Fête de la Constitution, fête de la citoyenneté: Leçons de civisme à l’américaine
Par Mohsen Redissi - Ils sont fous ces américains ! Ils ont des mœurs bizarres. Ils ont commencé à fêter la citrouille bien avant la création de la leur république. Ils sillonnent les rues de leurs villes en morts-vivants à la quête de confiserie. Mais le plus insolite de leurs célébrations abracadabrantesques c’est le Tax-day, Fête de l’impôt. C’est hallucinant, dans un pays qui est le nôtre où la fraude et l’évasion fiscales sont monnaies courantes. Outre-Atlantique, l’Etat fédéral dépense l’argent des contribuables pour informer les citoyens modèles, les tax-payers comme ils disent, sur le devenir de leurs deniers versés dans les caisses du Trésor public.
Les américains surnomment leur Constitution de 1787 The Living Document, le document vivant. Il a subi depuis sa ratification des attaques de front. Certains ont semé le doute sur sa capacité de fédérer. Il a été amendé vingt-sept fois dont dix d’un coup. L’objectif des attaques et des amendements ne visent pas forcément son affaiblissement. Au contraire, chacune de ces manipulations le renforce et rend le document plus solide et plus proche des attentes des américains.
Les dix premiers amendements de la constitution, plus connus sous La Déclaration des droits ou Bill of Rights, ratifiés le 15 décembre 1791, soulignent l’importance du citoyen dans ce nouvel édifice. Sans cette déclaration des droits, les treize colonies dissidentes seraient restées des Etats désunis. Des Etats puissants ont marchandé la ratification de la constitution par l’ajout de la déclaration des droits.
Fête de la Constitution: des initiatives citoyennes
La reconnaissance de l’importance que revêt la constitution dans la vie politique et dans la vie de tous les jours des Américains s’est faite sur des années. Personne ne met en doute la contribution du citoyen américain dans la construction des valeurs républicaines. Beaucoup de lois sont des initiatives personnelles que les élus locaux soutiennent, adoptent et exposent devant le Congrès pour y débattre et les transformer en lois. Le citoyen américain n’a jamais hésité à défendre ses droits devant le Congrès et devant la Cour suprême. Plusieurs des décisions de ces instances rendent justice aux plaignants.
La reconnaissance de la journée de la constitution est passée par plusieurs étapes ; elle a subi au cours de son histoire une belle métamorphose. L’idée première a germé en 1939 dans la tête du magnat de la presse William Randolph Hearst. Il a voulu rendre hommage aux nouveaux venus, ceux qui choisissent de s’établir, par défi ou par dépit, en Amérique et qui font allégeance de défendre ses valeurs et de respecter ses lois. En 1940, le Congrès a choisi le troisième dimanche de mai comme I Am An American Day, pour honorer le peuple américain et en particulier ceux qui sont fraichement devenus citoyens américains. C’est le pays qui a été la terre bénie des immigrants fuyant la misère ou la persécution. Cinq ans après, cette proclamation est devenue une fête nationale.
Après avoir convaincu les élus locaux, Olga T. Weber, une Américaine ordinaire, défend âprement ses idéaux devant les deux chambres du Congrès. Elle obtient gain de cause. Désormais, "Je suis un jour américain" est remplacé par la "Journée de la citoyenneté." En 1953, la date de l’événement a été décalée au 17 septembre pour honorer et coïncider avec une date mémorable, jour anniversaire de la signature de la Constitution quand trente-neuf délégués à la Convention constitutionnelle ont signé la Constitution des États-Unis à Philadelphie en 1787. Le Congrès a adopté « La Semaine de la Constitution » en 1956 pour encourager les américains à en savoir plus sur leur Constitution.
Après avoir suivi un cours d'histoire constitutionnelle, Louise Leigh crée en 1997 la Constitution Day Inc., une association qui encourage la population à reconnaitre l'importance de cette fête nationale et à lui rendre l’honneur qui lui est dû. Ses efforts finissent par payer. Le jour de la Constitution est devenu un jour férié aux côtés de la Journée de la citoyenneté.
En 2004 le sénateur Robert Byrd, Virginie-Occidentale, a introduit un amendement à la loi de 1956 établissant La Semaine de la Constitution. Les agences fédérales sont désormais tenues de proposer des programmes éducatifs pour promouvoir une meilleure compréhension de la Constitution et une formation aux nouvelles recrues comme au personnel en poste. Seuls les établissements d'enseignement recevant des fonds fédéraux doivent obligatoirement animer des ateliers autour de la constitution et de la citoyenneté.
La fête de la Constitution et ses significations
Sénateur Byrd a rendu un vibrant hommage lors de son discours en 2005 aux générations qui ont su garder l’esprit de la Constitution: "tout comme la naissance de notre nation dépendait de la qualité, des connaissances et de l'expérience des hommes qui lui ont donné vie, sa vitalité dépend des efforts de notre génération, et des générations futures à maintenir vivace la vision de ses rédacteurs". Et de souligner l'importance d'éduquer les Américains sur leur document fondateur "cela dépend de l'engagement personnel de chacun d'entre nous à apprendre, à comprendre et à préserver les principes directeurs qui sont énoncés si clairement et puissamment dans le texte de notre remarquable Constitution."
Depuis, c’est devenu une tradition pour les petites classes de réciter à l'unisson les quatre lignes du préambule de la Constitution (une soixantaine de mots, contre 2 pages pour celle tunisienne) pour s’imprégner de l’esprit de l’époque et le transmettre aux générations futures. Des objets de toute sorte sont distribués aux enfants pour les encourager : drapeaux, rubans, macarons, pins, T-shirts... Des prix sont attribués aux gagnants du concours de rédaction sur des thèmes liés à la constitution pour les classes avancées. Le but principal des ces activités est de faire participer le plus grand nombre d’élèves et de les divertir autour d’un sujet toujours brulant comme la constitution et son interprétation.
Les agences gouvernementales sont tenues de célébrer comme il se doit ce double événement : la Journée de la Constitution et la Journée de la citoyenneté par:
• Distribution d’exemplaires de poche de la Constitution aux nouveaux américains,
• Invitation d’un historien local à présenter une conférence sur la Constitution,
• Utilisation de moyens modernes de communication : sites Web, FB, Tweeter, groupes de discussion, affiches, dépliants…
• Assister à des cérémonies de naturalisation comme leçons d'éducation civique.
Les Etats-Unis ne sont pas une exception
D’autres pays, certains sans grande histoire démocratique, célèbrent à leur manière leur constitution. Un étalage de force pour les uns ou une manifestation de joie pour les autres. C’est l’occasion rêvée de tourner la page d’une histoire mouvementée comme la Slovaquie qui célèbre sa Constitution de 1992 après la disparition de la Tchécoslovaquie, ou comme le Danemark qui fête l’instauration d’une monarchie constitutionnelle en 1849, ou la commémoration de la signature d’une constitution restée noir sur blanc comme celle de la Pologne, une constitution fêtée mais jamais activée.
La célébration de cette fête nationale dans ces pays démarre généralement en fanfare par un défilé militaire, suivi par un défilé populaire où y prennent part les artisans, les corps de métiers, les agriculteurs...accueillis en grande pompe en fin de parcours par les officiels du pays. C’est aussi l'occasion pour les hommes et les femmes d'exhiber leurs costumes traditionnels. Dans certains pays, les couleurs et les styles des costumes indiquent pour l’œil averti l'ascendance et le clan.
L'atmosphère joyeuse de la journée arrange les affaires des commerces avoisinants habituellement fermés les week-ends et les jours fériés. La foule nombreuse venue acclamer les participants au défilé grossit les rangs et explose les tiroirs-caisses des restaurateurs et les magasins de souvenirs.
Tunisie: copier-coller? A nous de juger!
Les américains ont commencé à fêter leur Constitution dans le tard au beau milieu du vingtième siècle bien des années après la ratification de leur Constitution en 1787. Ce document a survécu malgré le manque d’expérience. Il reste la première constitution écrite de nos jours.
Pourquoi, nous tunisiens, nous refusons de reconnaître l’importance de la Constitution d’une façon générale indépendamment des batailles politico-juridiques actuelles qui tournent autour d’elle en l'inscrivant de façon permanente sur le calendrier de nos fêtes et Aïds ? Une journée chômée payée en remplacement d’une journée de moindre importance ou en combiné, deux en un pour emprunter un slogan publicitaire bien connu ?
Il tient à la classe dirigeante de prendre une initiative dans ce sens. Cet instrument, la Constitution, contient et défend vigoureusement : la liberté d'expression, le droit de réunion pacifique, le droit de pétition, le droit faire grève, la liberté du culte, le droit à un procès équitable devant un jury…Elle garantie aussi que tous les hommes sont libres et égaux. Il tient à nos élus de montrer l’exemple dans l’hémicycle pour pouvoir ancrer dans l'esprit du peuple tunisien la conviction qu’à travers cet instrument que le peuple peut sauvegarder ses différences et garantir à ses citoyens leurs convictions religieuses ou politiques sans distinction aucune.
Chaque matin sous le drapeau, nos écoliers et collégiens se tiennent droit et chantent en chœur l’hymne national. Une lecture simplifiée d’un article ou d’un passage de la Constitution peut plus tard renforcer leur attachement à ses principes sacrés.
Pour le peuple américain, le jour de la Constitution comme d’autres jours fériés tels que le 4 juillet, le Jour des Présidents, la Journée Martin Luther King… est une partie importante du patrimoine culturel des Etats-Unis. Cette fête reconnaît la valeur de l'expérience américaine: une nation dont les droits et les libertés de ses citoyens sont protégés par une Constitution. La célébration de toutes les autres fêtes dure l’espace d’une journée. La fête de la Constitution s’étale sur une semaine entière pour insister sur la valeur intrinsèque de cet instrument indispensable qui gère et observe de loin à égale distance la vie quotidienne de tous les américains et sur ses articles et ses amendements que se mesure la constitutionnalité des lois.
Il faut savoir que le messager venu Outre Atlantique semble être bien clair: «Faites ce que je fête ! Ou fêtez ce que je fais.»
Mohsen Redissi
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