu de mots en temps de Covid-19). La stratégie vaccinale tunisienne vise tout de même un rythme optimal de 120000 injections par jour, dans 300 centres différents, avec des milliers de volontaires mobilisés. Quand on se rappelle les images de chaos lors de la distribution des aides sociales aux familles nécessiteuses en Avril dernier, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’une stratégie ambitieuse.

Tout d’abord, la durée de vie limitée de la plupart des vaccins entre 2 et 8°C, impose de n’acheminer aux centres de vaccination que le nombre exact des doses à administrer, selon le nombre d’inscrits par jour.De plus, la difficulté est accrue par le fait que la grande majorité des vaccins actuellement disponibles nécessitent 2 doses pour être efficaces. Il faut donc s’assurer qu’une personne qui a reçu sa première dose revienne pour avoir la deuxième. De plus, il faut s’assurer qu’elle revienne aubon moment (21 jours d’intervalle pour le vaccin de Pfizer par exemple). La mise en place de la plateforme informatique Evax.tn est une bonne initiative, qui permettra le suivi de tout le processus. Mais il s’agit d’un système expérimenté à large échelle pour la première fois dans notre pays, puisqu’on ne peut pas dire que nous sommes très avancés sur la voie de la digitalisation.

Tout cela demande donc une coordination parfaite. Bien plus important, il demande l’adhésion de la population.

La communication: la clé de voûte de la campagne de vaccination

Nous en venons au volet le plus important de la campagne de vaccination à notre sens, en revenant au point de départ de cet article : la communication.

Le fait que la vaccination anti Covid-19 ne soit pas obligatoire impose de convaincre les gens de se faire vacciner. Mais c’est loin d’être une mince affaire : une enquête d’opinion réalisée récemment par le cabinet EMROHD Consulting, en partenariat avec Eshmoun Clinical Research et l’Université Honoris, montre que seulement 41% de la population tunisienne souhaite se faire vaccinercontre la Covid-19. Ceci nous place au même niveau que la France, pays parmi les plus vaccino-sceptiques au monde. Même chez les professionnels de santé, la bataille n’est pas gagnée, comme le montre le sondage de la plateforme Sauve.tn.

Certes, la Tunisie a des traditions en matière de vaccination, avec un programme vaccinal qui représente un des taux de couverture les plus élevés parmi les pays en voie de développement. Mais ce programme vise principalement les enfants, avec une vaccination obligatoire, et repose en grande partie sur le réseau de la médecine scolaire. Grâce àun pourcentage élevé de scolarisation dans notre pays, ce programme a pu accomplir sa mission avec succès. C’est un tout autre défi pour la vaccination anti Covid-19, puisque la population pédiatrique n’est même pas incluse en tant que population cible pour le moment.

La prudence du scientifique versus le volontarisme du politique

La fragilisation progressive de l’Etat, avec actuellement une crise institutionnelle sans précédent, a eu comme conséquence un manque de confiance généralisé et une faiblesse du leadership politique dans notre pays. Cela a été compensé, lors de la gestion de la crise Covid-19, par la mise en avant de figures scientifiques de renommée, censés incarner la neutralité et inspirer confiance à la population.

Or, convaincre les gens de se faire vacciner comporte une part de persuasion et  même une part d’émotionnel. Car il s’agit de mobiliser tout un peuple pour une cause commune, un « effort de guerre » pour reprendre les termes de Joe Biden. C’est une mission purement politique. Le meilleur exemple qui illustre cela est le leadership politique fort qui a fait de la Santé et de l’Education des causes nationales après l’indépendance en Tunisie, et qui a ainsi permis de mener avec succès les campagnes de vaccination des années 1960 et 1970.

Le scientifique, par nature, et, parce qu’il est profondément attaché aux principes de rigueur scientifique, est toujours prudent. Il aura toujours tendance à nuancer et à sortir des phrases telles que : « Les vaccins à ARNm ont prouvé leur sécurité en termes d’effets indésirables sur le court terme. Par contre, sur le long terme, nous n’avons pas assez de recul sur cette nouvelle technologie sur laquelle nous ne pouvons pas nous prononcer. » Cette phrase, prise en tant que telle, est tout à fait justifiée et factuelle. Mais elle ne peut pas servir de discours officiel. Le rôle du scientifique, ce n’est pas de mener la communication de l’Etat ; c’est de fournir la base scientifique à la communication de l’Etat.

L’absence de leadership politique fort, qui n’hésite pas à faire des choix et à assumer ses responsabilités, a eu un effet néfaste sur la communication de l’Etat tunisien. Celle-ci est devenue hésitante, passive et surtout réactive plutôt que proactive. En ce qui concerne la vaccination anti Covid-19, l’impression dégagée est que la « stratégie » de communication de l’Etat consiste à ramener les vaccins, préparer les préalables logistiques (plateforme d’inscription, centres de vaccination etc…), et…c’est tout. Ensuite, on laisserait à la population le soin de s’informer par ses propres moyens sur les vaccins, et de décider si elle souhaite se faire vacciner ou pas.
Cela ne suffira pas. Ce n’est pas cette communication passive qui permettra de vacciner plus de 60% (le fameux seuil de l’immunité collective) de la population tunisienne et de vaincre la Covid-19, cet ennemi pernicieux qui a tué des milliers de nos concitoyens et a causé une récession économique désastreuse.

Deux enjeux majeurs de communication

Comme on l’a vu plus haut, la population tunisienne a un a priori négatif sur la vaccination anti Covid-19. C’est un fait, mais pas une fatalité. Cet état des lieux peut changer, mais à condition de faire de l’axe de la communication un véritable pilier de la campagne nationale de vaccination. Pour transformer cette perception négative en une appropriation et une adhésion au processus, l’enjeu est d’achever deux objectifs majeurs :

Le premier est d'adhérer la population au principe de la vaccination anti Covid-19 lui-même. Cela passe par l’explication de son intérêt dans la lutte contre la pandémie, l’information sur l’efficacité et la sécurité des vaccins et également par la présentation de l’acte de la vaccination comme un comportement exemplaire et un acte citoyen.

Le deuxième est de gagner la confiance de la population dans la bonne conduite du processus national de vaccination. Cela passe par une gestion rigoureuse sur le plan logistique et organisationnel, par une bonne information des citoyens sur les modalités pratiques de la vaccination et par le renforcement de la transparence.

Le salut viendra-t-il de la société civile ?

L’atteinte de ces deux objectifs n’est pas chose aisée. Elle nécessite la mobilisation de toutes les composantes de la société tunisienne : médias, célébrités, « influenceurs » et autres figures d’autorité, et surtout la société civile. Celle-ci a toujours su répondre présent en cas d’enjeux de salut national comme c'est le cas. Il s’agit de retrouver le fantastique élan de volontariat que l’on avait vu lors de la première phase de la pandémie Covid-19, durant les mois de mars-avril 2020.
Pour concourir aux deux objectifs susmentionnés, l’apport de la société civile peut être considérable. Pour le premier, la plateforme digitale de communication Sauve.tn a par exemple d’ores-et-déjà annoncé sa mobilisation pour promouvoir la vaccination anti Covid-19, informer le public sur les différents types de vaccins, et lutter contre la désinformation. Forte de son partenariat avec des instances académiques et ordinales dans le domaine de la santé, Sauve.tn se positionne comme une source nationale fiable et digne de confiance sur la thématique de la vaccination anti Covid-19.

Pour le deuxième objectif, la mobilisation des volontaires de la société civile sur terrain, par exemple dans les centres de vaccination, peut contribuer à une meilleure organisation et une meilleure transparence du processus.Mais cela requiert une bonne coordination avec les institutions gouvernementales, et l’intégration de la société civile en tant que composante à part entière de la stratégie nationale de vaccination.

Dans cet enjeu de salut national qu’est la vaccination anti Covid-19, la société civile tunisienne a un rôle à jouer. Certes, elle ne peut pas se substituer à l’Etat, notamment sur les plans de l’approvisionnement et de la logistique des vaccins. Mais devant la communication balbutiante des autorités, il est du devoir de la société civile de se mobiliser, et d’être le moteur qui va réellement dynamiser la campagne nationale de vaccination.

Dr. Chedi Mhedhebi
Médecin résident
Directeur du Département Santé de l’Association BEDER
Et Coordinateur général de la plateforme Sauve.tn


 

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