Crise des sous-marins: Quelques leçons pour les Arabes
Par Mohamed Larbi Bouguerra
««La politique», le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré.» (Paul Valéry)
Grosse colère diplomatique de la France qui voit lui échapper un très juteux contrat de 56 milliards d’euros pour la fourniture de 12 sous-marins Barracuda à propulsion conventionnelle à l’Australie. Ce pays, après force négociations avec Paris et, au final, signature solennelle du contrat en 2019 à Canberra, préfère, tout compte fait, les sous-marins américains à propulsion nucléaire Virginia construits dans le cadre du pacte de sécurité Aukus (en anglais): Australia, United Kingdom et United States. L’Aukus est essentiellement dirigé contre la Chine et pour se mesurer avec l’Empire du Milieu dans la région Indo-Pacifique.
La France est si en colère qu’elle a rappelé ses ambassadeurs à Washington et à Canberra… mais pas à Londres… pour signifier à Boris Johnson qu’il n’est que le caniche des Américains. Et dire que tout ce beau monde est pour la défense du «monde libre» dans le cadre de l’OTAN ! Gérard Araud, l’ancien ambassadeur de France à Washington, estime que «le coup porté à nos intérêts stratégiques et industriels» crée le besoin pour Paris «de réévaluer notre politique étrangère dans la zone indo-pacifique, vis-à-vis de la Chine. Jusqu’où cela ira-t-il ?» Son Excellence donne sa langue au chat ! Mais M. Macron et son gouvernement le savent-ils ?
Quelle leçon pour le monde arabe?
On notera que ce qui relie les membres de l’Aukus, c’est d’abord la langue anglaise. Ce ciment linguistique est l’alpha et l’oméga de cette nouvelle coalition qui jette par-dessus bord l’Europe qui compte tant pourtant sur le parapluie yankee. S’agissant de leur langue, les Anglo-Saxons semblent reprendre à leur compte les mots de Louis-Ferdinand Céline: «Il n’y a qu’une seule langue, Colonel, en ce monde para cafouilleux ! Une seule langue valable ! Respectable ! La langue impériale de ce monde : la nôtre !....»
Quant au monde arabe, malgré la sublime langue d’Abou El Alaâ El Maâri, de Mahmoud Darwich et d’Aboul Kacem Chabbi, il n’est jamais parvenu à présenter un front commun sur les nombreux défis qui l’assaillent. La Ligue des Etats Arabes, dès sa création en 1945, a toujours été divisée en deux camps politiques opposés et n’a pratiquement jamais pu surmonter ce schisme paralysant. L’initiative du roi Abdallah de 2002 pour la paix au Moyen-Orient est restée lettre morte. En échange d'une normalisation des relations entre Israël et chacun des pays de la Ligue arabe, le retrait de l'État hébreu de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan n’a jamais pu être concrétisé. En 2007, au sommet de Riyad, cette proposition est relancée par une résolution nommée «réactivation de l'initiative de paix arabe». Israël a jusqu'ici dédaigné de considérer cette initiative. Pire, aujourd’hui, sous la houlette d’un prétendu «Pacte d’Abraham», les Emirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan, le Maroc ont reconnu Israël sans la moindre contrepartie pour les Palestiniens vivant sous la botte de l’occupant sioniste. Pour ne rien dire de la Jordanie et de l’Egypte. En 2018, un journaliste du Monde qualifiait la Ligue Arabe d’«organisation quasi moribonde». Derrière la plupart de ces échecs, il y a souvent la main de l’étranger et spécialement celle de l’Oncle Sam après celle de Londres. «Le pacte d’Abraham» n’est rien d’autre qu’un miroir aux alouettes inventé par Donald Trump et mis en musique par Jared Kouchner et Benjamin Netanyahou. Du reste, l’Arabie Saoudite n’est-elle pas sous protection américaine depuis l’accord conclu en 1945 entre le fondateur de la dynastie des Saoud et le Président Roosevelt à bord du croiseur Quincy ? Au regard du retrait peu glorieux des Américains d’Afghanistan, après 20 ans d’occupation et de guerre, ceux qui cherchent la protection des E.U devraient s’inquiéter.
Hélas ! Il n’y pas que la Ligue Arabe. L’Union du Maghreb Arabe, en dépit de la langue et des combats communs contre le colonialisme, n’est pas en meilleur état. Il n’y a pas eu rappel d’ambassadeur, non, mais il y a eu pire: rupture des relations diplomatiques. Pauvre langue arabe !
Deux poids, deux mesures
La résiliation du contrat franco-australien apporte un autre enseignement. Les sous-marins qui seront produits dans le cadre de l’Aukus seront à propulsion nucléaire. Ils contribueront donc à la prolifération nucléaire dans le monde. Or, les Etats Unis et la Grande Bretagne sont toujours mobilisés pour éviter cette prolifération. C’est pourquoi ils veulent empêcher à tout prix l’Iran d’accéder à l’arme atomique pour limiter soi-disant cette prolifération… mais surtout pour protéger Israël, ce porte-avion occidental fiché au cœur du Moyen-Orient et qui dispose, lui, de la bombe A. Pour le Monde (18 septembre 2021), «Si les sous-marins australiens naviguent à l’uranium hautement enrichi (UHE à 90%), il deviendra difficile d’empêcher l’Iran de se doter de cette matière.» Comme il sera difficile aussi de refuser au Japon et à la Corée du Sud, notamment, ce type d’équipement. A noter que la Chine et la France utilisent de l’uranium faiblement enrichi pour leurs submersibles.
En se dotant de ces sous-marins américains, l’Australie ne sera plus vue par Moscou et Beijing comme une puissance non-nucléaire «mais comme un allié des Etats Unis qui pourrait être équipé d’armes nucléaires à tout moment.»
Pas de Prolifération dit-on à l’unisson ! On se souvient de la rencontre comique de Donald Trump et Kim Jong-Un à Singapour en 2018 pour amener le Coréen à renoncer à l’atome.
Talleyrand, un orfèvre en la matière affirmait: ««La politique» : la conjuration universelle du mensonge contre la vérité.» La résiliation du contrat franco-australien la semaine dernière l’illustre à l’envi.
Mohamed Larbi Bouguerra
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