Frédéric Mitterrand a lu pour vous: "Mahdia , chronique d'une ville heureuse"de Alya Hamza
Les doigts de la Tunisie dans la main d’Alya
Pour le visiteur étranger, la découverte de Mahdia est un enchantement. Il a le sentiment de pénétrer au cœur même de l’Histoire et de la Culture tunisiennes. La géographie concourt à cette impression. Quand on regarde une carte, la ville se présente comme un doigt effilé brandi par le continent, depuis la côte et désignant la mer. Un cap, une péninsule : Mahdia c’est aussi le nez de Cyrano sur le visage de la Tunisie. Il existe des cartes très anciennes qui témoignent de la fascination exercée par cette situation extraordinaire à travers les siècles: on quitte Mahdia pour gagner la mer et faire le commerce des richesses agricoles de l’arrière-pays fertile, on y lance les expéditions des pirates auxquelles répondent les razzias en provenance de l’autre rive de la Méditerranée, on s’y abrite contre les invasions appelé par ce doigt tour à tour attirant comme une invitation, protecteur comme un signe d’amitié, vengeur lorsqu’on s’en approche avec hostilité.
Les Phéniciens y ont fondé un comptoir, les Grecs et les Romains y ont perdu des navires dont les archéologues retireront un jour de fabuleux trésors, les Arabes y ont posé les premiers pas de leur conquête de l’Ifriqiya ; ils en on fait leur capitale sous les Fatimides. Les Francs, les Italiens, Charles Quint s’en sont emparé mais n’y sont jamais restés très longtemps comme si le doigt leur intimait l’ordre de repartir. Plus tard, les penseurs et les militants de l’indépendance y ont préparé leurs manifestes et leurs combats; et si aujourd’hui les touristes bénéficient des bons hôtels qui bordent la longue plage d’or aux alentours, c’est la cité d’origine avec la mer au sud, au nord, à l’est qui se donne à lire comme un livre d’histoire. Toutes les époques s’offrent au regard malgré les inévitables avatars apportés par tant de convulsions guerrières ou pacifiques.
On ne se perd jamais dans la médina de Mahdia, les yeux y rencontrent un peu partout la mer. Il suffit de longer le rivage ou d’aller droit devant soi dans les ruelles du centre pour se repérer comme sur le pont d’un bateau. Et lorsque la cité s’arrête pour plonger finalement dans la mer, le cimetière se déploie comme un éventail livré au vent, aux embruns, aux pieuses visites des familles aux défunts et aux jeux des enfants qui ne pensent pas encore qu’ils y reposeront un jour auprès de leurs ancêtres. Paul Valery a chanté le cimetière marin de Sète mais celui de Mahdia appartient aussi à son poème :
«Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux!»
À un peuple de navigateurs et de marins, il est naturel de s’endormir pour toujours dans le souffle de la mer. Mais avec celui d’Hammamet, il y a peu de cimetières marins sur le rivage de la Méditerranée qui suscitent tant de pure émotion poétique. Il faudrait peut-être jumeler un jour Mahdia avec Sète.
Mais les cités qui appellent au voyage et au dernier repos auprès des vagues toujours recommencées sont aussi des cités du savoir. Celui des érudits qui ont parcouru le monde, celui de leurs familles qui ont consigné leurs récits dans des livres, celui de leurs descendants qui sont restés, tant il est vrai qu’il n’est pas absolument nécessaire de partir pour apprendre et transmettre les leçons de la mer omniprésente. Des écoles, des cénacles, des clubs, des cercles de familles ont précieusement gardé ce patrimoine. Les textes désormais soigneusement transcrits constituent une sorte d’encyclopédie de la vie des générations successives qui ont vécu à Mahdia.
A travers eux coule le feu incessant des relations avec l’arrière-pays des champs d’oliviers, des textiles, de l’art des broderies et des parures. Les vergers et les étoffes du Sahel vont vers le port, animent la vie des ateliers, nourrissent les familles qui élaborent une gastronomie traditionnelle délicieuse. «Pas de contrainte en religion», a dit le Prophète, et certains égarés devraient l’écouter un peu mieux. Mahdia est une cité qui préserve les valeurs sacrées, la foi y est partout chez elle, mais la perpétuelle rencontre avec le monde y a placé la bienveillance, la mansuétude et la tolérance parmi les vertus cardinales. Promeneurs de Mahdia, soyez toujours sans crainte, on vous fera toujours un bon accueil et bon visage et vous en reviendrez avec l’impression très sûre d’avoir touché l’âme même de la Tunisie, amicale et gaie, toujours hospitalière.
Alya Hamza qui sait si bien raconter les êtres et les choses de son pays, à travers ses articles, ses ouvrages, ses collections où s’assemblent avec un grand goût les gestes du patrimoine tunisien, est le meilleur guide pour nous conduire dans la cité de son enfance et de sa famille. Elle nous en confie les visages et les secrets avec cette curiosité confiante et cette chaleur de la femme d’expérience que ses innombrables amis connaissent bien. Ceux qui la lisent sans avoir eu le privilège de l’avoir rencontrée comme ceux qui ont la chance de partager son amitié et ceux-là aussi qui vont marcher maintenant dans Mahdia, s’asseoir aux terrasses de ses cafés, visiter son merveilleux musée, franchir les portes du cimetière, rêver devant la mer en relisant son livre et en pensant à elle avec gratitude.
Mahdia, chronique d'un ville heureuse de Alya Hamza, Simpact avril, 2021
Frédéric Mitterrand
Lire aussi
Un nouveau livre de Alya Hamza: Mahdia, chronique d’une ville heureuse
- Ecrire un commentaire
- Commenter