Guerre en Ukraine: A quand la fin du déni des nouvelles réalités du monde?
Par Mohamed Ibrahim Hsairi - D’emblée, je voudrais dire que de mon point de vue, la guerre en Ukraine aurait pu être évitée. À coup sûr, elle aurait dû l’être, si ce n’est le déni pervers, par les Occidentaux, des nouvelles réalités du monde en profonde et inéluctable métamorphose. Le 24 février 2022, les États-Unis et leurs alliés (de gré ou à contrecœur) ont, tout de suite et comme à l’accoutumée, dénoncé le choix de guerre du président russe Vladimir Poutine. Mais, qu’ont-ils fait ou que n’ont-ils pas fait pour qu’il ne fasse pas ce choix qui, selon le président français Emmanuel Macron, «a porté l’atteinte la plus grave à la paix en Europe depuis des décennies».
La thèse de la fin de l’Histoire de Francis Fukuyama n’a fait qu’exacerber les États-Unis d’Amérique. Ils ont cru, à la fin de la guerre froide, que leur triomphe et celui de leur idéologie démocratique politiquement et libérale économiquement, est définitif et irrévocable.
Bien que cette thèse ait été, sur le moment, récusée par Samuel Huntington qui a, pour sa part, défendu la thèse du «choc des civilisations», ils continuent à se cramponner à l’idée de la fin de l’Histoire qui leur a servi de socle pour engager leur projet de mondialiser ou, à vrai dire, d’américaniser le globe terrestre.
C’est pourquoi ils sont dans le déni total de ce qui est sous leurs yeux, c’est-à-dire des nouvelles réalités du monde qui ne cesse de muter depuis le retour en force de la Russie sur la scène internationale et l’émergence de la Chine en tant qu’une puissance potentiellement susceptible de rivaliser avec les États-Unis.
Refusant de reconnaître que leur pays et leur société ont cessé d’être le modèle pour le monde, et ayant besoin de croire qu’il n’est question d’aucune alternative au modèle occidental, ces nouvelles réalités sont pour eux intolérables et ils font et feront tout pour qu’ils entravent et retardent, autant que possible, l’avènement d’un nouveau monde qui soit multipolaire et d’un nouvel ordre international qui échappe à leur contrôle.
S’agissant de l’Europe, elle aussi est dans le déni. Certes, elle a, depuis quelques années, affiché une certaine tendance à chercher sa propre voie, à affermir la construction européenne, à se structurer politiquement et à s’engager sur le chemin d’une plus grande autonomie en matière de défense. Toutefois, outre qu’elle n’a pas pu dépasser ses contradictions internes et a tardé à se constituer en une réelle puissance politique et militaire capable de pratiquer les fonctions inhérentes à l’exercice d’une véritable souveraineté, elle continue, à ce jour, à s’aligner sur les positions et les politiques américaines, y compris, parfois, vis-à-vis de certaines questions purement européennes.
Sachant pertinemment que sa pensée stratégique, sa vision du monde et sa conception de l’ordre international ne convergent pas, toujours et en tout point, avec celles de Washington, et bien qu’elle ait besoin de faire valoir et de défendre ses propres intérêts politiques et économiques tant à l’intérieur de son espace que dans le monde, elle semble hésiter encore à considérer fondamentalement sa situation et à faire les choix qui s’imposent pour pallier sa dépendance à l’égard des États-Unis.
En revanche, la guerre en Ukraine est venue offrir aux Américains une occasion en or pour renforcer cette dépendance et pour mettre un terme, du moins pour un certain temps, aux ambitions de leurs alliés européens d’avoir leur propre doctrine de sécurité et de défense qui soit autonome vis-à-vis d’eux et de l’Otan.
Cela risque de coûter très cher à l’Europe, car son avenir et celui du monde pourraient, manifestement, se faire sans elle ou à ses dépens.
Venons-en, maintenant, à l’Otan. Il est clair que le maître mot pour cette organisation est, en ce moment, le renforcement de son dispositif militaire et le changement de sa posture à l’Est de l’Europe.
Ignorant les bouleversements que cette région a connus ces dernières années, et faisant fi des préoccupations et des attentes de la Russie, elle a nettement choisi la voie de la dissuasion au détriment de celle du dialogue.
C’est pourquoi il ne serait pas faux de dire que l’Occident a, délibérément, cherché le bras de fer avec la Russie qui, faut-il le rappeler, n’a jamais digéré l’intégration en 2004 des pays baltes à l’Otan et qui n’a eu de cesse, depuis, de demander à l’Alliance de reconsidérer son déploiement dans la région.
Or les Occidentaux, tout en encourageant Kiev à demander de rejoindre l’Otan, ont refusé de donner des garanties concrètes de sécurité à Moscou qui exige le bannissement de tout nouvel élargissement de l’Alliance, arguant que les revendications russes contreviennent aux principes de l’architecture de sécurité européenne et que les questions d’adhésion relèvent uniquement de la responsabilité des Alliés et des pays candidats.
En tous les cas, il est clair qu’à la faveur de la guerre en Ukraine, les Américains ont pu donner à l’Otan que le président français Emmanuel Macron a, en novembre 2019, jugé en «état de mort cérébrale», un nouveau souffle qui lui permettra de surmonter ses difficultés et de dépasser les crises à répétition qu’elle a connues suite au Brexit, d’une part, et à cause des attitudes de Donald Trump, d’autre part, qui ont fait planer le doute sur la pérennité de l’engagement des États-Unis au sein de l’Alliance.
Enfin, s’agissant de l’Ukraine, elle semble être le bouc émissaire des dénis de réalité des Occidentaux et surtout de son propre déni.
Comptant, apparemment, sur le soutien des États-Unis, de l’Europe et de l’Otan, Kiev n’a pas fait montre, durant les sept dernières années, d’une quelconque disposition à respecter les accords de Minsk.
Son président donne l’impression qu’il a été induit en erreur, aussi bien par la rhétorique de ses amis occidentaux que par leurs livraisons d’armes, et la mise de leurs instructeurs militaires à la disposition de son armée.
Malheureusement, il n’a réalisé qu’ils se refusent à envisager une confrontation directe avec la Russie, pour défendre l’Ukraine, que tardivement et qu’après avoir détruit son pays et fait subir à son peuple les horreurs de la guerre.
Quant aux mesures de rétorsion qu’ils ont prises et aux sanctions qu’ils ne cessent d’imposer à la Russie, elles ne seront pas suffisantes pour la dissuader. Par contre, elles risquent de la pousser à durcir davantage sa position.
En tous les cas, pour que les appels à l’arrêt de la guerre soient entendus, et afin d’éviter à l’Ukraine davantage de souffrances et à l’humanité, déjà martyrisée par l’épidémie, davantage de désastres, il est temps pour l’Occident et les Occidentaux de remettre en question leurs certitudes, de reconsidérer leurs convictions et de se défaire de leur parti pris.
Les États-Unis et leurs alliés doivent cesser de prétendre qu’ils ont toujours raison et qu’ils sont l’incarnation du bien tandis que les autres sont l’incarnation du mal.
Ils verront alors que le monde globalisé, interconnecté et interdépendant où nous vivons a besoin d’un nouvel ordre international plus inclusif, plus humain et plus équitable.
A mon avis, l’heure pour jeter les bases de cet ordre est venue, et «rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue», aimait dire Victor Hugo.
Mohamed Ibrahim Hsairi
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Rien ne peut jamais justifier qu'un pays attaque un autre! et on ne peut pas dire que Poutine a été poussé à le faire, car l'ordre mondial est un rapport de forces et de toute les manières c'est les états Unis qui vont se frotter les mains en affaiblissant durablement la russie et en relançant son industrie d'armement!