News - 18.04.2021

Une nouvelle équipe dirigeante pour jeter les bases de la Libye nouvelle

Une nouvelle équipe dirigeante pour jeter les bases de la Libye nouvelle

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - A l’orée de la onzième année après la révolution du 17 février 2011, et au terme d’une véritable «décennie noire», une décennie de chaos, de violences, de déchirements, de luttes de pouvoir et d’ingérences étrangères, la Libye vient de se doter d’une nouvelle équipe dirigeante qui, espérons-le, engagera le pays sur la voie de la reconstruction et jettera les bases de la Libye nouvelle.

Constituée d’un nouveau Conseil présidentiel intérimaire composé d’un président et de deux vice-présidents issus des trois régions du pays (Mohammed Younes el-Menfi, Moussa Al-Koni et Abdallah Hussein Al-Lafi), d’un nouveau Premier ministre (Abdelhamid Dbeibah), de deux vice-Premiers ministres (Hussein Atiya Abdul Hafeez Al-Qatrani et Ramadhan Ahmed Boujenah) et d’un gouvernement de 33 ministres, dont cinq femmes, cette équipe aura, en effet, pour mission de consacrer la sortie de la Libye de sa crise en assurant la transition et en préparant le double scrutin présidentiel et parlementaire prévu pour le 24 décembre 2021, c’est-à-dire dans seulement neuf mois.

Bien qu’elle ait suscité beaucoup d’espoir chez le peuple libyen et qu’elle ait été saluée presque par tout le monde et dans le monde entier, la mise en place de cette nouvelle équipe dirigeante qui constitue, certes, une importante percée politique et un grand pas sur le long chemin que la Libye aura, encore, à parcourir dans sa quête de la paix, il faut dire que sa tâche ne sera pas aisée.

En effet, elle aura, au moins, trois défis de taille à relever. Il s’agit, tout d’abord, du défi relatif à la réconciliation nationale et la réunification des institutions de l’Etat libyen.

A cet égard, il est à remarquer que le nouvel exécutif, et en particulier le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, et les membres de son gouvernement, qui ont juré, en prêtant serment, «de préserver l’unité, la sécurité et l’intégrité» de leur pays, auront à affronter de nombreux acteurs antagonistes qui, tant sur le plan interne que sur le plan externe, continuent à influer sur la décision politique et ne souhaitent pas leur succès.

Toutefois, d’aucuns estiment qu’en ayant su former un gouvernement d’union nationale et «représentatif de l’ensemble des Libyens» grâce à une répartition aussi équitable que possible des postes entre les groupes d’intérêt et les régions, ce qui lui a permis d’obtenir un vote de confiance «historique»  de 132 sur les 133 membres présents de la Chambre des représentants, Abdelhamid Dbeibah sera, en principe, capable de réunir les conditions nécessaires et trouver la formule idoine pour réunifier son pays profondément divisé. D’ailleurs, pour ce faire, et afin de pouvoir sécuriser le pays, surmonter les divisions et instaurer la paix sociale, il envisage de lancer un processus global de réconciliation nationale par la création  de comités internes de réconciliation qui auront pour mission de rapprocher les différentes composantes du peuple libyen, les tribus et les communautés rivales et belligérantes.

Parallèlement, il s’attellera, en collaboration avec le Conseil présidentiel, à l’élaboration de la loi électorale et de la constitution en prévision de l’organisation des élections présidentielles et législatives.

Quant au second défi auquel la nouvelle équipe dirigeante fera face, il est socioéconomique. Dans un pays meurtri par une décennie de guerre, et de surcroît fortement frappé par l’épidémie de coronavirus, les attentes de la population dont le quotidien est rythmé par les pénuries de toutes sortes, la défaillance des services essentiels et  l’inflation sont énormes et pressantes. Aussi le nouveau gouvernement est-il appelé, en premier lieu, à mobiliser les moyens nécessaires pour le lancement, de toute urgence, de la vaccination contre le coronavirus.

D’autre part et en même temps, il est appelé à accorder une attention particulière aux difficultés de la vie quotidienne du peuple libyen. A cet effet, il envisage de préparer un budget de compensation pour l’année en cours.

Enfin, s’agissant du troisième défi, il est de nature militaro-sécuritaire. Sur ce plan, le maintien et le renforcement du cessez-le-feu signé le 23 octobre 2020 nécessiteront la planification du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration des groupes armés libyens. Cette tâche sera particulièrement ardue, car malgré la fin des combats entre les deux camps libyens depuis l’été dernier, la Libye demeure minée par les luttes d’influence, le poids des milices et la présence de mercenaires étrangers.
Une réforme du secteur de la sécurité et la mise en place d’une architecture de sécurité inclusive et dirigée par des civils pour l’ensemble du pays seront donc indispensables.

Sera également indispensable la réalisation du retrait des forces étrangères et des mercenaires que le Conseil de sécurité de l’ONU ne cesse de réclamer. En témoigne sa dernière déclaration approuvée à l’unanimité de ses membres et publiée le vendredi 12 mars 2021 pour demander le retrait, sans plus tarder, de toutes les forces étrangères et des mercenaires de Libye, appeler toutes les parties à appliquer pleinement l’accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 et exhorter les États membres à respecter et à soutenir la pleine application de l’accord.

Il est à rappeler que selon l’ONU, environ 20 000 militaires et mercenaires se trouvaient encore fin 2020 en Libye et aucun mouvement de retrait n’a été constaté à ce jour.

Tout en reconnaissant que tous ces défis sont, comme les qualifient certains observateurs, colossaux, et sans tomber dans un optimisme outre mesure, ni dans un pessimisme excessif, il me semble que la nouvelle équipe dirigeante libyenne saura les relever.
Mais pour ce faire, elle devrait faire preuve de pragmatisme et de beaucoup d’imagination, afin de pouvoir identifier la meilleure manière de mener à bien sa délicate mission. Une manière qui ne soit ni trop sévère ni trop complaisante, pour amener les différentes parties à assouplir leurs positions et faire les concessions nécessaires pour trouver un terrain d’entente à même de réinstaurer la paix en Libye et de servir les plus hauts intérêts du peuple libyen.

Quant aux Libyens qui ont longtemps été déçus par l’échec des accords conclus mais restés lettre morte durant les dernières années, ils auront besoin de rompre avec leur déception, de croire en la réussite du processus actuel et d’aider la nouvelle autorité exécutive à le mener à bien, d’autant plus que ses membres font figure d’outsiders, ce qui suppose qu’ils viennent avec une nouvelle vision et une approche différente.

En outre, le Premier ministre devra savoir tirer parti des atouts dont il dispose en ce moment sur le plan externe et qui sont en particulier les suivants:

1/ Le changement de l’attitude des acteurs étrangers impliqués en Libye qui semblent, cette fois-ci, animés d’une réelle volonté de parvenir à la paix, et de renoncer à leur duplicité qui, selon les dires de Ghassan Salamé, l’ancien envoyé spécial de l’ONU en Libye, les faisaient dire une chose et faire son contraire.

2/ Le retour des États-Unis, surtout avec l’arrivée du Président Joe Biden, dans le dossier libyen et sa volonté, du moins affichée, de mettre un terme à la guerre en Libye.

3/ L’appui du Conseil de sécurité des Nations unies qui a approuvé, le 4 février dernier, la requête du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, portant sur l’envoi d’une équipe onusienne pour surveiller le cessez-le-feu en Libye, puis a dépêché le 4 mars dernier une équipe réduite d’observateurs onusiens dans la ville de Syrte en vue de mettre sur pied le mécanisme de son contrôle.

4/ Les liens qu’il entretient avec la Turquie d’une part, et la Russie d’autre part, sachant qu’il s’est déjà déclaré prêt à renforcer les relations de la Libye avec Ankara et a affirmé qu’il est en faveur d’un grand partenariat entre les deux pays. Ces liens pourraient lui être utiles dans la recherche, avec ces deux pays qui soutiennent les deux principales parties rivales libyennes, les arrangements nécessaires qui l’aideraient à faire progresser le processus de réconciliation et de pacification de la Libye.

5/ Le soutien qu’il pourra trouver et sur lequel il pourra compter auprès des pays maghrébins voisins et à leur tête la Tunisie dont le président a tenu, dans un geste louable, à être le premier chef d’État à se rendre en Libye après l’élection de sa nouvelle autorité exécutive. En effet, par cette visite, le Président Kaïs Saïed a éloquemment dit aux frères libyens que la Tunisie est déterminée à accompagner leur processus de transition et à la reconstruction de leur Libye nouvelle.

Qui est le nouveau Premier ministre Abdelhamid Dbeiba?

Né en 1958 à Misrata, le nouveau Premier ministre Abdelhamid Dbeiba est l’un des hommes forts de cette ville située à 200 km à l’est de Tripoli et considérée comme le bastion de la révolution libyenne.
Titulaire d’un master en planification et techniques du bâtiment de l’université de Toronto au Canada, il a occupé des fonctions importantes et a bâti sa fortune sous le régime de Mouammar Kadhafi durant lequel il a dirigé la Compagnie libyenne d’investissement et de développement (la Lidco), une société étatique, à travers laquelle il a mené de vastes projets de construction.

De 1989 à 2011, il est chef de projets de l’Organisation pour le développement des centres administratifs (Odac), l’autre géant des investissements libyens chargé de moderniser les infrastructures. Aujourd’hui, il dirige une holding dont les filiales s’étendent jusqu’en Turquie.

Au-delà de ses affaires, il est l’ex-patron du club de football tripolitain Al-Ittihad qui est l’un des plus emblématiques en Libye.

En 2018, il a fondé son propre mouvement, Avenir de la Libye (Libya al-Mustakbal), sur un programme de réunification du pays.

Il est perçu comme un homme consensuel capable de faire le grand écart entre les différents courants idéologiques libyens.

Il a de bonnes connexions avec Ali al-Sallabi, le prédicateur des Frères musulmans en Libye, mais également avec les kadhafistes.

Par ailleurs, il n’est pas fermé à des discussions avec le camp de l’Est.

À l’étranger, il s’est également forgé de solides réseaux et bénéficie d’un carnet d’adresses touffu.

Il est proche de la Turquie, soutien de Tripoli, où il a noué d’importantes relations commerciales. Mais il cultive aussi de bonnes relations avec Moscou, allié du général Khalifa Haftar.

Mohamed Ibrahim Hsairi
 

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