Tunisie: Sommes-nous mûrs pour la démocratie?
Par Boubaker Benkraiem - La démocratie est un système politique dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens qui exerce le pouvoir de façon directe ou indirecte, directe lorsque les citoyens adoptent eux-mêmes les lois et décisions importantes et choisissent eux-mêmes les agents d'exécution, généralement révocables. C’est aussi une forme de gouvernance qui garantit l'égalité et la liberté des citoyens. Comme valeurs de ce système politique, on peut citer, entre autres : L’égalité civique, l’égalité de tous devant la loi d’où l’Etat de droit, la séparation des trois pouvoirs (le pouvoir de faire les lois « le législatif », le pouvoir de les appliquer « l’exécutif », et le pouvoir de les faire respecter « le judiciaire » et le pluralisme politique.
Inventée dans la Grèce antique, cette forme de gouvernance est assumée par les représentants de la majorité du peuple.
La démocratie est fragile. Elle est sans cesse à défendre et à consolider, comme en témoignent aujourd'hui des sujets aussi importants que le cumul des mandats électifs ou la corruption dans les partis politiques ; car la démocratie ne peut s'accommoder de la concentration de tous les pouvoirs entre les mains de quelques « spécialistes » de la politique ni du détournement de l'argent public à des fins privées ou politiques. Une autre question, peut-être encore plus grave, est celle de l'indépendance des juges à l'égard du pouvoir : les juges sont les garants des libertés et de l'égalité devant la loi ; si un gouvernement peut ralentir ou étouffer un procès, c'est que la démocratie ne fonctionne pas encore correctement.
Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle qu'une véritable démocratie se développe, tant aux États-Unis que dans la France révolutionnaire. Depuis cette date, la démocratie n'a cessé de gagner du terrain, au point de devenir aujourd'hui la forme dominante de gouvernance dans le monde.
La démocratie implique, enfin, que la vie politique soit organisée de façon à permettre l'expression de toutes les opinions: c'est le pluralisme politique qui s'exprime par la tenue d'élections libres au cours desquelles le peuple élit ses représentants pour exercer le pouvoir à sa place pour une période définie, au moyen du vote ou suffrage universel, égal et secret. C'est le système de la démocratie représentative.
Dans la plupart des démocraties occidentales, les représentants sont élus lors d’élections libres qui respectent 3 conditions:
1- la possibilité, à un candidat, d’une libre adhésion à un parti politique de son choix,
2- le suffrage universel (tous les citoyens, hommes et femmes peuvent voter et chaque individu détient un vote),
3- le scrutin libre et secret.
La démocratie implique tout d'abord l'égalité civique. Dans une démocratie, les citoyens sont tous soumis aux mêmes lois et ne se distinguent les uns des autres que par leur mérite. La pauvreté ne doit donc empêcher personne de prendre part à la vie politique du village, de la ville, de la région et du pays. Le but n'est pas d'assurer les mêmes ressources à tous les citoyens, ce qui est utopique, mais de garantir l'égalité de tous devant la loi grâce à l'impartialité de la justice. C'est ce qu'on appelle l'État de droit.
La plupart des pays du monde, connaissent, compte tenu d’un certain nombre de facteurs et tout au long de leur Histoire, des incidents, des soubresauts, des évènements et des changements naturels ou humains qui marquent le subconscient de ceux qui les vivent. C’est, en fait, le cas de notre pays qui, après avoir été gouverné durant plus d’un demi-siècle, par deux personnalités, les deux présidents de la Première République, d’une manière assez autoritaire (les présidents Bourguiba et Ben Ali), a réussi, en décembre 2010-janvier 2011, une révolution, fort heureusement °light°, en considération des pertes en vies humaines, dénommée « révolution de la Liberté et de la Dignité ».
Après un tel changement, le pays a traversé une période transitoire au cours de laquelle les anciennes Institutions de l’Etat ont été revues et de nouvelles mises en place. Et l’impensable eut lieu : la nécessaire révision de la Constitution, prévue en une année, durera trois ans. En croire ses auteurs, c'est "l’une des meilleures constitutions du monde si ce n’est la meilleure".
La grande course pour le pouvoir s'engagea aussitôt. Plus de deux cents partis politiques ont vu le jour avec plus ou moins de chance et d’adhésions, mais rares sont les partis politiques qui avaient annoncé un programme de gouvernance convaincant et en mesure de persuader les électeurs. Ce fut une course effrénée pour se positionner à n’importe quel prix. Comme le ridicule ne tue plus, nombreux sont les partis politiques qui n’ont pas été capables d’avoir des locaux convenables pour recevoir les adhérents ou candidats adhérents, pour organiser leurs réunions et, au moins sauver la face. Certains n’auraient comme partisans que les membres de leurs familles et leurs amis les plus proches. Cette situation devient gênante pour la vie politique du pays et cet effritement des électeurs qui est un blocage nuisible ne peut, en aucune manière, permettre d’avoir un gouvernement soutenu et appuyé par une majorité conséquente et rassurante, garantissant ainsi le minimum de stabilité nécessaire à la conduite des affaires de l’Etat et surtout à la concrétisation du programme pour lequel le parti majoritaire a été élu.
Ce qui est vraiment inquiétant, est cette absence de communication et surtout de dialogue entre les protagonistes, car tous les Hauts Responsables politiques du pays nous donnent l’impression qu’ils ne sont pas au courant de la situation économique et sociale lamentable dans laquelle vit la grande majorité de nos concitoyens dont les conditions de vie sont inquiétantes. Si tous les acteurs politiques au sommet sont sincères et on ne peut en douter, pourquoi et pour quelle raison le dialogue entre eux est, pratiquement, inexistant? Tout peut être réglé par la discussion pour peu qu’on mette de côté égoïsme, vanité, intéressement et narcissisme et qu’on se rappelle que les Hautes Fonctions impliquent, sans aucun doute, des services à rendre aux citoyens et un certain désintéressement, humilité et dévouement aux concitoyens.
La question qui se pose à ces responsables, qui n’arrivent pas à discuter et à s’entendre dans l’intérêt du pays et dans le but de relever tant de défis dont les plus importants et qui nécessitent des solutions urgentes sont :
• la situation socio-économique du pays et le chômage qui sévit dans toutes les catégories de la population (docteurs, jeunes et ceux qui ont perdu leur travail suite au Covid, etc.),
• les migrations, la sécurité, la santé et l’alimentation,
• le défi environnemental (le changement climatique), la gestion durable de nos ressources.
Pour répondre efficacement et durablement à tous ces défis, nous devons savoir comment s’organiser à cet effet. Si l’on considère que la manière dont nous sommes organisés aujourd’hui nous mène droit dans le mur, il nous faut absolument changer de mode d’organisation et donc de modèle politique.
Deux chemins se présentent à nous:
1- Nous pouvons aller vers plus d’autorité, l’autorité d’un chef qui décide et qui tranche, soit un Régime présidentiel : Le pouvoir personnifié par un individu qui incarne et représente le reste des citoyens.
2- L’alternative à cette voie autoritaire, c’est la voie de l’ouverture : Il s’agit d’aller vers plus de démocratie, c’est-à-dire vers l’équilibre et la répartition des pouvoirs entre les mains de la multitude. Ce chemin est une ligne de crête. Il nécessite une gestion de la complexité pour éviter l’écueil de la foule aveugle et sourde, et réussir le pari de la mobilisation d’une intelligence collective et citoyenne.
Je pense que le choix n’est pas difficile à faire et la seconde alternative est, certainement, la mieux appropriée pour notre pays.
Notre monde est en mal de démocratie. Nous avons, en face de nous, de gigantesques défis à relever et nous avons besoin de faire l’analyse des opportunités offertes par le numérique pour réinterroger notre démocratie.
Cependant, combien de fois, après le changement intervenu le 14 janvier 2011, avons-nous entendu les Hauts Responsables à la tête de la 2° République critiquer, sans aucune retenue, les Cadres et les Hauts Responsables de la 1°République qu’ils qualifient, surtout, de corrompus et d’incapables. Soit. Aussi, nous leur demandons, très modestement, eux qui ont pris en mains les affaires du pays, de faire en sorte que la Tunisie retrouve, au moins, le prestige et le PNB qu’elle avait en 2010. Nous n’en serions qu’heureux et enchantés et on ne sollicitera rien de plus. Je demanderai à tous ces messieurs de se rappeler, toujours, de la maxime suivant : la critique est aisée, mais l’art est difficile.
Pour conclure, et compte tenu de ce qui précède, notre pays, l’héritier de Kairouan et de Carthage qui a réussi une révolution « leaderless » et, fort heureusement, sans pertes significatives en vies humaines, se trouve, aujourd’hui à la croisée des chemins : Notre seule richesse étant le capital humain, comment se fait-il qu’au sommet de l’Etat, le dialogue semble rompu entre les trois premiers responsables et même entre les détenteurs de l’Exécutif. Quel merveilleux exemple sommes-nous entrain de donner à nos amis, à nos partenaires et aux organismes internationaux qui nous soutiennent, qui ont cru en nous et au Changement intervenu dans notre pays !! Même au sein de l’Exécutif, on sent qu’il n’y a pas cette symbiose qui doit exister entre des partenaires liés par l’intérêt national et le bien du peuple.
Cependant, la gestion de la crise du coronavirus et le retard quant à la vaccination des citoyens nous laissent pantois et inquiets. Pantois et inquiets que notre pays, la Tunisie, l’héritière de Kairouan et de Carthage, la Tunisie qui a donné à l’humanité des Hommes et des Femmes illustres, l’exemple et le modèle pour de nombreux pays, il n’y a pas si longtemps, soit tombée aussi bas.
Il me semble que toutes les difficultés que rencontrent les détenteurs du pouvoir suprême et dû, essentiellement, à leur manque manifeste d’expérience parce que, pratiquement ils n’ont pas servi dans l’administration ni dans les composantes des Départements ministériels pour apprécier la gestion des affaires, la hiérarchie, ni assumé de responsabilités politiques, techniques ou administratives qui auraient pu leur permettre d’avoir un comportement différent leur permettant de prendre les décisions adéquates qui s’imposent pour booster le développement et assurer, à notre pays, sauvegarde, progrès et réussite certains.
Que Dieu veille et protège la Tunisie Eternelle.
Boubaker Benkraiem
Ancien Sous-Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre,
Ancien Gouverneur.
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