En Israël, nul n’est contre la guerre
Par Gideon Levy - Il n'existe pas de sujet sur lequel tous les Israéliens (juifs) sont le plus d'accord que la déclaration d'une guerre. Une semaine environ s'est écoulée et personne ne s'oppose à cette horrible hécatombe, pas même les leaders de centre-gauche comme YairLapid*, MeravMichaeli** et Nitzan Horowitz***.
Ils s’en prennent tous à Benjamin Netanyahou - il ne faut pas être courageux pour le faire - ils expriment leur tristesse face à nos souffrances, mais pas un mot sur cette guerre criminelle délibérée et voulue dont le nombre de morts et l'avantage minuscule qu'elle confère à Israël restent à déterminer. Une fois de plus, c'est la preuve qu'il n'y a pas de camp de la paix en Israël, pas même une minuscule cabane.
Les commentateurs des studios de télévision sont des clones d’"Apocalypse Now", des hordes de généraux à la retraite et d'agents du Shin Bet[espionnage intérieur] claironnant un refrain uniforme et répugnant. La salive coule et les yeux clignotant levés vers les glorieux pilotes qui ont réussi à échapper et à détruire la défense aérienne sophistiquée de l'ennemi : deux cerfs-volants déchirés dans un bon jour. Le bombardement de la favela sans défense de Gaza est "la preuve que notre armée de l'air est la meilleure du monde", a déclaré un présentateur principal d'un journal télévisé, la voix tremblante d'émotion.
Et les résultats ne sont pas publiés. Les Israéliens n'ont pas la moindre idée de ce qui se passe à Gaza, pas la moindre notion de ce que l'armée fait en leur nom. C'est pourquoi ils en redemandent, pourquoi ils sont si sûrs de la justesse de leur cause.
Nous pouvons supposer que si davantage d'Israéliens voyaient les images de Gaza, au moins certains d'entre eux pleureraient et demanderaient l'arrêt de cette horreur. J'ai reçu des photos des corps mutilés de 40 enfants, la récolte de vendredi soir à Gaza. On ne peut pas rester silencieux après avoir vu ces photos. Laissons de côté l'humanité pour le moment car elle n'est pas pertinente en temps de guerre.
La question est de savoir à quoi tout cela sert-il ? Que ce serait-il passé si Israël n'avait pas provoqué les Palestiniens à Jérusalem ? Et que ce serait-il passé si, même après ces provocations, il avait ravalé sa fierté et retiré ses policiers agressifs du complexe d'Al-Aqsa, ou s'il n'avait pas bombardé des tours d'habitation à Gaza, pour éviter une guerre ? Que ce serait-il passé si Israël avait fait preuve de retenue ? Est-il plus puissant maintenant ? Le Hamas est-il plus faible, ou a-t-il été affaibli militairement mais renforcé politiquement comme jamais, atteignant un niveau record de popularité?
C'est le Hamas qui est le héros du moment, pas Israël. Et concernant la dissuasion, la mère de toutes les prétextes pour chaque guerre à Gaza, regardez comment cela a fonctionné la dernière fois qu'ils nous ont parlé de dissuasion, pendant la guerre de 2014. Le Hamas, soi-disant dissuadé, a doublé sa puissance militaireainsi que ses audaces.
Le Hamas est également responsable de crimes de guerre, évidemment, mais principalement, notez-le bien, contre son propre peuple. Construire une machine de guerre agressive sans aucune protection de la population contre l'armée israélienne est un crime contre l'humanité.
Mais nous sommes des Israéliens, nous devons donc discuter de nos propres crimes de guerre. Ceux-ci s'accumulent dans l'opération actuelle qui, pendant un moment, a semblé être menée avec plus de prudence que ses précédentes. Maintenant, le sang de dizaines d'enfants de Gaza coule dans les rues, résultat des crimes de nos pilotes et de nos soldats.
Si les pilotes pouvaient voir les photos des enfants qu'ils ont tués, si les commandants des bases aériennes qui sont apparus vendredi soir dans tous les studios de télévision, avec leur éloquence mélodieuse et révoltante, voyaient ces images, que diraient-ils ? Qu'il n'y avait pas le choix ? Maintenant, nous pouvons attendre le Vendredi Noir qui se produit toujours à la fin d'une guerre à Gaza. Il améliorera l'équilibre du sang qui a déjà pris des proportions monstrueuses.
Parmi toutes les photos terribles, une vidéo prise jeudi soir au nord de Gaza est restée gravée dans ma mémoire. La caméra était immobile, enregistrant des masses de personnes fuyant vers le sud, craignant une frappe aérienne. C'était tard dans la nuit, et les gens portaient des sacs en plastique et des bébés, un océan de personnes fuyant pour sauver leur vie, ni pour la première ni pour la dernière fois d’ailleurs, la plupart d'entre elles n'ayant aucun endroit où retourner. L'un d'eux a soudainement sauté sur la route pour sauver un chaton - un rare moment d'humanité.
Nous devrions regarder ces images en face. Qu'est-ce qui nous donne le droit de faire tout cela ? D'où cela vient-il ?
Gideon Levy
Haaretz, 16 mai 2021
Traduit par Mohamed Larbi Bouguerra
* YairLapid, journaliste et romancier, ancien ministre des Finances (du 18 mars 2013 au 2 décembre 2014) dans le gouvernement de Netanyahou. A fondé en janvier 2012, le parti centriste Yesh Atid (« Il y a un futur ») et opposant à Netanyahou. Il est en faveur de la solution à deux Etats et contre la création de nouvelles colonies. Il a été chargé de former un nouveau gouvernement le 5 mai 2021. (Note du traducteur)
** Députée travailliste à la Knesset, journaliste d’origine roumaine en faveur de l’extension des colonies existantes. (Note du traducteur)
*** Député gay du parti Meretz selon Wikipedia. (Note du traducteur)
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