La médecine en Tunisie depuis la veille du Protectorat à nos jours
Il m’est agréable de saluer la présence de nos collègues de l’Académie Nationale de Médecine de France, et plus particulièrement M. Roger Henrion, son président et M. Jacques-Louis Binet, son secrétaire perpétuel. Notre ami le professeur Charles Pilet a eu l’initiative de la tenue de cette réunion. Qu’il en soit vivement remercié. Mes remerciements s’adressent aussi aux intervenants pour leur contribution aux travaux de cette journée, ainsi qu’à vous, chers confrères et chers invités, qui êtes venus nombreux dans cette enceinte.
Je rappellerai que nos liens avec l’Académie nationale de médecine en France sont anciens. Le premier médecin tunisien diplômé des facultés françaises, le docteur Béchir Dinguizli était, en 1924, il y a 86 ans, élu membre correspondant de votre honorable compagnie. J’eus le privilège d’en être le second, en 1973.
Vu l’ampleur du sujet et le temps qui m’est imparti, cet exposé ne peut être qu’incomplet. Il se limitera à un survol de l’histoire de la médecine en Tunisie, de la veille du protectorat à nos jours.
La médecine était rudimentaire et l’assistance médicale très réduite. Elles étaient assurées par des empiriques (médecins tolérés), supervisés par un amine, sorte de chef de corporation désigné par le Souverain.
À Tunis, un seul établissement réservé aux Musulmans, l’hôpital Sadiki, hébergeait les chroniques et les aliénés. À l’intérieur, deux infirmeries-dispensaires fonctionnaient, l’une à Sousse, l’autre à Sfax. Des lazarets installés dans les principaux ports et dans les îles Chikli et Zembra étaient destinés à l’isolement des malades lors des épidémies.
Les Israélites n’étaient pas mieux lotis. Leur assistance relevait de sociétés de bienfaisance financées par les dons et les cotisations de leurs adhérents.
Les Italiens et les Maltais disposaient d’une infirmerie sise à la rue des Teinturiers, et les Français étaient soignés dans un petit hôpital de huit lits, l’hôpital Saint Louis, rue Sidi Saber. En 1880, sous l’impulsion du cardinal Lavigerie, cet hôpital fut transféré, rue Sidi Ali Azzouz, dans une caserne désaffectée plus spacieuse.
Les princes et les classes aisées de la population étaient soignés par des médecins étrangers.
Selon Henri Dunant , le fondateur de la Croix Rouge internationale, vingt médecins, tous étrangers, appartenant à dix nationalités différentes exerçaient, en 1858, dans la capitale tunisienne.
Avec l’instauration du protectorat, en 1881, l’administration développa les instruments de sa politique. Elle lança un appel pressant à des médecins français de haut niveau pour venir en Tunisie, afin d’atténuer l’influence des médecins italiens et compenser leur nombre. Elle procéda au renforcement des mesures de quarantaine et instaura une police sanitaire maritime pour parer aux épidémies.
En 1886, un hôpital militaire fut érigé dans le quartier d’El Omrane, avec quatre annexes à Sfax, à Gabès, au Kef et à Gafsa, indépendamment de l’hôpital Sidi Abdallah, créé en 1899, près de Bizerte, destiné à la marine française.
Le Journal Officiel de Tunisie de l’année 1892 indique que la Régence comptait 106 médecins dont 47 étrangers diplômés exerçant à Tunis et dans les grandes villes et 59 médecins tolérés, pour la plupart musulmans, répartis sur tout le territoire.
En 1894, un hôpital israélite fut créé à l’initiative des médecins juifs livournais.
En 1898, l’hôpital Civil Français remplaçait l’hôpital Saint Louis. Il comprenait à ses débuts 190 lits. D’abord réservé aux Français, il fut, en 1925, ouvert aux israélites.
La colonie italienne ne pouvait demeurer en reste. En 1900, elle édifia sur la colline de Montfleury, un grand hôpital de 200 lits financé par ses ressortissants, avec la contribution du gouvernement italien.
En 1899, le Dr Brunswick-Lebihan, interne des hôpitaux de Paris, arrivait en Tunisie. En 1902, il fut promu au poste de directeur et de chef de service de Chirurgie de l’hôpital Sadiki. Animateur de talent, il créa une école d’auxiliaires médicaux et organisa un service de médecine qui fut confié au Dr René Broc, assisté par le Dr Hassine Bouhajeb, deuxième médecin tunisien diplômé des facultés françaises. Une femme, le Dr Gordon, assurait la consultation féminine.
Cependant, à l’intérieur du pays, en dehors des zones d’implantation des garnisons militaires et des colonies de peuplement, la situation sanitaire restait inchangée.
Le 23 décembre 1902, Charles Nicolle débarquait à Tunis. Il remplaçait à la tête de l’Institut Pasteur le Dr Adrien Loir. Je ne m’étendrai pas sur l’œuvre scientifique de Charles Nicolle. Vous savez qu’elle lui valut, en 1928 le Prix Nobel de Médecine pour ses travaux sur le typhus exanthématique, en 1929 son élection à l’Académie des Sciences et en 1932 sa nomination à la Chaire de Médecine expérimentale au Collège de France.
Il convient de mentionner le rôle joué par le Dr Ernest Conseil, proche collaborateur de Charles Nicolle. Directeur du Bureau d’Hygiène de la Municipalité de Tunis en 1909, il s’illustra dans la lutte contre les épidémies avec un dévouement exemplaire, dépistant les malades qu’il isolait dans le lazaret de La Rabta. Ce lazaret, rattaché à l’hôpital Sadiki en 1912, prit le nom d’Hôpital des Contagieux en 1924, puis celui d’hôpital Ernest Conseil en 1930.
Il convient également de signaler, parmi les noms illustres, le Dr Étienne Burnet, 3ème directeur de l’Institut Pasteur en 1936, qui mit en exergue les disparités entre les diverses communautés en matière d’alimentation et de tuberculose.
En 1927, l’hôpital des maladies mentales de La Manouba vit le jour.
Dans les années 30, les grands fléaux (peste, choléra variole, …) étaient pratiquement maîtrisées, mais des épidémies de typhus, de gastro-entérite et de fièvre récurrente continuaient à sévir, tout comme certaines maladies endémiques dont trois dominaient le tableau : la tuberculose, le paludisme et le trachome. Dans un rapport au Syndicat médical français en Tunisie, le Dr Henry constatait que la tuberculose était devenue endémique en 1927, alors qu’elle aurait été rare au début du siècle. L’intensité du paludisme variait selon les années et sévissait le long de la valéée de la Medjerda. Le trachome était très fréquent dans le Sud du pays. Une mission sous l’égide de l’Organisation internationale de la lutte contre le trachome et la Société internationale de Prophylaxie de la cécité révélait, en 1931, que sur 3 642 élèves des écoles franco-arabes du Sud, 71% souffraient de trachome et 3,9% étaient atteints de cécité.
Depuis, l’action sanitaire fut renforcée dans le pays :
En 1932, un corps de près de 200 infirmiers itinérants fut créé pour la lutte antipaludique.
Selon le quotidien Ezzohra, du 13 octobre 1934, le nombre de médecins qui exerçaient en Tunisie était de 340, dont 203 dans la capitale.
En 1939, le Préventorium de l’Ariana ouvrit ses portes.
En 1944, l’hôpital civil français fut dénommé hôpital Charles Nicolle et l’hôpital italien prit le nom d’hôpital de la Libération, avant de devenir l’Hôpital Habib Thameur à l’Indépendance.
En 1945, et pour la première fois, un ministère des Affaires sociales comprenant le département de la Santé fut coiffé par un Tunisien.
Un personnel paramédical diversifié était formé, des centres de protection maternelle et infantile étaient installés dans les hôpitaux et des centres médico-scolaires étaient confiés à un corps de médecins inspecteurs.
L’année 1950 vit la création du centre Lamine 1er consacré à la lutte antituberculeuse et de l’Institut d’Ophtalmologie à la lutte contre le trachome. La même année, l’infirmerie dispensaire du Kef était érigée en hôpital régional pourvu d’un préventorium.
La médecine privée était florissante. Les cabinets médicaux étaient concentrés dans les grandes villes, en rapport avec le niveau économique des habitants. Les médecins des hôpitaux, mal rétribués, consacraient le meilleur de leur temps à la clientèle privée tout en fournissant des soins gratuits aux indigents.
(A suivre) Télécharger le texte intégral
Conférence inaugurale pronocée par le Dr Amor Chadli lors des des travaux de la Réunion franco-tunisienne de l'Académie nationale de Médecine de France, Tunis, 21 octobre 2010
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Bonne lecture
A chaque fois que je lis un article relatif à l'histoire de la médecine tunisienne de la veille du Protectorat à nos jours, je suis étonnée du silence qui entoure la place et le rôle joué par le Docteur Mohamed Zouaoui (chirurgien) inscrit à l'ordre des médecins tunisiens en 1948, sur le concours des hôpitaux de Tunis qui a eu lieu à Paris en 1950 auquel il a participé avec feu le Docteur Salah Azaïz et dont personne ne connaît ni les conditions ni les péripéties : Le docteur Mohamed Zouaoui a laissé une histoire de sa vie qui sera publiée entre 2011-2013 sous le titre "Les Mémoires du Silence" avec force pièces d'archives manuscrites , qui obligera les historiens de la médecine à revoir leurs écrits ... La carrière d'un chirurgien qui a été l'ami des Drs Abderahmane Mami, de Abderahmane Dziri, de Slimane Ben Slimane, de Ezzeddine Annabi, le médecin de famille de Farhat Hached, le chirurgien des Fellagas et des militants de l'Indépendance est fort instructive et le silence qui l'entoure ne peut être dû qu'à l'ignorance d'une période que certains n'ont pas vécue : la terreur des années 50. Parmi les témoins encore vivants, Salah Bouderbala et Tahar Mekki ...Mais si LES HISTORIENS OUBLIENT, L'HISTOIRE, ELLE, N'OUBLIE PAS... A la mémoire et en hommage à mon père qui est sorti du silence après 1987, FAÏZA ZOUAOUI SKANDRANI