JCC, les lumières de la ville
Qui a dit que le Tunisien n’aimait pas le cinéma ? A voir les foules qui se pressaient dans les salles mythiques du centre ville de Tunis durant cette dernière session des JCC, dans ce carré culturel, grand comme un mouchoir de poche, on se croirait revenus à la belle époque d’effervescence culturelle des années 1970 et 1980.
La même ambiance de bohême, de brassage multiculturel et de rencontres inter-générationnelles animait les abords des cinémas qui avaient revêtu leurs plus belles couleurs pour la fête du 7ème Art. Mais les appels intermittents des portables étaient là pour nous rappeler qu’on était bien dans les années du streaming et du piratage sans scrupules.
En ce samedi soir 30 octobre, c’est pratiquement la soirée de la dernière chance pour des milliers de nostalgiques du cinéma d’auteur qui vont aux JCC comme on va en pèlerinage. Les traits ont vieilli, les corps se sont alourdis mais la passion est toujours intacte. Sur les traces de leurs parents, beaucoup de jeunes ont aussi répondu présent à l’appel de ce moment de communion que sont les journées cinématographiques de Carthage. Pourtant, dans l’insouciance de leurs 20 ans, ils n’ont pas un regard pour leurs aînés avec qui, ils vont partager, le temps d’un film, l’un des rares moments de complicité. Mais les vieux, comme ils les appellent, devraient peut-être leur dire, qu’eux aussi, à leur âge s’étaient frottés aux mêmes sièges usés de ces mêmes salles de cinéma, immuables temples qui gardent les secrets et les souvenirs d’une jeunesse pleine d’espoir qui a partagé ses rêves et ses ambitions sur ces mêmes lieux.
Ainsi, du Rio au 4ème Art, en passant par le Colisée et l’ABC, les mêmes attroupements d’amoureux du cinéma qui découvrent les films à l’affiche et se concertent. Ce soir-là, beaucoup sont venus pour l’un des films événements de la session, projeté en séance spéciale, La Vénus noire d’Abdellatif Kechiche. Mais la salle affichait complet. Qu’à cela ne tienne. On est venu pour la fête ! Quelques mètres plus loin, on peut découvrir des films venus d’Egypte, du Liban, de Bulgarie, c’est l’insoutenable légèreté des JCC.
Au Colisée, c’est l’un des derniers Woody Allen You will meet a tall dark stranger qui est à l’affiche. Et bien que le film soit disponible en streaming, on faisait la queue au guichet. Une marque de soda distribue à tout va sa dernière canette alors qu’à la librairie voisine, se pressaient les lecteurs d’un soir qui découvrent des milliers de titres tunisiens et étrangers. Qui avait dit que culture et affaires ne faisaient pas bon ménage ? A l’intérieur, l’orchestre était noir d’un monde éclectique et bigarré, alors que le balcon était, lui, réservé aux VIP et on pouvait y croiser un jeune réalisateur de cinéma qui monte, une actrice de série ramadenesque et des journalistes venus de loin couvrir l’événement. Les lumières s’éteignent, les applaudissements fusent. Place à la magie de l’art !
A la sortie, l’Avenue s’est vidée de son monde qui rentre retrouver son quartier-dortoir laissant derrière lui les stigmates d’une soirée animée. Dans quelques jours, seule l’ancienne salle du Capitole, reconvertie en enseigne commerciale, attirera encore les foules des Tunisois qui ne jetteront plus qu’un regard curieux et pressé sur les salles sombres dont les lumières vont s’éteindre … jusqu’au prochain événement.
Anissa BEN HASSINE
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Bravo encore une fois à Anissa pour cet article comme tant d'autres ! Voila qui est bien décrit et bien dit ! J'ai connu les 1ères JCC... oui, je fais partie de l'ancienne génération. Il semble que la jeune génération pense avoir inventé le monde ; j'espère qu'on n'était pas comme eux.
Oui j'ai été agréablement surprise de voir tant de gens lors des JCC j'ai regardé les courts métrages et celui de Youssef CHEBBI intitulé "vers le nord" m'a beaucoup intrigué, comment les jeunes peuvent-ils continuer à se jeter dans les bras de la mort(si je peux m'exprimer ainsi) de cette façon, je suggère au ministère de tutelle d'encourager les jeunes cinéastes à faire plus de films sur ce sujet et surtout à demander à ce que ces films passent sur les chaines nationales aussi la chaine publique que les chaines privées, ça aidera peut-être nos jeunes à se raisonner et à renoncer à ces pratiques suicidaires.
Et oui! Comment expliquer ce phénomène, ce mystère ? Pourquoi nos salles vides tout au long de l'année, menacées de fermeture et de conversion en galeries commerciales les unes après les autres, sont archi-combles et prises d'assaut lors des JCC avec des queues qui ne finissent pas? Est-ce pour le prix du billet de 1,5 DT contre 4 DT le reste de l'année? Est-ce pour la qualité et la diversité des films proposés par les JCC? Est-ce pour la grande fréquentation, la convivialité, l'ambiance de la ville et les meilleures conditions dans les salles lors des JCC? Peut-être pour toutes ces raisons et d'autres encore sauf certainement une : Les tunisiens n'aiment pas le cinéma... En effet, le principal mérite des JCC à chaque session est de venir rappeler et prouver à tous les septiques que les tunisiens sont des férus du 7ème art et qu'ils n'attendent que des bons films et de véritables salles pour retourner en masse au cinéma... Espérons que la nouvelle cité de la culture et les éventuels projets de multiplexes à Tunis et à sa banlieue (je pense spécialement à Ennasr et aux Berges du Lac véritables déserts culturels) redonneront aux tunisiens et particulièrement aux plus jeunes d'entre eux le goût et la passion d'aller au cinéma tout au long de l'année comme au années 70 et 80, car le cinéma c'est la vie, c'est l'art, c'est l'art de vivre...