Jean Fontaine, le migrant inversé, nous quitte
« C’est en Tunisie que je suis retourné à la vie. J’y continue à faire ce qui est le plus important, non pas forcément continuer l’Ibla ou le Centre d’études de Carthage, mais remercier les gens, contribuant, moi le migrant inversé, à rendre le pays plus humain. Moi, à qui la Tunisie a donné tant d’humanité. » Jean Fontaine tenait à l’écrire, en profonde passion, dans son dernier livre Solidaire aller… retour, (Arabesques, 2020). Lui qui avait tant reçu de la Tunisie, et lui a tant donné pendant 65 ans, vient de s’éteindre à l’âge de 86 ans.
Missionnaire d’Afrique au sein de la communauté des Pères Blancs, il avait 30 ans lorsqu’il avait débarqué en 1965 dans une Tunisie encore emportée par l’euphorie de l’indépendance, mais déjà confrontée à l’impératif de la démocratisation et des libertés. Rapidement, on lui confiera la gestion de la bibliothèque de l'Institut des belles lettres arabes dont il sera le conservateur pendant douze ans (1965-1977), avant d’être nommé directeur de la revue IBLA (1977-2008).
Jean Fontaine sera alors au cœur de la littérature tunisienne, de la société tunisienne, des causes de la jeunesse, des minorités, des étrangers en détresse, des libertés. Le jeune étudiant décrochera sa licence d’arabe (1968), son troisième cycle en 1970 sur La révolte religieuse des écrivains libanais au 19e siècle et sa thèse d'État en 1977 sur Mort-résurrection : une lecture de Tawfîq al-Hakîm.
Militant de la société civile, Jean Fontaine apportera une contribution substantielle à l’action d’ATIOS (Association tunisienne d'information et d'orientation sur le Sida) 1992-2006. Le ministère de la Justice l’autorisera à visiter les prisonniers étrangers dans les établissements pénitentiaires locaux (2004-2010). Il sera également l’animateur de deux groupes "Réflexion et foi" composé d’étrangères mariées à un Tunisien, à partir de 2001, et d’un groupe d’entrepreneurs étrangers depuis 2010 et responsable du Centre d’études de Carthage (2017-2019).
Son périmètre s’étendra à de nombreux autres pays arabes. C’est ainsi que Jean Fontaine effectuera des séjours d'études dans quasiment toute la région : Mauritanie, Maroc, Algérie, Libye, Égypte, Yémen, Koweït, Jordanie, Palestine, Liban, Syrie, Irak). L’occident aussi l’invite. Jean Fontaine donnera de nombreuses conférences un peu partout : Canada, États-Unis, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Roumanie...
Son œuvre littéraire est très riche. On lui doit en effet pas moins de 26 ouvrages, pour la plupart dédiés à la littérature tunisienne et à ses auteurs. Tout avait commencé quand on lui avait demandé de préparer des comptes rendus de livres et revues tunisiennes à publier dans la revue Ibla. De 1969 à 2016, il produira 4200 comptes rendus. La matière de base était ainsi réunie. Il ne restait plus qu’à s’approfondir dans l’analyse de contenu. Très actif, adoubé par les universitaires, les écrivains et le milieu culturel, Jean Fontaine était présent lors des différentes rencontres et manifestations, faisant connaissances, nouant amitiés. Sa simplicité, sa modestie, son sens de l’amitié lui avaient ouvertes les portes des maisons et les cœurs de très nombreux amis.
Avec un rare courage, Jean Fontaine affrontera deux épreuves des plus dures. La première, est l’incendie de la bibliothèque de l’Institut, le 5 janvier 2010. Voir partir en fumée des documents précieux, laborieusement collectés et soigneusement classés ne pouvait qu’abattre les volontés les plus déterminées. La seconde, c'est lorsqu’il a été atteint du cancer. Sa foi, sa capacité de tout dépasser et de se redéployer seront les ressorts de son rebond.
Jean Fontaine laissera le souvenir d’un Tunisien de fait, féru de belles lettres, amoureux du pays, dévoué à sa culture. Si son dernier ouvrage, intitulé Solidaire aller… retour, est sans conclusion, c’est qu’il ne pouvait oser penser devoir conclure son parcours et mettre fin à sa passion tunisienne.
Bibliographie
• Vingt ans de littérature tunisienne, 1977
• Mort-Résurrection : une lecture de Tawfîq al-Hakîm, 1978
• 1984 الموت والانبعاث في أعمال توفيق الحكيم (ترجمة محمد قوبعة)
• Aspects de la littérature tunisienne, 1985
• فهرس تاريخي للمؤلفات التونسية، 1986
• Histoire de la littérature tunisienne
Tome I : Des origines à la fin du XIIe siècle, 1988 ; 2° éd., 1999
Tome II : Du XIIIe siècle à l'indépendance, 1994 ; 2° éd., 1999
Tome III : De l’indépendance à nos jours, 1999
• Études de littérature tunisienne, 1989
• الأدب التونسي المعاصر،1989
• La littérature tunisienne contemporaine, CNRS, 1990
• Écrivaines tunisiennes, 1990 ; 2e éd., 1994
• Regards sur la littérature tunisienne, 1991
• Romans arabes modernes, 1992
• La crise religieuse des écrivains syro-libanais chrétiens, 1996
• Bibliographie de la littérature tunisienne contemporaine en arabe, 1997
• Propos de littérature tunisienne, 1998
• La blessure de l’âne, 1998
• Recherches sur la littérature arabe moderne, 1998
• Itinéraire dans le pays de l’autre, 1998
• Le roman tunisien de langue arabe, 2002
• كلمات مهاجرة، 2002
• Le roman tunisien de langue française, 2004
• Points de suspension…, 2008
• Le roman tunisien a 100 ans (1906-2006), 2009
• Traduction de Noureddine Alaoui, Une musette de mirages, 2010
• Bréviaire des prisonniers étrangers en Tunisie, 2012
• Bourguiba dans le roman tunisien, 2015
• Du côté des salafistes en Tunisie, 2016
• La littérature tunisienne, 2017
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Il me semble que vous vous trompez en affirmant qu'il a debarqué en Tunisie à 30 ans. Ne serait ce pas plutôt à vingt ans? D'ailleurs s'il est décédé à 85 ans et qu'il a vécu 65 ans en Tunisie, Jean Fontaine avait bien 20 ans quand il a découvert son pays d'adoption.