Le «À vau- l’eau» des sociétés à la fin des siècles
Fin du XIXème siècle en Europe et en Amérique
Par Chadli Laroussi - «Huysmans avait d’abord envisagé d’intituler sa nouvelle «M. Folantin(1)». Zola l’en a dissuadé. Le changement se fait à la dernière minute, au moment où le volume est sous presse. […] Zola avait vu juste. Le célibataire triste, le petit fonctionnaire qui végète, sans attaches, sans famille, est un personnage caractéristique de la fin du XIXème siècle. À vau-l’eau est peut-être le texte qui en fait le portrait le plus saisissant... Le naturalisme se conforme ici au paradoxe de la modernité qui, tout en donnant à l’individu droit à l’existence, le standardise dans les modes de vie et l’économie le fait disparaître dans la foule.
M. Folentin est l’homme moderne, c’est-à-dire personne, M. Tout-le-monde. Sa vie, son emploi du temps et ses amours sont ceux de n’importe qui. Le décor de son existence est un Paris qui perd son charme, et que les travaux d’Haussmann ont «américanisé »...
Contrairement aux ambitieux ou aux héros pathétiques des romans romantiques, ceux de Balzac ou de Hugo, il a renoncé à être quelqu’un, il s’est résigné à la médiocrité, il ne cherche qu’un peu de confort. La quête de la réussite ou de la lutte morale a laissé place à des soucis minuscules..» Pierre Jourde (La Pléiade, France culture)
Fin du XXème siècle en Tunisie
«J’avais d’abord envisagé d’intituler mon autobiographie «Sidi», du nom de mon père Mohamed Laroussi(2), ami proche de Farhat Hached et Habib Thameur. Le changement se fit à la dernière minute, alors que le volume est sous presse, et que je viens d’apprendre que «le comité Nobel norvégien a décidé de décerner le prix Nobel de la paix 2015 au Quartet du dialogue national en Tunisie.». Ce fut le 15 octobre 2015. Ce jour-là, j’ai décidé d’insuffler au titre de mon livre la volonté de vivre autant que d’exister prônée par le poète nationaliste Abou El Kacem Chabbi et je lui choisis pour titre: «Un prénom pour exister : hommage au peuple, lauréat du Prix Nobel de la paix 2015»(3).
Exception tunisienne, s’il en est, le peuple tunisien est aujourd’hui le seul peuple au monde à détenir le prix Nobel de la paix, décerné au Quartet qui représente la quintessence de sa société civile.
Sidi, bien sûr, est demeuré la personnalité principale de mon ouvrage. Il est le symbole de la Résistance à l’occupation colonialiste dans les territoires militaires du Sud Tunisien alors que les combats de la Deuxième Guerre mondiale faisaient rage à Médenine, nœud gordien d’affrontements entre les troupes Alliés et les troupes de l’Axe, à mi-chemin entre Ben Guerdane et la fameuse ligne de Mareth...
«La libération de Médenine le 6 Mars 1943 de l’emprise nazie fut le prélude de la libération de Paris le 25 août 1944, puis celle de Bruxelles le 3 septembre de la même année. Ainsi, le vent de la liberté qui a soufflé sur Médenine dans ce petit pays du Nord de l’Afrique, gagna l’Europe en moins d’une année et demie d’intervalle.»(4)
Et quand le vent de la victoire souffla sur toute la Tunisie à l’arrivée de Bourguiba au port de La Goulette le 1er juin 1955, accueilli par un peuple en liesse, la joie de Sidi se mêla à ses larmes en évoquant le souvenir de son ami de toujours Farhat Hached, assassiné par les forces d’occupation le 5 décembre 1952.
De retour à Médenine, Sidi plie bagage pour Gabès refusant de rester avec ses amis au gouvernement à Tunis. Il est catégorique: «Je n’accepte aucune récompense pour service rendu à ma patrie ». Il devient Monsieur tout le monde et consacre le reste de sa courte vie à exaucer le vœu de ses amis de Gabès qui « tenaient à faire profiter leurs enfants de son savoir. Selon la tradition élevée au rang d'une obligation religieuse, l'eau et le savoir ne se refusent jamais. Dans la conscience collective de la population, ces deux biens sont un don de Dieu et s'abstenir de les prodiguer à ceux qui en font la demande équivaut à un péché mortel. Imbu de ces valeurs, Sidi était encore doublement motivé par des considérations patriotiques évidentes.»(5)
Humble mais digne, Sidi quitta ce monde le 26 janvier 1961 à Gabès où il fut inhumé au cimetière de Sidi Boulbaba El Ansari.»
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Le «À vau l’eau» de l’eau en Tunisie
L’eau, source de la vie
Citée soixante-trois fois dans le Coran, l’eau est dans le livre sacré, synonyme de vie : «Avec l'eau, nous avons fait toute chose vivante», dit la Sourate XXI, Verset 30.
Synthétisant la place de l’eau dans le Coran, l’intelligence artificielle des algorithmes de Google conclut en ce 1er juin 2021, et bien avant déjà que: «l'eau du Coran est avant tout l'eau du ciel, l'eau de pluie qui permet la vie, désaltère hommes et bêtes et purifie. Elle est réservée aux Élus mais peut se transformer en arme de destruction massive. Fuyante comme le mirage, elle dupe l'égaré qui s'attache aux apparences.»
Où en est-on avec cette manne de Dieu en Tunisie?
Les ressources en eau du pays sont estimées en moyenne à 4,8 Milliards de mètres cubes par an. Les infrastructures actuelles ne permettent de retenir que 94% de ces ressources (appelées ressources mobilisées). Le secteur agricole utilise à lui seul 76% de ces ressources.
Selon les normes internationales, la moyenne des besoins annuels de confort hydrique pour la boisson, l’hygiène et la production de nourriture est estimée à 1000 mètres cubes par habitant et par an. Or, la Tunisie ne dispose que de 420 mètres cubes par habitant et par an, ce qui est en dessous du seuil de pénurie d’eau fixée à 500 mètres cubes par habitant et par an.
• Seuil de pauvreté en eau <1000 m3 par habitant et par an.
• Seuil de pénurie en eau < 500 m3 par habitant et par an.
Tous les scénarios de changement climatique prévoient pour la région méditerranéenne une augmentation de la fréquence et de la durée des phénomènes extrêmes (inondations et sécheresses). Ainsi, déjà en années sèches, les besoins en eau potable ne sont assurés, dans notre pays, qu’à force de moyens financiers de plus en plus importants consentis par l’Etat. Ceci est rendu obligatoire pour assurer le fonctionnement de l’infrastructure de base nécessaire à l’interconnexion des barrages, le pompage et le transfert de leurs eaux vers le centre et le sud. Ce qui se traduit par une facture énergétique qui n’a cessé de s’enfler au fil des années, menaçant les équilibres financiers, déjà fragiles, des entreprises publiques opérant dans le secteur de l’eau.
S’ajoute à la rareté de cette ressource, l’usure du réseau de distribution d’eau de la SONEDE, long de 55000 km, nécessitant un budget de maintenance (pour juguler les pannes et les pertes) de plus en plus conséquent, ce qui fait que l’efficience de la production et de la distribution d’eau potable ne dépasse pas aujourd’hui les 69%.
Ainsi, la consommation moyenne d’eau potable est de 120 litres par habitant et par jour. Or, selon les normes internationales, une bonne qualité de vie exige entre 150 et 200 litres par habitant et par jour.
Que faire?
Le système actuel avec toutes ses composantes et dans un contexte de réchauffement climatique ne peut supporter de telles contraintes. Il y a urgence de changer de paradigme pour assurer la sécurité hydrique du pays.
Dans l’immédiat, l’urgence est d’améliorer l’efficience du réseau de production et de distribution de l’eau et d’assurer sa bonne gouvernance (législation, économie d’eau, productivité d’eau, communication, sensibilisation, ...)
Il est impératif d’assurer l’équilibre financier et de renforcer les capacités d’action des entreprises nationales qui ont la charge du secteur de l’eau : la SONEDE, le SECDENORD et l’ONAS afin d’écarter les risques de leur effondrement.
La Tunisie dispose d’une source d’énergie inépuisable qui est le soleil et d’une source d’eau inépuisable aussi qui est la mer Méditerranée (Mare Nostrum). N’est-il pas temps pour que chaque bâtiment nouveau ne soit raccordé aux réseaux de la SONEDE ou de la STEG que s’il construit une citerne pour recueillir ses eaux pluviales et installe des panneaux photovoltaïques pour lui permettre de bénéficier d’un appoint d’énergie solaire ?
Sans tarder, il est impératif de compiler les techniques de couplage de l’énergie solaire aux techniques de production d’eau douce en faisant appel aux nouvelles technologies (Big data, intelligence artificielle, nouvelle génération des capteurs, gestion des systèmes hydrauliques à distance, satellite...).
Conclusion
La sécurité hydrique est à la base de la sécurité alimentaire et de la sécurité sanitaire et, bien au-delà, de la sécurité nationale.
Nous avons foi dans la capacité de la Tunisie à gérer ses ressources en eau traditionnelle et à développer les techniques de production d’eau nouvelle en se basant sur les énergies renouvelables et sur la réutilisation des eaux usées traitées pour garantir sa sécurité hydrique, base de sa sécurité alimentaire, de sa sécurité sanitaire et, bien au-delà, sa sécurité nationale.
Et bien qu’elle dispose de moins de la moitié des ressources en eau requises pour assurer un développement socio-économique durable, la Tunisie a su préserver tant bien que mal sa sécurité hydrique. Elle a pu le faire grâce à une planification rigoureuse qui a su juguler l’explosion démographique et anticiper l’explosion des tissus urbain, industriel et touristique.
Les acquis scientifiques et techniques accumulées par nos élites, depuis des décennies, habilitent notre pays aujourd’hui à être pionnier dans la région Mena pour exporter son savoir-faire en matière d’ingénierie de l’eau et de gestion de cette ressource vitale.
Tellement vitale, il est vrai, qu’elle risque de générer, si on n’y prend garde, de graves conflits dans plusieurs régions du monde.
Faisons que demain, L’EAU soit synonyme de PAIX dans le monde.
Les ressources en eau douce par pays (en m3 par personne et par an, en 2007)
Chadli Laroussi
(1) Personnage caractéristique de la fin du XIXème siècle en Europe, M. Folentin est un célibataire triste, un petit fonctionnaire qui végète, sans attaches, sans famille. Il est l’homme moderne, c’est à-dire personne, Monsieur Tout-le-monde atteint par le décadentisme, courant artistique qui concerna surtout la littérature de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle. Ce courant s'inspirait notamment du symbolisme français et avait pour caractéristique un penchant pour l'irrationnel, la mort, le mystère. Le décadentisme ne laissait aucune place à la science.
(2) Mohamed Laroussi, carnet d’un syndicaliste du Sud tunisien (1908-1961) : Journal d’un militant suivi de deux pièces de théâtre, Editions Nadher, 2021
(3) https://www.decitre.fr/livres/un-prenom-pour-exister-9782343086316.html
(5) Un prénom pour exister : hommage au peuple, lauréat du Prix Nobel de la paix (page215) https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=50201
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