Slaheddine Belaïd: Hommage à Mohamed Ali Bouleymane
Il y a un an, le 4 octobre 2021, nous quittait, en toute discrétion, Mohamed Ali Bouleymane ancien Maire de Tunis et ancien Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Equipement et de l’Habitat. Diplômé de HEC Paris, Mohamed Ali Bouleymane a d’abord occupé des postes de premier responsable dans nombre d’établissements publics dont l’Office National du Tourisme, la Société Italo-tunisienne d’Exploitation Pétrolière et le Groupe Chimique Tunisien. Mais sa vocation profonde, celle pour laquelle il se sentait le plus motivé, était de servir sa ville natale, Tunis ; il en sera le maire à deux reprises de 1986 à 1988 puis de 1990 à 2000. Son passage à la tête du conseil municipal de la capitale sera marqué par une réalisation exceptionnelle – peut-être la plus importante depuis la création de la municipalité en 1858 – à savoir le nouvel Hôtel de Ville de La Kasbah.
Ce projet, c’est Mohamed Ali Bouleymane et lui seul qui l’a porté de bout en bout. Certes, l’idée de transférer le siège de la municipalité de la vieille bâtisse de l’avenue de Carthage vers un site plus prestigieux lui était antérieure. Ses prédécesseurs avaient même réservé, à cette fin, un grand terrain sur l’esplanade de l’avenue Mohamed V. Dès qu’il a pris connaissance du rapport géotechnique, Bouleymane en était arrivé à la conclusion que le terrain choisi ne pouvait pas convenir à l’édification du nouvel Hôtel de Ville. Toute construction à cet endroit nécessite la réalisation d’une fondation sur pieux très coûteuse, le sol porteur étant situé à la côte -50 environ. Ceci peut se justifier pour un immeuble de grande hauteur mais pas pour un bâtiment de trois ou quatre niveaux comme c’est le cas de futur Hôtel de Ville. Personnellement, je reste persuadé que Mohamed Ali Bouleymane avait une autre raison – plus profonde - pour remettre en cause le choix de ce terrain : beldi dans l’âme, il préférait que le nouveau siège de la municipalité soit implanté au cœur de la Médina de Tunis. C’est ce qui le poussera à négocier avec les responsables du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique) l’échange du terrain de Mohamed V contre une parcelle plus petite située sur l’esplanade de La Kasbah.
Une fois l’accord d’échange conclu, il lui fallait veiller à ce que le nouvel immeuble s’intègre parfaitement dans ce site chargé d’histoire et marqué par la présence de monuments anciens de grande valeur tels que le Palais du Gouvernement, la mosquée de La Kasbah ou le collège Sadiki. Dans cette optique, le choix de l’architecte chargé de la conception et du suivi de la réalisation du nouvel Hôtel de Ville était d’une importance capitale. Cette mission sera confiée à l’un de nos meilleurs architecte - urbaniste, Wassim Ben Mahmoud, secondé par son collègue Mustapha Ben Jennet et par l’architecte d’intérieur Ismaïl Ben Fraj. L’immeuble conçu par le trio d’architectes est une synthèse très réussie entre modernité et tradition, fonctionnalité et authenticité. Les motifs architecturaux décorant les façades en panneaux de verre fumé, tels que la porte monumentale ouvrant sur l’esplanade de la Kasbah, les arcs plein cintre reposant sur des colonnes en kedhel et les murs d’acrotère ouvragés, ne sont pas sans rappeler la façade du Ministère de la Défense Nationale tandis que les éléments de claustras traités façon kedhel reproduisent, en plus grand, les entrelacs ornant le minaret de la mosquée de la Kasbah. Pour la décoration intérieure du nouvel Hôtel de Ville, il a été fait appel aux techniques artisanales telles que le Nakch Hadida (sculpture sur plâtre), les faux-plafonds en bois peint et les revêtements muraux en faïences traditionnelles. Avec le concours des responsables de l’Association de Sauvegarde de la Médina, Mohamed Ali Bouleymane sélectionnera les meilleurs spécialistes de ces techniques traditionnelles – formés, pour la plupart, dans les ateliers de l’ASM – et leur confiera la quasi-totalité des lots de décoration intérieure. Le résultat est absolument magnifique ; le grand hall du nouvel Hôtel de Ville présente à lui seul un condensé de tout le savoir-faire de nos artisans en la matière. Désigné quelques années plus tard membre du comité de pilotage du projet de la mosquée Malek Ibn Anas à Carthage, Mohamed Ali Bouleymane proposera ces mêmes équipes d’artisans pour la réalisation de la décoration intérieure de la salle de prière avec, à l’arrivée, un résultat tout aussi remarquable. L’Hôtel de Ville de la Kasbah a été Inauguré en novembre 1998 par le Président de la République ; il constitue, aujourd’hui encore, un motif de fierté tant pour la capitale que pour le pays tout entier.
L’action de Mohamed Ali Bouleymane ne s’est pas limitée – on s’en doute - à la seule réalisation du nouvel Hôtel de Ville ; durant ses deux mandats à la tête de la municipalité de Tunis, il a œuvré à la consolidation et au développement des relations de la capitale avec un grand nombre de métropoles internationales et cela à travers la Fédération Mondiale des Cités Unies dont il a été vice-président et surtout à travers l’Association Internationales des Maires Francophones dont il a assuré le Secrétariat Général. Son activité au sein de l’AIMF avait été pour lui l’occasion de faire la connaissance de Jacques Chirac, fondateur puis président de ladite association durant ses mandats successifs à la tête de la mairie de Paris (1977-1995). Une solide amitié s’était alors établie entre les deux hommes qui perdurera après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République Française. Lorsque Bouleymane terminera sa mission en tant que maire de Tunis, en 2000, le Président français s’arrangera pour qu’il soit coopté comme Délégué Général de l’Association des Maires Francophones pour de nombreuses années. Comme on le voit, des relations amicales à ce niveau de responsabilité ne peuvent que rejaillir sur le pays tout entier.
J’espère, par ce court témoignage, avoir rendu justice – au moins partiellement – à l’une des figures les plus marquantes de la scène tunisoise et nationale durant la deuxième moitié du 20ème siècle et, certainement, la plus attachante.
Puisse-t-il reposer en paix.
Slaheddine Belaïd
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Il a jouè au club africain
Frère aîné, patron aimé. Repose en paix ,cher "Si Mhamed Ali"
M. Slaheddine Belaïd, je vous remercie pour cet hommage dédié à M. Mohamed Ali Bouleymane. Je n’ai pas écrit "feu…" car je suis convaincu que ce patriote demeure parmi nous par ses réalisations. Je suggère à Mme Souad Abderrahim de "nommer" l’une des grandes salles de l’édifice de la mairie ou de son esplanade "Salle Mohamed Ali Bouleymane" ou "Esplanadee Mohamed Ali Bouleymane". Que Mohamed Ali Bouleymane repose en paix.