Hajer El Ouardani - Tunisie-FMI : genèse d’un désamour ?
Par Hajer El Ouradani, économiste. En dépit des déceptions réciproques, et de « chagrins » liés, le Fonds monétaire international (FMI) multiplie ses visites et discussions en Tunisie. Le gouvernement tunisien fayotte en vue de retrouver la bienveillance du Fonds, pour notamment obtenir un nouveau prêt de 4 milliards de $. Comme si l’histoire se répétait : les prêts du FMI riment avec austérité, vérité des prix, gel de salaire, etc.
Des mesures et des réformes peu populaires, suffisamment fortes pour éroder la confiance des Tunisiens et Tunisiennes envers le FMI. Selon le World value survey (sondage mené en 2021, N=1208), un Tunisien sur deux ne fait plus confiance au FMI, et seulement une personne sur 10 lui fait confiance. Les 30 % restant sont mêlés entre « plus au moins de confiance » et « plus au moins de défiance ».
Sur le fil du rasoir
La Tunisie, surendettée, en pleine crise économique structurelle et appauvrissante, éprouve un besoin vital d’aboutir à un accord avec FMI et bénéficier de ses financements. Elle n’arrive pas à boucler son budget d’État pour l’année 2022, lui manquant quasiment 50 % de ce qui est requis pour couvrir ses engagements (27 milliards de dinars à financer par la dette).
De facto, le gouvernement tunisien est en train de rééchelonner sa dette interne afin de pouvoir faire face à ses engagements urgents, particulièrement le règlement les salaires, de ses effectifs qui ont du mal à joindre les deux bouts. Des fonctionnaires sont en sureffectifs, quasiment le quart ont été recrutés de façon précipitée, sans concours et selon leur proximité des partis politiques ou des syndicats. Ils ont bien alimenté la dégradation de la productivité dans le secteur public.
Le FMI reproche aussi à la Tunisie son inaction face à des sociétés d’États, déficitaires et mal-gouvernées, ainsi que son indifférence face aux graves effets pervers générés par le système de compensation des prix des produits alimentaires de bases, et des produits énergétiques (pétrole et gaz).
Il n’a cessé d’appeler la Tunisie à se serrer la ceinture, quitte à faire des sacrifices. Les remèdes qu’il prescrit sont mal vus, étant mal communiqués et mal calibrés dans le contexte d’une crise économique qui ne cesse de s’aggraver depuis 2011, date du soulèvement d’un peuple qui galère déjà et qui réclamait l’emploi, la liberté et la dignité.
Avec une dette insoutenable, la Tunisie réclame un rééchelonnement, au risque d’être contrainte à un passage au Club du Paris et une renégociation minutieuse avec les créanciers qu’ils soient bilatéraux, institutions régionales et internationale, ou sur le marché financier international.
Actuellement, sur le plan financier le gouvernement tunisien se trouve dans une grande difficulté, le dos au mur, n’arrivant pas à renflouer ses caisses.
Une relation tumultueuse
Avant 2011, la Tunisie a toujours été considérée un bon élève du FMI, un pays moderniste, méritant appui. Le soutien du FMI a été continu, directement ou indirectement, depuis les années 1980, dans le choix et la conduite de ses politiques économiques et ses réformes qui n’ont pas, malheureusement, desservi les différentes régions du pays d’une manière équitable. Il est important d noter que le FMI et la Tunisie partagent une « longue histoire ». En effet, le FMI a toujours joué un rôle déterminant au cours des périodes où la situation macroéconomique en Tunisie est détériorée, que ce soit avec ses accords de financement ou son assistance technique, notamment lors l’instauration du programme d’Ajustement Structurel (PAS) en 1986 et après 2011.
Ces accords de financement sont associés à des engagements du pays à faire aboutir des réformes exigées par les bailleurs des fonds pour rétablir sa situation macroéconomique et financière et retrouver le chemin de la création de l’emploi et de la richesse afin de sortir du cercle vicieux de l’endettement et d’honorer ses engagements commodément. Des réformes qui ont amplifiées la valeur du service de la dette suite à la dévaluation du dinar qui a subi, en 1986 une première dévaluation de 25% et en 2016 une deuxième de presque 30%.
La Tunisie, depuis 2011 a du mal à mettre en place une stratégie macroéconomique de long terme et de faire converger les visions et les efforts de ses différents acteurs vers un objectif unique, multidimensionnel et dynamique de développement économique durable qui aurait dû être la cible de toutes les politiques socio-économiques de court et moyen terme entreprises ces onze dernières années, loin du populisme et des conflits politiques.
Des années durant, elle était, et le demeure encore, confrontée à de multiple défis (l’incompréhension de la démocratie et de la liberté, le populisme et l’incompétence, le Covid, l’environnement politique et économique mondial, etc.). Elle aurait pu certes relever tant de défis et les transformer en opportunités et un tremplin pour démarrer les réformes afin de relancer son économie et réduire ses déséquilibres.
Les experts nationaux et internationaux ne cessent de de tirer les sonnettes d’alarme, affirmant que la Tunisie ne pourrait pas aller loin, dans les conditions actuelles du pays. Sa marge de négociation avec ses créanciers est quasi-nulle, le risque d’un défaut de paiement persiste. Les Tunisiens ne doivent pas s’attendre à un miracle, encore plus dans ce contexte mondial chaotique, où le rêve de l’affirmation de cette démocratie commence à épuiser les Tunisiens et se dissiper.
Dévaluation de la confiance envers le FMI
Depuis 2013, Tunisie a promis de s’engager dans la mise en place des réformes exigées par le FMI. Ces promesses n’ont pas été respecté. Ce comportement jugé irresponsable et frileux de la part des décideurs politiques et des syndicats a ébranlé la signature de l’Etat et a fait perdre à la Tunisie beaucoup de sa crédibilité vis-à-vis de ses bailleurs de fonds.
L’exigence du FMI d’un engagement sérieux de la part du gouvernement tunisien et de ses alliés nationaux, particulièrement la centrale syndicale ouvrière, ainsi que l’’Utica, complique la situation. Elle rend de plus en plus difficile l’aboutissement à un accord et le déblocage de la situation actuelle. Un syndicat qui fait l’oreille sourde face aux réformes exigées par le FMI, des réformes très douloureuses, mais nécessaires surtout face à l’accroissement de l’endettement public.
Les gouvernants se trouvent engloutis dans une trappe financière, qui les met à la merci du FMI et où l’incertitude est le mot d’ordre au quotidien. En effet, sur la base des données de l’enquête du « World value Survey 2021 », nos analyses ont révélé que plus les Tunisiens sont attachés à la démocratie, plus leur confiance au FMI est faible. Ce résultat atypique exprime un sentiment de déception qui règne dans le pays. Un résultat qui nécessite une réflexion très profonde sur le sentiment d’amertume et de désillusion que ressentent les Tunisiens, en voyant ce rêve de la démocratie et d’un meilleur bien-être s’envoler petit à petit et la déception vis-à-vis des réformes prohibitives que réclame les créanciers généralement et le FMI en particulier.
De même, il faut noter que seulement 10% des Tunisiens ont une confiance totale au FMI alors que 57,2% d’entre eux confirment n'avoir aucune confiance. Ce constat peut être justifier par la corruption que les Tunisiens ressentent de plus en plus son ampleur, vu que l’augmentation de la perception de la corruption d'un point de pourcentage réduirait la confiance en FMI de 16,4%. Ceci peut s’expliquer par le fait que les Tunisiens sont convaincus que FMI, en accordant des crédits à des gouvernements n’ayant pas une vision et carte de route faisable, n’a fait qu’à nourrir la corruption et l’immersion dans ce cercle vicieux d’endettement et de détérioration du bien-être.
Peut-être il est temps de comprendre qu’en politique, il n’y a pas de compétition et que les destins de tous les Tunisiens, quoi qu’il nous coûte, sont inextricablement liés et que cette coappartenance à ce pays ou à ce monde commun, constitue la seule manière de penser. Et par conséquent, les créanciers, à leur tête le FMI, doivent aider et conduire la Tunisie vers la sortie du tunnel.
Nelson Mandela utilisait souvent « Ubuntu », un terme qui a une signification très profonde qui peut être résumé dans le dicton suivant « je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes, je suis ». Qu’attendons-nous pour le comprendre ?
Hajer El Ouradani
Economiste
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Comme les temps changent. Il fut un temps où le FMI signait les programmes tunisiens sans retouches ni préalables, tant le BATIMENT TUNISIE battait le pavillon de la sérénité, la clairvoyance et la bonne vison, la confiance et la crédibilité. Que Dieu protège notre Patrie, partie en miettes entre les différents protagonistes politiques.