Tunisie: Le triptyque de l’indépendance nationale
Par Habib Touhami - En principe, aucun gouvernement n’adopterait une politique allant à l’encontre de l’indépendance nationale. Aucun parti politique, aucune organisation ne souscrirait au dépeçage de l’indépendance nationale. Aucun citoyen, connu ou anonyme, ne se déclarerait hostile à l’indépendance nationale. Tous clament lui être attachés. La réalité est moins glorieuse. Quand un gouvernement gère mal l’économie et la monnaie d’un pays au point de le rendre surendetté et quémandeur, il commet, quoiqu’il s’en défende, de graves manquements à l’égard de l’indépendance nationale. Quand une partie de la société civile accepte de se financer par des subsides extérieurs manifestement suspects ou belliqueux, elle participe, quoiqu’elle le nie, de la mise en cause de l’indépendance nationale. Quand des citoyens intéressés ou ignares s’alignent ostentatoirement sur les positions de pays étrangers, ils affaiblissent, quoiqu’ils pensent, l’indépendance nationale.
Dans le climat politique et médiatique qui prévaut actuellement en Tunisie, l’évocation de l’indépendance nationale ne sert que comme cache-misère à la pauvreté intellectuelle du débat. Celui-ci n’est pas mis en avant pour clarifier le concept mais pour le rendre encore plus inintelligible ou banal. Peu d’intervenants soulignent que l’indépendance nationale ne peut pas être limitée à l’indépendance politique et diplomatique et très peu utilisent les termes appropriés quand il s’agit d’indépendance énergétique et alimentaire. Au fond, de quoi parle-t-on exactement ? Est-ce de souveraineté politique et diplomatique ou d’indépendance économique et monétaire ou encore d’indépendance énergétique et alimentaire?
La Tunisie est indépendante politiquement et diplomatiquement depuis le 20 mars 1956. Elle a son territoire, ses lois, sa monnaie, son drapeau, son hymne national (celui des destouriens, emprunté pour partie de chants patriotiques égyptiens), sa police, son armée et son administration. C’est précisément cette indépendance, niée par quelques-uns, qui lui a permis de développer le pays, de concourir à l’indépendance de l’Algérie et de jouer un rôle politique et diplomatique majeur en Afrique et ailleurs. Certes, la Tunisie reste démunie si elle doit être exposée à quelques périls extérieurs, mais elle peut compter sur l’aide et l’assistance de pays amis et au plan intérieur sur un consensus national opposé à toute intervention étrangère, une armée nationale républicaine et patriote et depuis peu sur un régime démocratique, déficient mais démocratique.
L’indépendance économique et monétaire n’est évidemment pas déconnectée de l’indépendance politique et diplomatique. Un pays qui s’endette non pas pour accroître sa capacité de production ou pour améliorer la compétitivité de son économie est un pays qui se condamne de lui-même à se dessaisir d’une partie des attributs essentiels de son indépendance politique et diplomatique. De surcroît, la mondialisation met directement en cause les indépendances nationales dans la mesure où elle met directement en concurrence non seulement les Etats en tant que tels, mais aussi les processus de production, la fiscalité, les régimes sociaux, la redistribution, le niveau des revenus, etc. Sous cet angle, indépendance nationale et mondialisation apparaissent comme antinomiques, mais ce n’est là qu’une lecture défaitiste des nouveaux rapports de force à l’échelle du monde. Trop de gouvernements s’abritent derrière l’argumentaire pour ne pas agir, c’est-à-dire pour ne pas jouer sur les instruments de régulation économique et sociale dont ils disposent malgré tout.
L’indépendance énergétique et alimentaire doit s’entendre comme sécurité et non pas comme indépendance stricto sensu. Aucun pays ne peut prétendre à l’indépendance complète dans ce domaine, pas même les Etats-Unis d’Amérique. Le Sommet mondial de l’alimentation réuni à Rome en 1996 a ainsi proclamé que « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Quant à la sécurité énergétique, elle est conventionnellement définie comme «la garantie d’approvisionnement en énergie primaire permettant de satisfaire les besoins en énergie finale des populations et des industries. Dans ce cadre, assurer l’approvisionnement en énergie des pays est un enjeu stratégique majeur».
Le débat sur l’indépendance nationale doit donc être remis sur les bons rails et doit intéresser le triptyque dans son ensemble. Il ne s’agit plus de se quereller sur le bien-fondé de l’indépendance nationale puisque le principe est semble-t-il admis par tous, mais de débattre plus sérieusement sur le contenu exact du concept et les moyens de le transformer en une réalité tangible et pérenne. Si cette tâche est correctement remplie, on s’apercevra alors que l’industrialisation du pays (ou plutôt sa ré-industrialisation, compte tenu de l’état actuel de notre industrie) constitue le fondement même de notre indépendance nationale. Un pays sans industrie performante, entraînante pour l’agriculture et le tertiaire, est un pays condamné inéluctablement à la dépendance économique et monétaire et par là même à la dépendance politique et diplomatique.
Habib Touhami
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Vu la conjoncture,il aurait été plus instructif de suggérer les leviers susceptibles de pérenniser ce "triptyque "... Avec l'anomalie de la gouvernance "tri-cephale",le citoyen est soumis à une pression psycho-économique déroutante à laquelle se greffe "un combat mortel" contre ce Covid pernitieux et invisible... Ce dernier aura le mérite de rappeler que notre pays demeure globalement "meso- développé "... La délicate et longue période transitoire qu'il traverse requiert en premier lieu l'instauration d'une paix sociale qui a un prix : endettement ou re-négociation de son rééchelonnement en vue de recentrer le débat sur les tares intérieures ,sans que cela puisse altérer l'indépendance "politique et diplomatique "..Reveillez-vous,la Tunisie n'est pas une"superpuissance " capable d'influer sur la stratégie internationale dont elle fait partie, selon ses modestes moyens de bord!